Il paraît que c’est un acronyme que Donald Trump déteste. TACO. «Trump Always Chickens Out». Comprenez: Trump finit toujours par se dégonfler, par faire la poule mouillée. Par fanfaronner, menacer, bomber le torse… puis reculer au dernier moment. Un classique du genre. Un acronyme qui lui vaut des tonnes de mèmes.
Alors avant de se ruer sur les placements en or, de prendre un aller simple pour Singapour ou d’accuser la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter de ne pas savoir parler à un président américain au téléphone, prenons un peu de hauteur.
Le 1er août dernier, alors que le pays, douce ironie, s’apprêtait à faire du lancer de drapeaux sur la plaine du Grütli, entre autres suisseries, Donald Trump a promis d’instaurer des droits de douane de 39% sur les produits importés depuis la Suisse. Montres, chocolat, machines-outils et autres fleurons helvétiques: tout le monde prend tarif, ou presque.
Pourquoi? Parce que le président américain a avancé des chiffres précis et détaillés à KKS, la présidente de la Confédération et ministre des Finances. Parce que pourquoi pas. Une mesure forte qui s’inscrit dans le cadre de la nouvelle stratégie commerciale de l’administration Trump 2.0. Pour «protéger l’industrie américaine», dit-il. Mais aussi, sans doute, pour montrer les muscles, faire vibrer sa base électorale MAGA et rappeler au reste du monde que «America First», ça veut dire «l’Amérique seule si besoin».
La Suisse figure ainsi parmi les pays les plus lourdement frappés. Bien plus que certains Etats asiatiques pourtant habitués aux tensions commerciales avec les Etats-Unis. Et ce alors même que, selon plusieurs observateurs, Berne et Washington étaient jusqu’à récemment «en bonne voie» pour signer un accord commercial bilatéral plus équilibré.
Mais ce qui aurait mis le feu aux poudres, c’est ce coup de fil entre Donald Trump et Karin Keller-Sutter, la cheffe du Département fédéral des finances et présidente de la Confédération. Selon plusieurs sources, l’échange a été tendu. Très tendu. Si tendu qu’un SMS venu des Etats-Unis, pendant le call, aurait fortement suggéré à la Suissesse de raccrocher afin de ne pas envenimer la situation.
Le président américain, lui, aurait jugé le ton de son interlocutrice «hostile». Il faut dire que la ministre helvétique n’est pas franchement connue pour être du genre à minauder. Elle aurait refroidi l’Américain à coups de dossiers chiffrés et sans courbettes. Trump aurait donc tapé du poing sur la table et appuyé sur le bouton rouge du protectionnisme. Résultat: 39%. Une claque diplomatique. Jusqu’à la prochaine discussion? En tout cas, à Berne, on dément tout dérapage diplomatique… tout en reconnaissant que «les discussions avec Washington se sont durcies».
Pour l’heure, depuis l’annonce, la presse helvétique s’agite, les économistes moulinent et la bourse suisse a brièvement flanché ce lundi matin. Le SMI a ouvert en nette baisse, perdant plus de 1,5% dans les premières heures, entraîné par les secteurs industriels et horlogers. Les analystes parlent d’un «choc», les syndicats redoutent des pertes d’emplois dans l’export, les patrons appellent au calme.
Mais déjà, en fin de matinée, les indicateurs boursiers amorçaient une remontée. Comme si le marché lui-même se disait:
Car oui, entre deux graphiques boursiers catastrophistes et trois alertes push dramatiques, un petit rappel d’histoire s’impose. Parce que cette «amitié helvético-américaine» que Trump malmène à coups de surtaxes a quand même un peu plus d’un siècle au compteur. Presque deux. Les deux pays furent les premières démocraties modernes du monde occidental. Ils ont signé leur premier traité bilatéral dès 1850. Il existe encore, pour les fans de droit international.
Un partenariat forgé sur des valeurs communes, une vision libérale de l’économie, une protection des citoyens de l’autre dans son pays et vice-versa, et accessoirement quelques milliards d’échanges commerciaux annuels. Les montres Swiss made cartonnent chez l’Oncle Sam. Le chocolat suisse aussi. Sans parler des machines-outils. En bientôt 200 ans, la relation a survécu à plus d’une bourrasque.
Alors oui, 39%, c’est une menace réelle. Oui, il y a bel et bien des secteurs suisses qui risquent d’en pâtir. Et pourtant, avant de tout repeindre en noir, souvenons-nous de cet acronyme que le président américain déteste: TACO, «Trump Always Chickens Out».
On le connaît. On l’a vu à l’œuvre. On sait qu’il aime monter dans les tours, menacer, frapper fort… puis reculer s’il sent que l’impact politique devient trop glissant. C’est sa danse, sa méthode, son théâtre. On l’a vu annuler des sanctions à la dernière minute, changer d’avis sur la Chine après une partie de golf, faire et défaire ses tweets plus vite qu’un trader coké sur Wall Street. Les plus cyniques diront que les surtaxes, pour lui, sont surtout une manière de négocier à l’envers: il frappe d’abord, discute ensuite.
Alors voilà. Oui, ce lundi, la bourse flanche. Les industriels helvétiques tremblent. Les diplomates suisses épluchent la jurisprudence et les livres d’histoire. Mais demain, c’est mardi. Et le mardi, aux Etats-Unis, c’est TACO Tuesday. Un jour de fête, où tout le monde respire un bon coup et va manger des tacos.
Peut-être qu’on devrait faire pareil. Avec une margarita. Ou un Rivella. En attendant le prochain round de négociations entre les deux vieilles démocraties. Au moment où l’on écrit ces lignes, la RTS envoie un push en ce sens: le Conseil fédéral va continuer à négocier. What a surprise.
«CQFD» comme on dit, pour prendre un acronyme qui ne donnera pas envie à Trump de nous rajouter 10% dans les dents. And cheers!