International
Guerre contre l'Ukraine

Comment les Ukrainiennes accouchent sous les bombes

Comment les Ukrainiennes accouchent sous les bombes de Poutine

Le taux de natalité en Ukraine a chuté de manière drastique depuis le début de la guerre. Pour les couples qui décident tout de même d'avoir des enfants, l'accouchement est souvent compliqué: plusieurs maternités ont été bombardées par les Russes.
03.09.2023, 16:27
Stefan Schocher, Kiev / ch media
Plus de «International»

Un bébé s'étire dans sa grenouillère, un gros crachat devant la bouche, risquant un regard timide vers le monde. Le petit garçon a tout juste quatre heures et n'a même pas encore de nom. Elle ne sait pas encore comment l'appeler, dit Lilia, la mère, en caressant la petite tête.

Elle est visiblement fatiguée, mais aussi très heureuse. Pendant les contractions, les alarmes aériennes ont retenti trois fois de suite. A la maternité n°3 de Kiev, il faut alors tout descendre à la cave. Et vite. Puis remonter, redescendre, remonter, redescendre. Finalement, le petit garçon a vu le jour en haut. A 06h20, un jeudi.

Épuisée et heureuse: Lilia et son petit garçon.
Épuisée et heureuse: Lilia et son petit garçon.Image: Stefan Schocher

L'hôpital a dû s'adapter aux circonstances. Désormais, tout est disponible dans la cave, explique Lioubov Mokhalova, obstétricienne à la clinique. Mais le sentiment de malaise est toujours là: les maternités figurent parmi les cibles de la Russie.

La clinique de Kherson a été bombardée plusieurs fois de suite par l'artillerie russe après la reprise de la ville. Des maternités ont été touchées à Zaporijia, à Toretsk, à Kiev également, alors que la ville était encore assiégée. Et l'attaque massive de la maternité de Marioupol le 9 mars 2022 a probablement été l'un des événements les plus marquants de cette guerre.

«Oui, nous avons peur»
Lioubov Mokhalova

C'est pourquoi, sans exception, les médecins descendent à la cave lorsque les sirènes hurlent. «Ce n'était pas si mal de se déplacer, de marcher», confie Lilia.

L'obstétricienne Lioubov Mokhalova (à droite) et le gynécologue Ruslan Dovgalov.
L'obstétricienne Lioubov Mokhalova (à droite) et le gynécologue Ruslan Dovgalov.Image: Stefan Schocher

Beaucoup plus de naissances prématurées

Les conséquences de cette guerre sur les mamans et leurs bébés sont évidentes: «Bien sûr, le stress a des effets», dit le gynécologue Ruslan Dovgalov, qui travaille également à la maternité n°3. Il énumère les complications qu'entraînent les alertes aériennes permanentes, les tirs de défense antiaérienne audibles, les explosions, même dans la ville relativement sûre de Kiev: ruptures prématurées des membranes, contractions, hémorragies.

«Il y a beaucoup plus de naissances prématurées»
La clinique d'accouchement n°3 de Kiev: les hôpitaux sont régulièrement la cible d'attaques russes.
La clinique d'accouchement n°3 de Kiev: les hôpitaux sont régulièrement la cible d'attaques russes.Image: Stefan Schocher

Valeria, dans la chambre à côté de Lilia, raconte comment, ces dernières semaines, elle s'est traînée jusqu'à la cave lors des alarmes. Mais parfois, elle n'y arrivait tout simplement plus. Elle soulève prudemment sa fille du petit lit, la regarde et demande: «Arina? Maria?» Elle n'arrive pas à se décider.

Elle aussi a passé une longue nuit. Elle aussi a dû descendre plusieurs fois à la cave. Et la petite fille a peu dormi. Mais maintenant, elle attend son mari et sa belle-mère. Elle rentre chez elle.

Valeria peut à nouveau quitter la clinique avec sa petite fille.
Valeria peut à nouveau quitter la clinique avec sa petite fille.Image: Stefan Schocher

Au-delà du quotidien difficile dans la clinique, cette guerre a une conséquence plus globale, qui se traduit déjà dans les statistiques: beaucoup moins d'enfants viennent au monde en Ukraine.

Selon les derniers chiffres, le taux de natalité s'est effondré de 28% au cours du premier semestre 2023 dans le pays. Et les perspectives sont sombres: selon l'Institut d'études démographiques Ptoukha. Le nombre d'habitants de l'Ukraine pourrait passer de 43 à 35 millions d'ici 2030.

Des centaines d'hôpitaux détruits

Le taux de natalité n'est qu'un aspect parmi d'autres. A cela s'ajoutent l'exode des jeunes et le vieillissement de la population, ainsi que la situation générale du système de santé, qui s'est détériorée. 873 hôpitaux, polycliniques ou établissements médicaux ont été endommagés ou détruits depuis le début de la guerre, en février 2022.

A la maternité n°3 de Kiev, on est passé d'une dizaine d'accouchements par jour à environ six, explique Lioubov Mokhalova. Les questions auxquelles elle est confrontée en tant que médecin sont également très différentes en ces temps:

«La demande concernant les méthodes de contraception a fortement augmenté»

Après un an et demi de guerre ouverte avec la Russie, elle résume la situation de la manière suivante:

«Il y a des couples qui ont décidé de mettre leur vie entre parenthèses et qui ont abandonné tous leurs projets de vie jusqu'à nouvel ordre. Mais il y a aussi des couples qui ont décidé de ne pas se laisser abattre, d'aller de l'avant et qui soulagent leur stress par le sexe. Et il y a ceux qui sont partis à l'étranger.»

Leur ville n'existe plus

Pavel traverse le couloir à grandes enjambées, un énorme bouquet de fleurs à la main. Il ouvre la porte, mais jette immédiatement le bouquet dans un coin. Il prend sa femme Lilla dans ses bras, se penche sur son fils Stefan.

Lilla est assise sur ses valises, attendant qu'on vienne la chercher. Ils viennent tous deux de la région de Lougansk, plus précisément de Severodonetsk. La ville n'existe plus.

Lilla et Pavel avec leur fils Stefan.
Lilla et Pavel avec leur fils Stefan.Image: Stefan Schocher

Ils ont longtemps hésité, raconte Lilla. Ils se sont demandés si c'était le bon moment pour se marier, pour avoir un enfant. Et puis la guerre a commencé. La haine ne devait pas les empêcher de vivre:

«Nous avons décidé de vivre notre vie. Nous nous sommes mariés»

Elle fait une pause: «Et maintenant, nous avons un fils».

Le petit Stefan tend une main minuscule. Ce prénom est censé protéger son fils, explique Pavel. Stefan vient du grec et signifie couronne, ou celui qui est couronné, mais il est aussi interprété comme le vainqueur ou le sage. Pavel dit:

«J'espère qu'il ne verra jamais la guerre»

(Traduit et adapté par Chiara Lecca)

Les ravages de la guerre à Marioupol vus du ciel
Video: watson
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
«Les Ukrainiens de Suisse sont dans le mauvais camp»
Lorsque les troupes de Poutine se sont déployées à la frontière il y a plus de deux ans, Vladimir Klitschko s'est inscrit à la défense du territoire. Il était prêt à défendre la capitale avec son frère Vitali, le maire de Kiev. Dans cet entretien, il nous parle de la mobilisation, des enfants enlevés et de sa relation avec Zelensky.

Dans sa vie d'avant, Vladimir Klitschko se battait avec ses poings pour la gloire, l'honneur et son pays natal. Aujourd'hui, il lutte pour la survie de ce dernier.

L’article