La troisième tentative sera-t-elle la bonne? Le droit de vote des étrangers aux élections locales en France revient sur la table des propositions qui ont toutes les chances de faire valdinguer la vaisselle républicaine. L’idée est portée par le député macroniste Sacha Houlié. Depuis 1992, seuls les ressortissants de l’Union européenne vivant en France peuvent voter aux scrutins municipaux. Les Britanniques, Brexit oblige, ne le peuvent plus.
La proposition de loi que vient de déposer le député Houlié vise à étendre ce droit aux étrangers extra-européens, dont beaucoup, sinon la plupart, sont originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, et de culture musulmane. Maghreb, Afrique, islam: pour une partie de la droite et pour la totalité de l’extrême droite, c’est «niet».
Mercredi matin sur la radio Franceinfo, le député du Rassemblement national Laurent Jacobelli, à l’appui de sa démonstration, a cité le cas de l’imam marocain Hassan Iquioussen, que le gouvernement cherche à expulser de France pour ses prêches «islamistes»: «Ça veut dire que, pour M. Houlié, l’imam Iquioussen aurait pu avoir le droit de vote. On a franchi les limites de l’indécence.»
Le droit de vote des étrangers aux élections locales est un serpent de mer de la vie politique française. C’est à l’origine une idée de gauche, socialiste, pour être précis, deux fois mise en avant. François Mitterrand en 1981, François Hollande en 2012, ont fait cette promesse alors qu’ils concouraient pour l’Elysée. Elus à la présidence de la République, ils ne l’ont pas tenue.
A leur décharge, le caractère constitutionnel de la mesure: pour qu’elle soit acceptée, il faut l’approbation des trois cinquièmes des membres des deux chambres, l’Assemblée nationale et le Sénat réunis en Congrès. Il est certes aussi possible, sous conditions, de soumettre l’objet au vote des citoyens, mais les présidents craignent les référendums: pour les Français, ils sont souvent l’occasion d’exprimer des mécontentements sans rapport avec le sujet débattu.
Pour ses opposants de droite et d’extrême droite, accorder le droit de vote aux scrutins locaux aux étrangers non-membres de l’Union européenne, ne pourrait qu'encourager la formation de «listes communautaires et religieuses» lors d'élections municipales. A l’inverse, le député Sacha Houlié, un ex-socialiste, président de la commission des lois à l’Assemblée nationale, estime qu'en adoptant sa proposition:
Toute la gauche de l’Assemblée nationale applaudit à l’initiative de Sacha Houlié, membre de la majorité présidentielle. Mais son parti, Renaissance (ex-La République en marche), partage-t-il sa vision? Qui aurait un ferme opposant en la personne du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Ce représentant de l’aile droite au gouvernement, à la manœuvre dans la procédure d’expulsion entamée contre l’imam Hassan Iquioussen, défend un projet de durcissement de la loi sur l’immigration, dont le parlement doit débattre en octobre prochain. Il est possible que la démarche entreprise par Sacha Houlié soit une énième illustration de l'en-même-temps macronien: une cuillère pour la droite, une cuillère pour la gauche.
La Suisse est plus ouverte que la France sur la question du droit de vote des étrangers. Plus ouverte, mais pas moins conflictuelle sur le sujet. Les débats ont lieu dans les cantons. Ce sont des lois cantonales qui fixent les règles. Sans surprise, l’UDC est hostile au droit de vote et d’éligibilité des étrangers aux scrutins communaux et cantonaux.
En septembre 2010, dans son bulletin Franc-parler, le parti libéral-souverainiste aux accents populistes écrivait:
En ce sens, la position de l’UDC rejoint la doctrine républicaine qu’invoquent en France les opposants au droit de vote des étrangers, pour qui seule la possession de la nationalité française permet de prendre part aux décisions de la cité.
En Suisse, le droit de vote et d’éligibilités des étrangers aux scrutins communaux et parfois cantonaux, est principalement le fait de cantons romands. Le Jura a été précurseur dès sa création en 1978. La question s’est posée dans ce canton de la possibilité d’élire des maires étrangers. Le parlement était d’accord, mais le peuple a dit «non» en 2014.
Côté romand encore, seul le Valais est réfractaire à l’octroi du droit de votes aux non-Suisses, à quelque échelon que ce soit, communal ou cantonal. C’est justement l’un des points actuellement débattus par l’Assemblée constituante, chargée de réviser la constitution valaisanne. Le conseiller national valaisan UDC Jean-Luc Addor prévient:
Comme le Rassemblement national et tout ou partie de la droite en France, l’UDC estime qu’accorder le droit de vote aux étrangers aux scrutins locaux «les dispense de faire l’effort de s’intégrer». Les partisans de l’ouverture des droits civiques aux non-Suisses soutiennent le contraire. Une bonne partie du débat porte ici à n'en point douter sur la notion d’intégration, sur le sens de ce mot.
En France, une large majorité semble disposée à accorder le droit de vote aux étrangers aux élections locales. Selon un sondage Harris Interactive datant de 2021, 67% sont pour. C'est 13 points de plus par rapport à une précédente mesure réalisée en 2013.