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France: «La laïcité, ce n'est pas un compromis»

C'est Jean Jaurès, l'un des pères de la laïcité et Jean-Pierre Sakoun en médaillon.
Jean Jaurès, l'un des pères de la laïcité. Jean-Pierre Sakoun en médaillon.Image: watson/dr

Il dénonce «les fossoyeurs de la laïcité» en France

Jean-Pierre Sakoun est le président de l’association Unité Laïque. A l'occasion des 120 ans de la loi française de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat, il a répondu aux questions de watson.
08.12.2025, 19:0808.12.2025, 22:06

Il y a 120 ans, le 9 décembre 1905, les parlementaires français adoptaient la loi de séparation des Eglises et de l'Etat instaurant la laïcité. Une loi aujourd'hui poussée dans ses retranchements par divers acteurs communautaires, politiques ou religieux. Farouche défenseur de la loi de 1905, Jean-Pierre Sakoun préside l’association Unité Laïque. Il a également été l'initiateur et président du comité pour l’entrée du résistant communiste arménien Missak Manouchian au Panthéon, en 2024.

Pourquoi la France en est-elle venue à voter la loi de 1905 sur la laïcité?
Jean-Pierre Sakoun: Cette loi résulte de la Révolution française de 1789. Une loi qui s’est faite au nom des Lumières et en particulier des Lumières françaises. Qui sont beaucoup plus rationalistes que les Lumières anglaises, qu’on appelle l’Enlightenment et qui se sont traduites par la mise en place d’une société fondée sur la tolérance, c’est-à-dire sur une forme d’inégalité entre tolérant et toléré. La société française, elle, dès la Révolution, aspire à l’égalité, en particulier à travers la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui est rédigée et conçue dès août 1789, et qui dans ses articles 3 et 10 définit déjà en réalité ce qu’est la séparation entre les Eglises et l’Etat, d'une part, la liberté de conscience, d'autre part.

Que trouve-t-on dans ces articles?
L’article 10 dit que nul ne peut être inquiété pour ses opinions religieuses dans les limites de l’ordre public, ce qui est pratiquement la manière dont est rédigé l’un des articles de la loi de 1905. Quant à l’article 3, il dit que la souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut imposer sa règle à qui que ce soit.

«Vous avez là à la fois la séparation entre les Eglises et l’Etat, et l’idée que la seule loi qui vaille, c’est la loi du peuple souverain»

Et que toutes les règles, y compris les règles religieuses, ne s’appliquent qu’à ceux qui veulent bien les respecter le temps qu’ils veulent les respecter.

Qu'est-ce qui change, à partir de là?

«A partir de là se met en place tout un processus de laïcisation, qui passe par l’universalisation des droits et des devoirs»

Cela veut dire, en réalité dès 1787 déjà, le retour dans la Nation des protestants qui en ont été exclus par l’abrogation de l’Edit de Nantes par Louis XIV en 1685; l’entrée des juifs dans la Nation en 1791; l’entrée des Noirs esclaves dans la Nation, puisque l’abolition de l’esclavage est prononcée en 1794 (il sera rétabli par Napoléon dans les colonies françaises en 1802). Tout un tas de lois, l’état civil, le mariage civil, le divorce civil, la neutralité des cimetières, la liberté des funérailles vont dans le sens d’une laïcisation totale de la société. Ça, c’est la laïcisation des corps. A côté de cela, il y a la laïcisation des esprits.

C'est-à-dire?
La laïcisation des esprits, c'est la création en 1882 de l’école laïque, républicaine, gratuite et obligatoire. A partir de là s’est mis en place un processus qui s’achève en 1905. La loi de 1905 ne s’appelle d’ailleurs pas «la loi de séparation», mais «la loi concernant la séparation des Eglises et de l’Etat». Ce qui signifie que cette séparation est en œuvre depuis très longtemps.

«La loi de 1905 n’est donc pas un début, mais la fin d’un long processus de plus d’un siècle de laïcisation de la société»

Elle sanctifie si j’ose dire ces trois points que sont l’universalité des droits et des devoirs, la liberté des corps, la liberté des esprits.

Qui soutient la loi de 1905?
C’est la gauche, en particulier les républicains radicaux, qui portent cette loi. Parmi eux, Jean Jaurès et Aristide Briand. La droite, elle, est assez profondément réactionnaire. Elle prend le parti catholique pour maintenir l’idée d’un concordat où la religion catholique serait reconnue comme la religion de la majorité des Français a minima.

«La République prend le dessus»

Pourquoi la loi de 1905 s’impose-t-elle alors?
Elle s'impose parce qu’elle est en gestation depuis plus de cent ans. D’autre part, après une première période de flottement de la IIIe République (née en 1870), période durant laquelle les républicains sont relativement faibles par rapport aux autres forces représentées à l’Assemblée que sont les monarchistes légitimistes, les monarchistes orléanistes et les bonapartistes, la République prend le dessus véritablement à partir de 1877. Cette année-là, les républicains dits opportunistes, autour de Jules Ferry notamment, prennent conscience du fait qu’ils n’ont pas encore une force suffisante pour mettre en œuvre la séparation des Eglises et de l’Etat, qui est au cœur du projet républicain.

