Pure calomnie ou accusations fondées? Une plainte pour harcèlement sexuel vise, depuis lundi, Eric Coquerel, l’un des dignitaires de La France insoumise (LFI), le parti de Jean-Luc Mélenchon. Sophie Tissier, ex-militante des gilets jaunes, ce mouvement social qui mit la France sens dessus dessous de novembre 2018 à fin 2019, menaçait Coquerel depuis plusieurs jours d’une action en justice. C’est désormais chose faite et cela peut se révéler embarrassant pour un parti qui se veut à l’avant-garde du combat féministe et de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Déjà ébranlée par l’affaire Taha Bouhafs, du nom de ce jeune homme contraint de retirer sa candidature aux législatives de juin suite à une accusation de violence sexuelle à son encontre, la formation de gauche se serait bien passée de cette plainte dirigée contre l’un de ses pontes.
Eric Coquerel est un pilier de La France insoumise. Il vient qui plus est d’être élu à la présidence de la commission des finances de l’Assemblée nationale, un poste en vue, dont hérite traditionnellement un parti d’opposition.
C’est alors que son nom circulait pour ce poste que d’anciennes accusations et rumeurs le concernant ont refait surface. Comme le rappelle l’édition française de 20 Minutes, le magazine Causette, dans une enquête parue en 2018, avait cité deux témoignages anonymes (dont celui de Sophie Tissier) mettant en cause un «responsable» pour des «dérapages connus et courants» à LFI, dont de jeunes militantes à l’époque auraient été l’objet. Derrière ce «responsable», les initiés avaient reconnu Coquerel.
Invitée dimanche de BFMTV, Sophie Tissier a décrit «des gestes déplacés, des mains baladeuses», lors d’une soirée organisée par le parti en 2014, évoquant «un regard salace, gluant», et lors de la soirée dansante «une drague lourdingue», un comportement «outrancier, offensant, harcelant», de la part du député Coquerel, rapporte encore 20 Minutes. «Ce n’était pas une agression physique, dans le sens où il n’y a pas eu de violence physique, mais le harcèlement, c’était quand même traumatisant», a-t-elle précisé.
Et maintenant? Les adversaires de La France insoumise ne se gênent pas pour lui demander de mettre ses actes en accord avec sa doctrine:
Donc @Clem_Autain , vous allez immédiatement demander la démission d’@ericcoquerel conformément à votre jurisprudence constante d’écouter la parole de la femme et plaignante? https://t.co/QuFEWAh332
— G-William Goldnadel (@GWGoldnadel) July 4, 2022
Le parti de Jean-Luc Mélenchon, qui a redoublé de virulence à l’encontre de l’ex-ministre d’Emmanuel Macron, Damien Abad, à compter du moment où une plainte pour viol a été déposée contre lui, le 27 juin, est renvoyé à ses principes et placé face à ses contradictions. N'est-il pas celui qui, à l'appui de la «parole des femmes», fait valoir la présomption de «crédibilité» ou de «sincérité», au même titre, sinon plus, que la présomption d'innocence reconnue en droit? Dans ce cas, pourquoi donne-t-il l'impression de vouloir ménager Eric Coquerel?
Deux députées de la Nupes (la coalition de gauche réunissant Insoumis, écologistes, communistes et socialistes) sont particulièrement investies dans la dénonciation du «patriarcat» et contre les violences faites aux femmes: Clémentine Autain (LFI) – interpellée par l’avocat Gilles-William Goldnadel dans le tweet ci-dessus – et Sandrine Rousseau (écologiste). Les voilà toutes deux bien obligées de se déterminer sur la cas «Coquerel», paraît-il affublé de surnoms grivois comme «Coqueraide» ou «Berluscoquerel».
