«Je n'aime pas qu'on envoie ses députés dans l'Hémicycle habillés n'importe comment juste pour ressembler aux Français, comme l'a fait La France Insoumise. C'est méprisant.» Que le tout frais ministre déambule en chemise blanche discrètement entrouverte, ou que son costard tombe parfaitement sur ses épaules déjà solides, Gabriel Attal est persuadé que l'élégance n'est pas qu'une question de fringues.
Elisabeth Borne poussée dehors par le patron, Attal devient l'un des plus jeunes premiers ministres au monde et se retrouve catapulté à la tête d'un gouvernement français passablement traumatisé. Pas mal pour cet aimant à jalousies, qui fait sensation à l'Education depuis juillet dernier. Sa fermeté et sa capacité à rentrer dans le lard et le débat au sujet de l'abaya en classe ont dévoilé un gamin qui sait ce qu'il veut.
Ses meilleurs détracteurs ont beau farfouiller, le chenapan fait globalement un sans-faute. Au point que les deux critiques qu'on lui rabat se résument à sa scolarité en école privée et son supposé militantisme LGBT. La première est maigre, la deuxième est simplement nauséabonde.
Il y en a bien une troisième, mais c'est très spécifique à la France: l'ambition. De l'émail qui raie le parquet, des formules «simplistes» qui couvriraient un «vide sidéral», pour une «marionnette» sans aspérité actionnée par l'Elysée. Certes, un ministre trop jeune pour avoir un vrai bilan, mais un ministre suffisamment jeune pour ne pas trimballer de vraies casseroles.
A 34 ans, l'ancien ministre délégué des Comptes publics ne serait donc qu'un pur produit de la comm', au service de lui-même? Disons surtout qu'Attal est un redoutable «sniper» dès qu'un micro traîne dans les parages. Il faut le voir ne plus tenir en place lorsqu'il sent la punchline gravir son œsophage. C'est lui qui avait traité les étudiants de «bobos égoïstes» ou évoqué la «gréviculture» des cheminots sur France Inter, sa salle d'entraînement préférée. Tout le contraire de son prédécesseur, loué pour son sérieux et son bagage, mais piètre orateur.
Le petit prodige bien né est connu pour aimer l'ouvrir large. Il sait mieux que personne vider son chargeur sur un journaliste enquiquineur ou un adversaire qui lui cherche des noises. Pour finir par les achever d'un sourire qu'on dit ravageur. Celui d'un ancien aspirant comédien qui, juste avant sa majorité, décidait de quitter les planches théâtrales pour empiler du pain sur son épaisse planche politique. Une sorte de Romain Duris du macronisme, précoce, beau gosse, bosseur.
Il veut aller loin et il est prêt. Depuis longtemps.
Après des débuts totalement sans filtre, en jeune militant socialiste (dans les pas d'un papa soixante-huitard, décédé brutalement quand Gabriel n'a que 26 ans), il saute dans le train En Marche! en 2016 et doit se résoudre à dresser (un peu) sa gouaille, lorsqu'il devient porte-parole du gouvernement Castex, en 2020.
Avouons aussi que Gabriel Attal a tout pour crisper les moins doués. Millionnaire à 26 ans, par héritage du papa avocat et producteur, enfant de la Rive gauche, il se fait un temps appeler Gabriel Attal de Couriss, piquant la particule de sa maman pour briller en société.
Et puis cette encombrante Ecole Alsacienne, celle qui lui vaut monstres remontrances, maintenant qu'il est censé rafistoler l'école publique. Un club privé, laïque, planté dans le très chic 6e arrondissement de Paris et qui a corrigé les copies de Léa Salamé, Jean-Paul Belmondo, Benjamin Castaldi ou encore Izïa Higelin. «Les liens du rang», titrait Colombe Schneck dans le magazine GQ, pour dénoncer «l'entre-soi» qui rôde dans les couloirs depuis la maternelle.
