Civitas, organisation catholique intégriste, était jusqu’ici passée entre les gouttes de la loi. La voici désormais visée par une demande de dissolution émanant du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. En cause, des propos antisémites tenus le 30 juillet à Pontmarin, en Mayenne, lors des universités d’été de cette formation d’extrême droite. Ils ont été proférés par un certain Pierre Hillard. Abordant la période révolutionnaire, cet essayiste controversé déclarait ce jour-là:
Il ajoutait: «La naturalisation de juifs en 1791 ouvre la porte à l’immigration». Pierre Hillard estimait qu’il «faudrait peut-être retrouver la situation d’avant 1789».
Les organisateurs de ces universités d’été ont été imprudents. «Ce sont eux qui ont mis sur YouTube les interventions faites lors de cet événement», souligne Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques, joint par watson. L’intervention litigieuse qui vaudra à Civitas une probable dissolution dans un avenir proche a été repérée par le compte X (ex-Twitter) Jugé Coupable, spécialisé dans la «lutte contre la cyber-criminalité et la haine en ligne»: 👇
Déchéance de nationalité pour les juifs !!!
— Jugé Coupable (@JCoupable) August 5, 2023
Pierre Hillard lors du rassemblement de l'UDT Civitas à Pontmain.
Nous interpellons @GDarmanin @NunezLaurent et demandons une condamnation ferme ainsi que la dissolution de Civitas !@_LICRA_ @ObservatoireOjf @Association_OJE @uejf pic.twitter.com/v1ouB9h6EF
Pour Jean-Yves Camus, les arguments selon lesquels la naturalisation des juifs en 1791 aurait ouvert la voie à l’«immigration» sont «totalement délirants». «A l’époque, les juifs sont présents en France depuis des siècles», rappelle-t-il.
«Depuis sa création en 1999, Civitas est un groupuscule gravitant autour de l’extrême droite la plus radicale, il a par exemple reçu Alain Soral», enchaîne Tristan Mendès-France, membre de l’Observatoire du conspirationnisme, contacté par watson. En 2013 et 2014, à l’occasion des débats houleux sur le mariage pour tous, puis sur la théorie du genre prétendument enseignée à l’école, Civitas s’était rapproché de représentants musulmans de la mouvance frériste également opposés à ces innovations sociétales réelles ou supposées.
«Son importance en ligne dépasse largement ce qu’il représente dans la société», précise Tristan Mendès-France. Il n’empêche, Civitas s’est toujours appliqué à faire parler de lui. En octobre 2021, sa branche suisse fraîchement créée avait manifesté à Genève sur la plaine de Plainpalais contre la diffusion par la RTS de La vie de J.C., une minisérie jugée «blasphématoire».
L’arrivée du Covid début 2020 aura donné un coup de boost à Civitas. Cette année-là, Tristan Mendès-France repérait le groupuscule intégriste dans la galaxie qui s’était alors formée autour de l’hashtag #StopConfinement. Il en rendait compte dans un tweet: 👇
[video] Me suis amusé à voir ce que donne la diffusion du hashtag 'stopconfinement' sur 24h. Histoire de voir dans quel milieu il macère. Sans grande surprise : la fachosphère.
— Tristan Mendès France (@tristanmf) May 1, 2020
E&R de Soral, Valeurs, Qanon fr (carolinerioux5), dieudonnistes (quenellien), intégristes (Civitas)... pic.twitter.com/VOvoSke9fx
En 2008, le même Tristan Mendès-France, alors jeune homme, avait lancé un défi au président de Civitas, Alain Escada, lui demandant de citer les Dix Commandements: 👇
C’est le moment de ressortir pour la Xème fois cet extrait de l’interview que j’avais fait du président de Civitas en 2008.
— Tristan Mendès France (@tristanmf) August 7, 2023
Plus sérieusement lire : https://t.co/JGGtQX5dIk https://t.co/YImhMYNEui pic.twitter.com/Ogtb2fs75q
«Civitas est une structure profondément complotiste, pour qui la France est sous la menace du complot judéo-maçonnique, un fantasme déjà ancien», note le membre de l’Observatoire du conspirationnisme.
Pour sa défense, Civitas contre-attaque. Sur son compte X, demandant s'il ne faudrait pas «dissoudre Renaissance», le parti du président Macron, l'organisation intégriste renvoie à des accusations d'antisémitisme portées en 2021 par le cofondateur du site Mediapart Edwy Plenel contre Gérald Darmanin en personne. Lequel avait tenu des propos ambigus sur les juifs en France à la période révolutionnaire. Celle sur laquelle l'essayiste Pierre Hillard s'est attardé lors des universités d'été de Civitas: 👇
Faut-il dissoudre #Renaissance ? L'un de ses membres éminents, #GérardDarmanin, était accusé par Plenel de propager "les pires clichés #antisémites" en mars 2021
— Civitas (@Civitas_) August 8, 2023
Allo, le ministère de l'Intérieur ?https://t.co/RlbI6kgue0
Si la dissolution de Civitas, demandée le 7 août par le ministère de l'Intérieur, ne devait pas rencontrer d’obstacles, celle des Soulèvements de la terre, procédure engagée par Gérald Darmanin en juin suite aux violences commises par ce mouvement proche de l'extrême gauche lors d’une manifestation contre l’installation de «méga-bassines» sur des terres agricoles, paraît moins acquise. Ce 8 août, les Soulèvements de la terre ont contesté leur dissolution devant le Conseil d’Etat, la plus haute juridiction administrative. On attend désormais la décision de cette dernière.
De nombreuses associations ont été dissoutes en France depuis la première élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République en 2017. La plupart pour des liens avec l’islamisme radical, souvent teinté d’antisémitisme, un antisémitisme musulman qu'Edwy Plenel fut rarement le premier à dénoncer. Viennent ensuite des groupes dits de l’ultra-droite, marqués par des intentions ou une rhétorique violente anti-islam. Les Soulèvements de la terre seraient l’une des premières, sinon la première organisation de gauche à connaître le même sort.