2022, quelle folle année pour la famille royale! Quel bilan peut-on en tirer?
Marc Roche: Globalement, le bilan 2022 de la royauté britannique est très positif. Le jubilé d’Elizabeth II a été un triomphe populaire. Son décès et les dix jours de deuil national ont montré l’incroyable émotion que sa disparition a suscitée au Royaume-Uni et dans le Commonwealth. Et enfin, les 100 premiers jours de règne de Charles III sont très réussis. Si on pose ce bilan par rapport au négatif, à savoir l’affaire Andrew ou les défis à répétition des Sussex, Harry et Meghan, les sondages montrent que la famille royale est plus populaire que jamais.
En tant que correspondant royal, avez-vous l'impression que ces nombreux évènements ont permis de passionner à nouveau le Royaume-Uni pour «sa» famille royale?
La monarchie britannique est toujours passée par des hauts et des bas, entre une extrême popularité, une certaine lassitude, des anniversaires, des jubilés, des scandales… Je ne crois pas que l’intérêt des Britanniques - et je parle vraiment des Britanniques, car la situation est sensiblement différente aux Etats-Unis ou dans le Commonwealth - a foncièrement changé. La monarchie fait moins jaser, sauf quand il y a des scandales, dont les tabloïds font toujours leurs pages grasses.
Cette série est un objet de soft power télévisé excellent pour l’exportation et l’image du pays. Les démêlés entre le roi, son fils Harry et Meghan Markle, cela intéresse surtout les Américains. Beaucoup moins les Britanniques, qui ont d'ores et déjà pris parti pour Charles et William.
Je ne résiste pas à la tentation de vous demander votre avis sur le «documentaire» d’Harry et Meghan… Vous l'avez vu?
(Gasp). Oui, je l’ai vu. Ma réaction a été la même que celle des Britanniques, à savoir un sentiment de dégoût. Toute cette pleurnicherie, alors que les gens font la queue aux banques alimentaires, que les coupures de gaz et d’électricité se multiplient parce que les gens ne peuvent pas payer leurs factures, c’est indécent. Tout était choquant. En fait, c’était pour une consommation américaine. Les Britanniques sont dégoûtés par l’utilisation médiatique et publicitaire et promotionnelle des Sussex.
Après la publication des mémoires de Harry au mois de janvier toutefois, les Sussex vont achever leur odyssée au Royaume-Uni. Quant à Andrew, il est hors circuit. Charles et William sont bien installés. 2023, c’est l’année où ceux qui sortent des clous n’auront plus droit de parole.
Au fond, le scandale n’a-t-il pas servi à la monarchie? La perfection ne risque-t-elle pas de désintéresser le public?
Je suis certain que le roi et ses conseillers se passeraient bien des scandales - qui, quand même, ébranlent la réputation des protagonistes de tous les côtés. Même sans scandales, l’intérêt pour la royauté continuera, ni plus ni moins. Les Britanniques sont plutôt contents du système actuel et pourront continuer de l’être.
Dans votre dernier livre, vous avez osé comparer la famille Windsor à celle des Borgia...
Oui, c'est un rapprochement historique osé! Les Borgia s’éliminent les uns les autres, exactement comme les Windsor. Dans les deux familles, les luttes de pouvoir sont identiques.
A la seule différence qu’il n’y a ni poison ni sang chez les Windsor. C’est propre, mais tout aussi brutal.
Vous me disiez plus tôt que l’ère des scandales est terminée. Pourtant, les Borgia sont l’une des familles les plus scandaleuses de la papauté...
Exactement. Les Windsor font partie des familles les plus scandaleuses des royautés européennes! C’est une liste sans fin de scandales, de mises à l’écart, de morts tragiques… Quand on pense à Diana, à l’abdication d’Edouard VIII, à la bataille autour de la duchesse de Windsor, à la famille de Lord Mountbatten, la princesse Margaret…
Par exemple, Elizabeth n’a jamais laissé Philip accéder aux documents royaux.
