Anglais parfait, canines aiguisées. Mercredi soir, Eva Vlaardingerbroek bombait le torse, en duplex, dans l'émission du trublion américain d'extrême droite Tucker Carlson. Habitué des invités explosifs, l'ancien tronc de Fox News avait manifestement besoin d'une spécialiste introuvable aux Etats-Unis. Si la Néerlandaise de 27 ans a sorti l'artillerie lourde, c'est pour expliquer aux Américains la révolution paysanne qui déferle actuellement sur l'Allemagne.
Saugrenu? A première vue seulement.
The biggest protests in modern German history. What’s happening? Eva Vlaardingerbroek is there. pic.twitter.com/uAtmkUme5Q
— Tucker Carlson (@TuckerCarlson) January 10, 2024
Pour résumer cette crise, disons que depuis la volonté du nouveau gouvernement allemand de supprimer l'avantage fiscal sur le diesel, les agriculteurs dégainent leurs tracteurs pour gueuler et immobiliser les grandes villes jusqu'au 15 janvier. Un soulèvement qu'ont connu la Roumanie et... les Pays-Bas en 2022. Oui, la nation d'Eva Vlaardingerbroek. Mais ce qui a davantage titillé Tucker Carlson, c'est le reportage tapageur que cette extrémiste de 27 ans a réalisé non loin de Berlin, en début de semaine, pour le média populiste allemand Nius.
Mais ce regain d'attention des souverainistes de tout bord sur le sort des travailleurs de la terre est un grand prétexte. Une actualité idéale pour accuser le pouvoir de tous les maux, renforcer les thèses complotistes et exciter l'électorat. Sans oublier que l’AfD, le parti de l'extrême droite allemande, surfe déjà sur ce dossier depuis plusieurs années.
Pour Eva et les autres, c'est surtout la preuve qu'une «élite mondialiste» ment sciemment à la population à propos du réchauffement climatique, dans le but de manipuler les foules. On comprend mieux pourquoi la star comploteuse des Etats-Unis s'inquiète soudain du quotidien des ouvriers agricoles européens. Pour dire, même Elon Musk s'est glissé dans le débat, partageant à plusieurs reprises les reportages en Allemagne d'Eva Vlaardingerbroek, sur le réseau X. Au point que ses admirateurs se sont amusés à l'imaginer le cul sur un tracteur, avec le concours de l'intelligence artificielle.
En réalité, les deux commentateurs d'extrême droite se connaissent depuis longtemps. En juin 2022, la Néerlandaise avait même sauté dans un avion pour causer «fin du monde» avec Tucker. Plus généralement, à chaque fois que le Vieux Continent accouche d'un débat qui fait saliver les ultraconservateurs, le présentateur américain lance un coup de fil à l'influenceuse. Une véritable envoyée spéciale.
Vague de violences en Suède? «Hello Eva!». Polémique sur les vaccins contre le Covid ou la crise de l'azote aux Pays-Bas? «Hello Eva!». Une faiseuse d'opinions qui prend chaque année un peu plus de muscle sur le terrain médiatique. Et ce n'est pas anodin si l'Amérique frappadingue est tombée amoureuse.
Comme souvent avec les ennemis autoproclamés de l'élite, la liste des bêtes noires de cette catholique convaincue est sans surprise et sans fin. Eva est en guerre contre la gauche, les écologistes, le deep state, les scientifiques, le vaccin Covid, les mouvements LGBT, l'avortement, les féministes, l'ouverture des frontières et, numéro complémentaire: l'Union européenne.
Une habileté à rejeter le futur et le monde extérieur qu'elle entraîne au sein du parti néerlandais et populiste Forum voor Democratie (FVD) depuis 2016. Mais sa carrière politique ne décollera jamais. Trois ans plus tard, à même pas 23 ans, elle va cribler les mouvements féministes de flèches empoisonnées, dans un discours controversé qui la catapultera sur le devant de sa propre scène.
Véritable égérie des masculinistes, des partis d'extrême droite et des complotistes, elle a, volontairement ou non, tout piqué à ses modèles américains. Omniprésence, désinformation, paranoïa, attaques personnelles, ode au free speech, sans oublier la jeunesse, la fausse ingénuité et l'atout charme, qu'elle offre quotidiennement à ses 300 000 followers sur Instagram.
Il y a un peu de la députée Marjorie Taylor Greene dans le pedigree d'Eva Vlaardingerbroek. Et pas seulement cette blondeur si étrangement ordinaire chez les femmes d'extrême droite. On y trouve surtout cette farouche volonté de prouver au(x) peuple(s) que la vérité est ailleurs et qu'elle en connait un rayon.
Si ses thèmes de prédilection ne déraillent jamais, ses expériences dans la vraie vie sont un poil plus bordéliques. Après une maitrise en droit et un master en encyclopédie et philosophie, elle termine son cursus universitaire en brandissant une thèse qui fera pas mal de bruit sur les campus hollandais. Son titre? «La contractualisation du sexe». Un détail affriolant dans son parcours, qui s'est très vite résumé à engranger de l'audience et de l'argent, en surfant sur des thématiques hautement populistes, séduisant des jeunes habituellement peu réceptif au blabla politique.
Pas étonnant, non plus, qu'on la retrouve un temps au bras du Français Julien Rochedy. Masculiniste et polémiste d'extrême droite, l'homme de 35 ans sera directeur du Front national de la jeunesse jusqu'en 2014.
Aujourd'hui en couple avec un jeune ultraconservateur de Floride qui se fait appeler Will Witt, la jeune femme court après un succès et une influence que 2024 pourrait bien finir par lui offrir.
Au-delà des algorithmes très peu modérés du réseau du réseau d'Elon Musk, c'est la présidentielle américaine et, avec elle, la montée en puissance de ses provocateurs d'extrême droite, qui pourraient lui être assurément profitables. Ni vraiment politicienne et encore moins journaliste, Eva Vlaardingerbroek se nourrit, à l'instar des trublions de sa trempe, des critiques de l'establishment. Un establishment qui, aux Pays-Bas, la surnomme parfois... «Eva Braun».