Il y a encore des roses, rouges et orange. En revanche, les orchidées ont toutes disparu. Et il n'y a plus de livraisons prévues, nous confie le grossiste Caméo. Il est un peu seul dans son immense hangar où il vend habituellement des fleurs à la pelle. Beaucoup de ses gros clients ne sont pas venus ce lundi. La raison? La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) a annoncé qu'elle bloquerait le marché parisien des produits frais de Rungis dès que ses tracteurs seraient arrivés du sud de la France.
«Et croyez-moi, ce qu'ils disent, ils l'appliquent», assure le commerçant d'Engros. Il n'est pourtant pas ravi:
Rungis, situé au sud de Paris, est aujourd'hui le plus grand marché de produits frais du monde. 1200 entreprises, 13 000 employés y travaillent. Des colonnes de semi-remorques de toute l'Europe livrent chaque jour 5000 tonnes de fruits et légumes dans les halles, ainsi que des fleurs et 2400 tonnes de viande. Depuis Rungis, 12 millions d'habitants de l'agglomération parisienne et 25 000 restaurants sont approvisionnés.
Mais cette véritable fourmilière risque la paralysie. Depuis lundi, les agriculteurs français ont commencé à bloquer les axes d'entrée et les autoroutes autour de plusieurs villes comme Lyon ou Paris.
Les agriculteurs demandent à peu près la même chose que leurs collègues allemands il y a deux semaines: des impôts et des taxes plus bas, des prix plus élevés pour leurs produits et moins de normes écologiques. «Sinon, ils ne pourront plus exister dans l'UE», reconnaît le fleuriste Caméo, plein de compréhension. Ce qui ne l'empêche pas de s'interroger:
Au comptoir du bar Mercato, où les commerçants commandent leur premier expresso à trois heures du matin, Saïd, originaire de Mantes-la-Jolie, à 60 kilomètres de Rungis, fait une pause. Ce pizzaiolo est venu s'approvisionner dans l'enceinte du marché de la taille d'un aéroport. Il sait avec précision combien de temps le marché résisterait à un blocus: «Trois jours», lâche-t-il. «Ensuite, Paris manquera de nourriture.» Le serveur à la barbiche bien taillée acquiesce.
Les perspectives ne sont pas bonnes. Mais le gouvernement ne maîtrise plus vraiment la situation. Le nouveau premier ministre Gabriel Attal a rapidement cédé la semaine dernière: il a retiré sans hésiter l'augmentation prévue des taxes sur le diesel agricole, qui avait déclenché les protestations.
Les agriculteurs français sentent qu'ils peuvent arracher encore plus de concessions à Emmanuel Macron. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a d'ailleurs affirmé qu'il allait «laisser faire» les agriculteurs. C'était sans doute une erreur: les paysans menacent désormais directement Paris, symbole du pouvoir central détesté dans le pays.
De son côté, le marché de Rungis n'a rien d'un symbole. C'est le garde-manger de la capitale. Sans Rungis, Paris a faim. Gérald Darmanin en est conscient. Devant les deux principaux portails, il a fait déployer des véhicules blindés de la police. Dans le ciel, des hélicoptères patrouillent sans relâche, observant l'armée de tracteurs qui arrivent.
«Ils ont peur», exulte à l'air libre un grossiste en fleurs sur son chariot élévateur. Qui? «Attal, Darmanin, Macron, tous ceux-là», énumère l'homme âgé avec mépris.
Ce n'est pas si simple: les agriculteurs français, qui réalisent aujourd'hui un excédent commercial agricole de plusieurs milliards grâce aux exportations de vin et de céréales, ne sont pas fondamentalement opposés à l'UE. Bruxelles leur verse chaque année 9,4 milliards d'euros de subventions, ce qui fait de la France le plus grand bénéficiaire agricole net de l'UE.
«La bureaucratie écologique et climatique de l'UE nous rend tous fous», rétorque le conducteur de chariot élévateur. Des propos dignes de Marine Le Pen. Vote-t-il pour elle? Il refuse de répondre. Ce qui ne l'empêche pas de poursuivre:
L'homme réfléchit un instant puis conclut:
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)