Que vont-ils faire alors?
Ils vont mettre en place, en vue de la séparation, les lois de laïcisation de l’école qui sont prises entre 1879 et 1886. Ces lois vont préparer plusieurs générations de Français, qui, en 1905, auront accompli le chemin intellectuel et citoyen leur permettant d’être favorables à la séparation des Eglises et de l’Etat.

A compter de 1905, l’Eglise a moins prise sur les affaires publiques?
Elle n’a plus prise sur les affaires publiques.

Venons-en à la période actuelle. La laïcité, qui est l’autre nom donné à la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, fait l’objet d’une bataille d’interprétation entre une laïcité dite libérale et une laïcité dite stricte, à laquelle vous appartiendriez, Jean-Pierre Sakoun. Qu'en est-il?

«Soyons très clairs, il n’y a qu’une laïcité. Ceux qui se réclament d’une laïcité dite libérale sont les fossoyeurs de la laïcité»

La laïcité, ce n’est pas un compromis. En 1905, c’est une décision qui est prise entre les députés de la gauche républicaine, qui se mettent d’accord sur le degré de déchristianisation par rapport à certains qui veulent rendre le christianisme hors la loi. Les premiers restent à un degré qui est la liberté de conscience et la séparation des Eglises et de l’Etat. Mais jamais la loi de 1905 n’a été le moindre compromis entre l’Eglise et la République.

«Au point que les députés catholiques qui ont voté la séparation ont tous été en 1906 excommuniés par le pape»

On n’est donc pas du tout à l’époque dans la négociation. Dernier point, qui n’est pas le moindre, aujourd’hui, ces gens qui se disent d’une laïcité libérale, veulent à tout prix réduire la laïcité à la neutralité de l’Etat, parce que cela leur permet de dire que la société n’est pas laïque, mais qu’elle est multireligieuse. Car c’est cela qu’ils veulent, une société multiconfessionnelle, pas une société laïque.

N'ont-ils pas en partie raison?
Nullement. L’article premier de la loi de 1905 est très clair là aussi. Première phrase: «La République assure la liberté de conscience.» Deuxième phrase: «Elle garantit le libre exercice du culte.» Or, «assurer», en droit, c’est une obligation de résultat. La République n’est pas une sorte de creux dans lequel s’instaure une espèce de neutralité où les religions vivent bien ensemble.

«La laïcité de la République, c’est le fait de prendre la peine de faire des Français des gens qui ont leur conscience libre»

Cela ne veut pas dire qu’ils sont des athées. Cela veut dire qu’ils sont suffisamment libres pour pouvoir faire leur choix en toute connaissance de cause. Lorsque les tenants d’une laïcité dite libérale disent que la laïcité, ce n’est que la laïcité de l’Etat, ils reprennent très exactement les arguments de la droite conservatrice, qui, dès 1908, voulait, ayant perdu la bataille principale, celle de la séparation des Eglises et de l’Etat, limiter la séparation au maximum. Et qui proclamaient sans cesse que la séparation n’était que la neutralité de l’Etat.

«Jean Jaurès leur a répondu avec une phrase magnifique: "Il n’y a que le néant qui soit neutre"»

La République, ce n’est pas le néant, c’est une volonté d’émancipation.

Aujourd’hui, la loi de 1905 est-elle en bonne santé?
La loi est en très bonne santé, mais elle est attaquée très violemment par ses vrais ennemis et ses faux amis.

Qui sont ces vrais ennemis?
On peut rapidement les citer. Vous avez évidemment les religions. Et plus les religions sont représentées par des intégristes, plus ces religions sont ennemies de la laïcité.

«D’autre part, parmi ces vrais ennemis de la laïcité, vous avez, et c’est un retournement affligeant, la gauche radicale»

Ayant abandonné tout son passé universaliste, elle s’est aujourd’hui transformée en une machine communautariste destinée à flatter les communautés et en particulier la communauté musulmane, pensant que les Français d’origine ou de confession musulmane vont la suivre, parce qu’ils seraient incapables de comprendre la laïcité et parce que la seule chose qui leur irait bien, c’est la religion. C’est d’un paternalisme absolu.

Qui sont les faux amis?
C’est le Rassemblement national, qui passe son temps à nous expliquer qu’il est laïque, alors qu'il fait un mal fou à la laïcité en en faisant un outil xénophobe contre les populations immigrées. Par ailleurs, ce sont les tenants d’une laïcité dite libérale qui jettent la confusion sur la laïcité depuis trente ans.

Ne faudrait-il pas amender la loi de 1905 pour permettre l’intégration des musulmans?
Non, pour la bonne raison que les citoyens musulmans sont des citoyens comme les autres, parfaitement capables de comprendre ce qu’est la liberté de conscience.

«Et le pari de la République, c’est de les intégrer, comme tout un chacun, dans le cadre de l’émancipation républicaine»

Amender, cela voudrait dire transformer la laïcité en concordat, autrement dit en un retour à un compromis entre l’Etat et l’Eglise, soit tout ce contre quoi nous avons combattu pendant trois siècles pour donner la liberté aux individus.

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