Un naufrage. Un désastre. Un fiasco. Quand il s'agit de désigner l'affaire qui hante encore, 20 ans après, les tribunaux et les commissariats français, les qualificatifs ne sont jamais assez forts.
On a beau avoir consacré à l'affaire d'Outreau plus d'articles, livres, documentaires et mea culpa que de la plupart des affaires judiciaires, une nouvelle série télévisée s'apprête à nous replonger dans les archives et les souvenirs.
Pour ce projet à mi-chemin entre cinéma, série et théâtre, documentaire et fiction, six protagonistes ont accepté de raconter le terrible engrenage ayant mené à jeter quatorze innocents en prison. Avant la diffusion des premiers épisodes ce mardi à 21h10 sur France 2, voici un avant-goût du tourbillon médiatique et pénal.
L’affaire débute au début des années 2000 à Outreau, petite ville de 13 000 âmes au bord de la Manche. La localité est encore marquée par l'affaire Dutroux, du nom du tristement célèbre assassin et pédophile belge. La France, quant à elle, bruisse des rumeurs de prétendus «réseaux pédophiles organisés» qui séviraient sur tout le territoire.
En janvier 2001, Myriam Badaoui et Thierry Delay, couple résidant au cinquième étage de la Tour du Renard, immeuble de la cité HLM d'Outreau, sont arrêtés. Quelques mois plus tôt, on leur a retiré la garde de leurs quatre enfants. Une procédure judiciaire a été ouverte pour permettre aux garçons d’échapper au climat familial «néfaste», après qu'ils aient confié à une assistante sociale les «méthodes» de papa et maman. Parmi lesquels inceste, violence, abus, visionnage forcé de films pornos.
Deux voisins de l'immeuble, David Delplanque et Aurélie Grenon, tombent à leur tour dans l'escarcelle judiciaire. Les deux couples sont soupçonnés d'avoir échangé sur le palier cassettes pornographiques et enfants à des fins de sévices sexuels.
L'histoire aurait pu s'arrêter là.
Mais aux témoignages confus des enfants se mêlent celui des voisins et de Myriam Delay. A tour de bras, les victimes désignent des dizaines d'autres habitants d'Outreau: une épicière itinérante, un prêtre-ouvrier, une infirmière scolaire, un chauffeur de taxi, un artisan ou encore un huissier de justice.
Au terme d'une véritable chasse aux sorcières, 18 adultes, hommes et femmes confondus, suspectés d'avoir fait partie du «gang d'Outreau» et participé au viol de 18 enfants au cours de soirées dans la salle à manger de Myriam Badaoui et Thierry Delay, sont arrêtés.
Tous, à une exception près, sont incarcérés. Certains passeront trois ans de leur vie en prison. L'un d'eux, François Mourmand, meurt dans sa cellule des suites d'une surdose de médicaments. Il a 32 ans.
Très vite, l'affaire s'emballe et la presse nationale accourt. Cette fois, ça y est: on pense avoir trouvé l'un des fameux «réseaux» pédophiles dont tout le monde parle.
A Outreau, on raconte que des voisins s'échangeraient leurs enfants pour les prostituer auprès des «nantis» de la ville. On parle d'orgies filmées dans une ferme belge, où des animaux, vaches et moutons, seraient mis à contribution. Des vidéos résultant de ces «parties fines» seraient diffusées ensuite sur des circuits parallèles, dont le centre névralgique est un sex-shop d'Ostende. L'affaire atteint un point culminant quand un «témoin» dénonce la dissimulation du cadavre d'une fillette de six ans.
Influencés par les rumeurs, des enfants commencent à confondre fantasmes et réalité. L'affaire se corse. Qui est victime? Qui est coupable? Qui invente quoi?
Au fil des quatre ans de procédure, chroniqués au jour le jour par les envoyés spéciaux de tous les grands médias nationaux, les voilà bien obligés de constater qu'il n'existe pas plus de réseau pédophile à Outreau, que de sex-shop à Ostende, ou de ferme à orgies bestiales en Belgique. Et encore moins de cadavre d'enfant enterré au fond du jardin.
L'affaire d'Outreau a toutefois projeté une lumière crue sur les défaillances des institutions: juges, parquet, chambre de l'instruction censée contrôler le travail du juge, conseil général, assistantes maternelles, avocats de la défense, psychologues et médias.
Le visage du scandale prend les traits du juge d'instruction Fabrice Burgaud, 30 ans, qui vient tout juste de quitter les bancs de l'école.
Trois procès aux assises plus tard, une lueur de vérité semble enfin émerger de cette une affaire où témoignages, souvenirs, mensonges se mêlent, s'emmêlent et se confondent.
Sur les 17 accusés, quatre sont définitivement déclarés coupables: les Delay-Badaoui et le couple de voisins de la Tour du Renard. Tous reconnaissent les faits. Thierry Delay et Myriam Badaoui écopent respectivement de 20 et 15 ans de réclusion criminelle pour viols, agressions sexuelles, proxénétisme et corruption de mineurs.
Les autres sont acquittés. Douze enfants sont reconnus victimes. Autant de vies brisées. Un lourd tribut à payer pour aboutir à quelques réformes parmi les plus marquantes de l'histoire pénale française, et à la morale que la parole des enfants n'est pas toujours d'or.