Tout président français, aussi fraîchement élu qu'une huître frétillante sur glace pilée, se doit de fêter sa victoire autour de quelques bonnes denrées comestibles.
Un menu de la victoire qui n'a rien d'anodin. Bien au contraire. «Le repas du président élu a une dimension symbolique. Ce moment en dit long sur la psychologie du personnage», affirme le politologue Stéphane Rozès interrogé par Madame Figaro. «C'est une scène d'exposition du quinquennat à venir», renchérit la journaliste Judith Perrignon.
Du côté des vainqueurs comme des perdants, les candidats s'attablent généralement assez tard le soir de l'élection. On installe des buffets dans les QG.
Mais alors... que mange-t-on pour célébrer la consécration politique ultime?
Le 19 mai 1974, le jour de son élection, Valéry Giscard d'Estaing partage son repas de midi à l'hôtel Radio, dans la commune de Royat, avec des journalistes. Au menu? Du turbot.
Le soir même, pour le nouveau président élu, pas de grande soirée électorale, mais une célébration en comité réduit dans son QG de campagne parisien. Un hôtel particulier de la rue de la Bienfaisance, dans le huitième arrondissement. «On ne l'a pas vu dîner. C'est un président solitaire», commente le politologue Stéphane Rozès.
Une sobriété à l'image du président, lequel était un grand adepte, dit-on, de la «cuisine diététique». Lorsqu'il prend ses quartiers à l'Elysée, Giscard va jusqu'à rayer de la carte les planches de charcuterie et les sauces au beurre. Sacrilège! Il les remplace par des mousselines, des flans légers et autres vinaigrettes aux herbes.
Sept ans plus tard, le 10 mai 1981, l'amateur de la cuisine light perd l'élection face au socialiste François Mitterrand.
Ce dernier suit l'élection depuis son fief de l’hôtel du Vieux Morvan, à Château-Chinon. La patronne de l'hôtel, Ginette Chevrier, devenue amie intime du président, se souvient du menu de midi ce jour-là: «Asperges en rémoulade, gigot d'agneau avec des cèpes et des flageolets, que François aimait beaucoup».
Vers 18h30, François Mitterrand apprend sa victoire. Le président élu prend alors tardivement la route pour Paris, située à trois heures de route... avec un casse-croûte. Selon le journaliste de l'AFP Pierre Favier, Mitterrand a certainement emporté avec lui un en-cas préparé par Ginette Chevrier.
Mais Mitterrand n'est pas seulement un grand amateur de produits du terroir. L'expression «gauche caviar» lui sied aussi comme un gant: tout au long de son mandat, il est connu pour se sustenter de produits de luxe comme les fruits de mer, le foie gras, les truffes et le caviar.
Le 7 mai 1995, jour de son accession au pouvoir, Jacques Chirac prononce un discours avenue d'Iéna. Après quoi, il dépose sa femme Bernadette rue de Tournon, chez François Pinault, avant de regagner l'Hôtel de ville. «Il aura sans doute mangé là-bas, en petit comité», estime Philippe Goulliaud, journaliste au Figaro qui couvre l'événement ce jour-là.
Si l'on ignore le menu servi ce jour-là à l'Hôtel de ville, une chose est sûre: Chirac restera gravé dans l'histoire pour son solide coup de fourchette et son amour immodéré de la ripaille.
Parmi ses péchés mignons: escargots, hachis parmentier, boudin noir, choucroute, poulet rôti… Des canailleries bien françaises qu'il arrose de bière. Sa préférée? La Corona... dont il pouvait siffler plusieurs bouteilles au cours d'un repas, indique Le Point.
Le 6 mai 2007, Sarko fête sa victoire en compagnie de quelques proches triés sur le volet... au lieu dit Le Fouquet’s. Le choix de ce restaurant chic des Champs-Elysées lui vaut définitivement le sobriquet de «président des riches» - et surtout, la première polémique de son quinquennat.
Pourtant, le menu n'a rien de décadent: amuse-bouche et mini-hamburgers en entrée, un risotto aux artichauts et aux crevettes (même pas de langoustines) en plat de résistance, et pour le dessert... une étrange pièce montée composée de riz soufflé et de roses des sables. Un dessert très apprécié, dit-on, du président Sarkozy, par ailleurs grand amateur de Coca-Cola.
Toutefois, celui-ci n'a jamais été un grand passionné de la mangeaille. Même pour les dîners officiels, il ne passe guère plus de 45 minutes à table.
Le jour de son élection, le socialiste François Hollande déjeune au Central, petit resto familial à la déco rococo - papier peint à fleurs et nappes en macramé -, situé à deux minutes en voiture de son QG de campagne, en Corrèze. Il y prend son dernier repas avant l'annonce des résultats du second tour de la présidentielle. Au menu: «En entrée, une terrine de canard aux asperges. En plat, un filet de bœuf sauce Périgueux accompagné de petites pommes de terre rissolées. Et en dessert, un fraisier», indique Madame Figaro. La carte ne précisera pas si c'était des fraises des bois.
Si les cuisiniers du palais de l'Elysée ont été habitués à cuisiner des «plats sains» sous le très pressé Sarkozy, ils ont dû revoir les menus à l'arrivée de Hollande, plus connu pour son goût pour la classique «entrecôte-frites» que pour les légumes: c'était d'ailleurs son repas de prédilection lorsqu'il avait l'occasion de prendre un dîner tranquille.
S’est-il amusé lors d'une interview en 2021, assumant à quel point il s'est révélé «désespérant pour les cuisiniers».
En 2017, pas encore élu président de la République, Emmanuel Macron commet un premier impair (culinaire). Au soir du premier tour, il fête son accession à l'élection finale avec ses soutiens/copains. Son choix se porte sur la Rotonde, où il a ses habitudes. Mais cette brasserie huppée et intello de Montparnasse fait jaser. On dénonce à grands cris un Fouquet's 2.0.
Le soir de ce dîner décrié, Emmanuel Macron aurait gobé quelques huîtres, des asperges et siroté un peu de champagne. «Un repas abdo-fessiers compatible», ricanait Libération, qui a estimé la facture d'un repas complet autour d'une quarantaine d'euros. Comptez le double ou le triple pour le Fouquet's.
Hier soir, à l'issue de son discours de réélection sur le Champ-de-Mars, Emmanuel Macron se retire à la résidence de La Lanterne, pavillon versaillais de la présidence, à 30 minutes de Paris. Le couple Macron a coutume d'y passer ses week-ends, indique le JDD.
Plutôt que de fêter ostensiblement sa reconduction et s'exposer aux critiques - comme il l'avait lui-même fait à La Rotonde, Emmanuel Macron a opté pour la sobriété en organisant un «évènement privé». L'initiative ne l'a toutefois pas empêché d'essuyer quelques critiques sur les réseaux sociaux.
Le mystère plane toujours sur le menu de victoire du président reconduit. Qui sait: peut-être un steak de bœuf préparé par les Boucheries nivernaises, établissement qui fournit l'Elysée depuis plusieurs années, son péché mignon? En tout cas, Emmanuel Macron n'a jamais caché son goût pour les plats «d'enfants» et les préparations simples, comme les pâtes.