Délégué de classe obéissant, un peu militant, mais propre sur lui, il ne lui reste plus grand-chose de son passé au PS, parti qu'il avait rejoint pour soutenir Ségolène Royale en 2007. Cinq ans plus tard, poussé au cul une première fois par une Marisol Touraine «bluffée» par sa propension à se montrer «malin et réactif», la ministre sous François Hollande lui confiait alors la supervision de ses discours. A 23 ans, premier record, le voilà plus jeune conseiller ministériel de ce quinquennat.
En 2017, certains diront que durant la campagne des législatives, sous les couleurs de Macron le mentor, Attal «s’est inventé un personnage». Ce qui ne l'empêchera pas d'être confortablement élu, même «s'ils ont tous voulu me faire passer pour un opportuniste et ont balancé des grosses fake news sur moi».
Il existe quelques avantages à ne pas attendre la quarantaine pour faire son nid. Ne serait-ce que pour égayer les rangs de l'Assemblée nationale, en créant un fan-club d'Orelsan. Très à l'aise avec les réseaux sociaux, Gabriel Attal s'en servira pour pêcher du jeune macroniste. Sur Twitch, notamment, où le porte-parole du gouvernement s'entretiendra avec des influenceurs bien en vue, histoire de papoter «détresse de la jeunesse», en bordure de crise Covid. C'était en février 2021, quelques jours à peine après les gesticulations un poil pénibles d'Emmanuel Macron avec les youtubeurs Mcfly et Carlito à l'Elysée.
Une initiative qui n'avait pas fait que des ravis. Agacés par l'aspect purement comm' de l'échange, certains internautes s'étaient donné rendez-vous sous le hashtag #etudiantspasinfluenceurs, pour se plaindre:
Malgré les gueulantes, l'opération sera globalement bénéfique pour l'image de l'Elysée; le pouvoir se disant soucieux de ne pas lâcher la main d'une génération qui s'était sentie glisser durant la pandémie.
La Macronie a tout fait pour Attal. Et il faut dire que l'«en même temps» lui va aussi bien que ses costards taillés au scalpel. Proche de toutes les huiles du mouvement, il était dans les bons papiers de Benjamin Griveaux ou Cédric O. et intime d'un certain député européen, Stéphane Séjourné, conseiller personnel du président, aujourd'hui secrétaire général de Renaissance.
On apprendra l'homosexualité de Gabriel, mais aussi le couple qu'il forme depuis huit ans avec Stéphane, quand le plus âpre ennemi du président, Juan Branco, le révélera sans gêne dans un brulot anti-Macron. Branco, lui aussi, le fruit des bancs de l'Ecole alsacienne: «Cela ne m'a pas empêché de dormir. Quand on était au collège, Juan animait déjà un skyblog où il m'insultait. Je le laisse à sa fixette et à ses mythos», dira Attal à la sortie du bouquin.
«Stéphane Séjourné et Gabriel Attal sont alignés comme un jardin à la française», écrira Le Monde en 2021, pour signifier le pouvoir d'un binôme qui compte beaucoup pour Emmanuel Macron. Le coup de foudre? Pendant une réunion de travail à Bercy, portant sur «l’avenir des professions de santé dans la perspective de la libéralisation des professions protégées dans la future loi Macron». Le romantisme est une histoire de point de vue.
Aujourd'hui, on raconte que le couple a brisé les plus grands rêves de gloire de Stéphane Séjourné, offrant lentement toute la lumière au plus jeune, «toujours dans une recherche de notoriété permanente», dira, en riant, une amie du nouveau ministre de l'Education. Bientôt quinze ans après ses premières répliques cinglantes, l'ancien discret du PS semble donner raison, à la fois à ceux qui lui promettent un brillant avenir, et aux autres, moins enjoués.
En juillet 2023, le nouveau premier ministre avait salué le talent de son ex-patron aux Comptes publics, Bruno Le Maire. A sa façon:
Quelques jours plus tard, en plein été caniculaire, sortait aussi le nouvel épisode de Mission Impossible. En ce début d'année 2024, le fringuant chef du gouvernement a tout à prouver, puisqu'il est probablement la dernière carte forte que le président, en grande difficulté, est en mesure de jouer. Et si Gabriel Attal était simplement devenu le Tom Cruise du gouvernement.