Venons-en à l'année 2023. Que réserve-t-elle à la royauté britannique?
2023 promet d’être une bonne année pour la royauté britannique, avec le couronnement de Charles III. Il entend imprimer sa marque. Pour comparer, nous n'avons que le couronnement de sa mère, en 1953. Une époque totalement différente. L’Angleterre régnait encore sur la moitié du monde.
En quoi le couronnement de 2023 sera-t-il différent?
Ce sera vraiment celui de Charles. La cérémonie se déroulera au même endroit, à l’abbaye de Westminster, mais sera moins longue, une heure tout au plus. Il y aura moins d’invités présents, un millier de personnes au lieu des 8000 invités des corps constitués de l’aristocratie. La plus grande différence résidera, à mon avis, dans l'allègement du rituel religieux. Le couronnement d’Elizabeth II, gouverneure suprême de l’Eglise d’Angleterre, était essentiellement anglican et protestant. Celui de Charles sera beaucoup plus œcuménique.
Quel genre de roi sera Charles III?
Charles a une conception de la famille royale très réduite: à un tout petit noyau dur, centré autour de lui et de son fils, le prince de Galles. Il ne sera plus question d'une famille étendue comme c’était le cas sous Elizabeth II. Charles a aussi une volonté de moderniser la monarchie, de la rendre plus proche de ses sujets, et moins chère. Il tient à une royauté moins flamboyante, moins éclatante, ce qui correspond à ce que souhaite le public en ces temps difficiles.
La royauté dans ce pays est quand même liée au glamour, aux palais, aux carrosses, aux chevaux… Tous les attributs extérieurs de la royauté et qui font le soft power du Royaume-Uni. Il en a vraiment besoin après le Brexit.
Finalement, on voit que la monarchie, de prime abord très archaïque, est capable d’évoluer avec son temps.
La monarchie est volontairement archaïque et en retrait. A l’inverse des monarchies du vieux continent, elle ne représente pas la société britannique telle qu’elle est aujourd’hui, c'est-à-dire une méritocratie multiculturelle. La monarchie est basée sur la hiérarchie, le droit de naissance, le droit du sang, des institutions, de l'aristocratie et de l’élite, de l’armée, de la religion anglicane… On est très loin de la définition du Royaume-Uni!
Tout en s’adaptant à la société britannique avec prudence et par à-coups, jamais brutalement, la royauté reste pour la plupart des Britanniques le symbole de leur Histoire, avec un grand «H». En cela, ils sont attachés à cette institution archaïque. Ils veulent la monarchie telle qu’elle est, mais modernisée.
Un grand défi, s’il en est!
Grand défi, mais tout au long de son histoire, la royauté s’est adaptée aux évolutions de la société - toujours avec un léger train de retard. Paradoxalement, les souverains britanniques ont toujours choisi le peuple contre l’aristocratie, même s’ils en sont issus. C’est là le génie de leur survie. Alors qu'en Europe, la Première et la Deuxième Guerre mondiale ont balayé beaucoup de dynasties, la monarchie britannique se porte pour le mieux.
La succession est assurée, les Britanniques sont satisfaits du système et ne veulent pas du tout d’une République.
Ce n’était pas garanti, au décès de la reine. La monarchie aurait-elle pu s’effondrer en perdant sa figure de matriarche?
L’ordre de succession est intangible: quand la reine est morte, le prince Charles est devenu roi, son fils prince de Galles. Son petit-fils est devenu deuxième dans l’ordre de succession, et ainsi de suite.
La monarchie est une institution capitale. Un point fixe dans la tourmente que traverse le pays, entre une crise d'unité, une crise économique, politique, culturelle. Alors que l’on parle de réunification de l’Irlande, de l’indépendance écossaise, de l’autonomie du Pays de Galles, de la montée du courant républicain dans les quatorze pays du Commonwealth, la monarchie reste le symbole de l’unité de la nation.