Alors que, le 1er juillet encore, LFI défendait Eric Coquerel contre des «rumeurs», la plainte déposée lundi par Sophie Tissier change la donne et les postures. Dimanche déjà, quand il n’était question que de «pré-plainte», la future plaignante ayant ce jour-là étayé ses accusations sur le plateau de BFMTV, Sandrine Rousseau semblait prendre ses distances avec le puissant Eric Coquerel. D’où ce tweet:
Ce que décrit @sophietissier23 est exactement ce qui décourage bien des femmes de militer. Ne pas se sentir reconnue pour ses compétences, être ramenée à un corps. Nos organisations politiques sont sexistes. Notre responsabilité est collective pour que cela change.
— Sandrine Rousseau (@sandrousseau) July 3, 2022
L’ancien président de la République, Jacques Chirac, avait coutume de dire que les «emmerdes, ça vole toujours en escadrilles». Taha Bouhafs, qui s’était tu depuis sa mise à l’écart de la France insoumise le 10 mai, a publié, mardi, sur Twitter, un long texte qui vaut mise au point autant que mise en cause de certaines personnes au sein de LFI. Il en veut en particulier à Clémentine Autain.
Celle qui a été réélue députée de Seine-Saint-Denis lui aurait clairement fait comprendre, lors d'un entretien dans un café, qu’il n’avait pas d’autre choix que celui de retirer sa candidature, sans même qu’il puisse savoir de quels gestes on l’accusait exactement. Bouhafs était prié de rédiger un communiqué – ce qu’il fit –, dans lequel il mettrait son retrait de la campagne des législatives sur le compte d’un trop plein de racisme à son endroit. On sauverait momentanément les apparences.
Après un difficile et long silence, c’est le moment pour moi de reprendre la parole, pour vous donner les explications que je vous dois.
— Taha Bouhafs 🔻 (@T_Bouhafs) July 5, 2022
Et demander les réponses que l’on me doit.
Lettre ouverte à la @FranceInsoumise
1/2 pic.twitter.com/PXrXkvC2I1
Où l’affaire «Coquerel», où le rebondissement de l’affaire «Bouhafs» emmèneront-ils la France insoumise? C’est peut-être toute sa stratégie de gestion des accusations de violences sexuelles qui risque de voler en éclat. Ne faisant plus confiance à la justice pour instruire les plaintes pour violences sexuelles déposées pas des femmes, lui reprochant sa propension à les classer sans suite, elle a institué en son sein-même un «comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles (VSS)».
Un comité décrié par certains pour son fonctionnement «stalinien», façon «ministère pour la promotion de la vertu et la répression du vice». Une justice interne qui n’est pas la justice ordinaire et qui peut virer à l'arbitraire sous couvert de lutte contre les «VSS».
C’est le sens du tweet au vitriol publié par un ex-membre de LFI, l'intellectuel Thomas Guénolé. Tweet où il rappelle avoir été accusé à tort de harcèlement sexuel, sur la base d’un dossier sans preuves, affirme-t-il. «Ils sont à vomir», dit-il en parlant des cadres du parti, au rang desquels Eric Coquerel:
Affaire #Coquerel: toute cette clique #LFI disant "Il ne faut pas accuser sans preuves" est répugnante. Car moi qui étais innocent (la justice l'a confirmé 2 fois suite à ma plainte), m'accuser sans preuves à l'aide d'un dossier vide, ça ne les a pas dérangés. Ils sont à vomir. pic.twitter.com/1GVduOjpsy
— Thomas Guénolé 🇪🇺 (@thomas_guenole) July 4, 2022
On notera la concomitance de la plainte déposée contre Eric Coquerel, des réactions embarrassées qu’elle suscite à LFI et de la parution, mardi, du long communiqué de Taha Bouhafs. L’entrée en lice, la semaine dernière, de la journaliste et militante antiraciste Rokhaya Diallo, chargeant Eric Coquerel, peut être interprétée, ça l’est déjà, comme une vengeance par personne interposée de Taha Bouhafs contre La France insoumise.
En cohérence avec mes convictions féministes, je dis d’E. Coquerel ce que je dirais de toute personne: il me semble incohérent qu’un parti promouvant des valeurs d’égalité choisisse pour cette commission une personne faisant l’objet de telles accusations. pic.twitter.com/HmUq3DnLBY
— Rokhaya Diallo (@RokhayaDiallo) June 30, 2022