Le grand manitou d'un festival de cinéma devrait pourtant le savoir: des caméras, y'en a partout. Surtout quand on ne s'y attend pas et principalement quand ça ne nous arrange pas des masses. Ce week-end, le directeur général du Festival de Cannes a oublié que le moindre pékin armé d'un smartphone pouvait briller sur tous les écrans du monde, sans passer par le tapis rouge. Dans une vidéo d'une grosse minute, le monde en question a pu découvrir un Thierry Frémaux particulièrement grognon et menaçant.
Trêve de suspens. Dans la nuit de vendredi à samedi, le smoking le plus pressé du festival s'est fait pincer sur les trottoirs de Cannes, à califourchon sur un vélo électrique. Il «roulait un peu trop rapidement», confirmera plus tard la mairie. Oui, on peut facilement imaginer que le very important cycliste était claqué. La fin d'une nouvelle journée ordinairement dense pour Thierry Frémaux avec, dans le désordre, Cate Blanchett, la pluie, une micro-polémique nazie et une alerte à la bombe. Au diable, le code de la route et vivement le matelas douillet du Carlton.
C'est d'ailleurs devant cet hôtel, l'un des 112 palaces de la Croisette, que le directeur général a reçu la goutte qui a fait déborder son vase. Une goutte assermentée puisqu'elle avait pris l'apparence d'un flic municipal. Selon les témoins, le policier aurait prié le directeur électrique de descendre du trottoir ou de l'engin. A choix. Mais par deux fois. En ôtant son casque devant les portiers, Thierry Frémaux s'est donc retrouvé logiquement nez à nez avec son casse-bonbon d'une nuit.
Echauffourées! Bon, quand une huile du grand écran se frotte aux biceps de la maréchaussée, ça ressemble très vite à un mauvais remake de Fight Club avec Christian Clavier. Et vient que ça s'échange des torses à moitié bombés, des menaces gorgées de mépris de classe et des regards revolver. Tout ça, sous l'oeil circonspect des badauds et l'objectif joyeusement malveillant d'un smartphone.
L'énergie est la même mais, pour tout dire, il manquait quand même le bon vieux classique «vous ne savez pas qui j'suis, connard!», dans cette séquence filmée par Eric Morillot, youtubeur controversé. La vidéo s'est d'ailleurs très vite frayée une voie royale à l'extrême droite de Twitter, atteignant près de deux millions de vues en vingt-quatre heures. C'est beaucoup pour découvrir le très distingué patron du festival se rabaisser, dans un coup de fatigue, à aligner les intimidations d'une bouche bourgeoisement pâteuse.
Alors, ce n'est pas allé très loin, puisque le cinoche s'est terminé quelques minutes plus tard, d'une franche et hypocrite poignée de main entre les deux combattants du Carlton. Mais l'incident fut suffisamment long pour pouvoir apprécier la souplesse de l'agent, au moment de jongler avec les formulations les plus respectueuses possibles: «Si je peux me permettre, Monsieur, vous étiez en tort». Sur la vidéo, on aperçoit aussi un employé de l'hôtel qui chuchote trois mots au policier, manifestement pour l'avertir qu'il ne se chamaille pas avec un vulgaire pique-assiette cannois. «Et alors?», répond le flic, collé tout contre sa déontologie en acier trempé.
«Un non-sujet. Un coup de pression comme il en arrive dix fois par jour à Cannes pendant le Festival», dira la mairie le lendemain. Elle n'a pas tout à fait tort. Quand plusieurs dizaines de stars mondiales se retrouvent dans une boîte de conserve habillée par Chanel, sponsorisée par les menaces terroristes et animée par les casseroles de la réforme des retraites, on est en droit d'être un peu tendu. Même quand on est ceinture noire de judo et passionné de vélo, comme l'est Thierry Frémaux.
Car Frémaux à vélo, c'est une longue histoire que le principal intéressé adore mettre en scène depuis plusieurs années. Coucou, je suis chic, dynamique et écolo!
Au point que, la semaine dernière, histoire de raconter les derniers préparatifs de cette 76e édition, le compte Twitter du festival avait fait toute la lumière sur l'acteur principal de la Croisette, devenu, en un coup de pédale, l'arme du crime du petit film de vendredi soir.
Morale de l'histoire: pour continuer à frimer sur la Croisette, il suffit de ne pas rouler comme un débile sur les trottoirs, avec des engins dangereusement à la mode.