Un bébé s'étire dans sa grenouillère, un gros crachat devant la bouche, risquant un regard timide vers le monde. Le petit garçon a tout juste quatre heures et n'a même pas encore de nom. Elle ne sait pas encore comment l'appeler, dit Lilia, la mère, en caressant la petite tête.
Elle est visiblement fatiguée, mais aussi très heureuse. Pendant les contractions, les alarmes aériennes ont retenti trois fois de suite. A la maternité n°3 de Kiev, il faut alors tout descendre à la cave. Et vite. Puis remonter, redescendre, remonter, redescendre. Finalement, le petit garçon a vu le jour en haut. A 06h20, un jeudi.
L'hôpital a dû s'adapter aux circonstances. Désormais, tout est disponible dans la cave, explique Lioubov Mokhalova, obstétricienne à la clinique. Mais le sentiment de malaise est toujours là: les maternités figurent parmi les cibles de la Russie.
La clinique de Kherson a été bombardée plusieurs fois de suite par l'artillerie russe après la reprise de la ville. Des maternités ont été touchées à Zaporijia, à Toretsk, à Kiev également, alors que la ville était encore assiégée. Et l'attaque massive de la maternité de Marioupol le 9 mars 2022 a probablement été l'un des événements les plus marquants de cette guerre.
C'est pourquoi, sans exception, les médecins descendent à la cave lorsque les sirènes hurlent. «Ce n'était pas si mal de se déplacer, de marcher», confie Lilia.
Les conséquences de cette guerre sur les mamans et leurs bébés sont évidentes: «Bien sûr, le stress a des effets», dit le gynécologue Ruslan Dovgalov, qui travaille également à la maternité n°3. Il énumère les complications qu'entraînent les alertes aériennes permanentes, les tirs de défense antiaérienne audibles, les explosions, même dans la ville relativement sûre de Kiev: ruptures prématurées des membranes, contractions, hémorragies.
Valeria, dans la chambre à côté de Lilia, raconte comment, ces dernières semaines, elle s'est traînée jusqu'à la cave lors des alarmes. Mais parfois, elle n'y arrivait tout simplement plus. Elle soulève prudemment sa fille du petit lit, la regarde et demande: «Arina? Maria?» Elle n'arrive pas à se décider.
Elle aussi a passé une longue nuit. Elle aussi a dû descendre plusieurs fois à la cave. Et la petite fille a peu dormi. Mais maintenant, elle attend son mari et sa belle-mère. Elle rentre chez elle.
Au-delà du quotidien difficile dans la clinique, cette guerre a une conséquence plus globale, qui se traduit déjà dans les statistiques: beaucoup moins d'enfants viennent au monde en Ukraine.
Selon les derniers chiffres, le taux de natalité s'est effondré de 28% au cours du premier semestre 2023 dans le pays. Et les perspectives sont sombres: selon l'Institut d'études démographiques Ptoukha. Le nombre d'habitants de l'Ukraine pourrait passer de 43 à 35 millions d'ici 2030.
Le taux de natalité n'est qu'un aspect parmi d'autres. A cela s'ajoutent l'exode des jeunes et le vieillissement de la population, ainsi que la situation générale du système de santé, qui s'est détériorée. 873 hôpitaux, polycliniques ou établissements médicaux ont été endommagés ou détruits depuis le début de la guerre, en février 2022.
A la maternité n°3 de Kiev, on est passé d'une dizaine d'accouchements par jour à environ six, explique Lioubov Mokhalova. Les questions auxquelles elle est confrontée en tant que médecin sont également très différentes en ces temps:
Après un an et demi de guerre ouverte avec la Russie, elle résume la situation de la manière suivante:
Pavel traverse le couloir à grandes enjambées, un énorme bouquet de fleurs à la main. Il ouvre la porte, mais jette immédiatement le bouquet dans un coin. Il prend sa femme Lilla dans ses bras, se penche sur son fils Stefan.
Lilla est assise sur ses valises, attendant qu'on vienne la chercher. Ils viennent tous deux de la région de Lougansk, plus précisément de Severodonetsk. La ville n'existe plus.
Ils ont longtemps hésité, raconte Lilla. Ils se sont demandés si c'était le bon moment pour se marier, pour avoir un enfant. Et puis la guerre a commencé. La haine ne devait pas les empêcher de vivre:
Elle fait une pause: «Et maintenant, nous avons un fils».
Le petit Stefan tend une main minuscule. Ce prénom est censé protéger son fils, explique Pavel. Stefan vient du grec et signifie couronne, ou celui qui est couronné, mais il est aussi interprété comme le vainqueur ou le sage. Pavel dit:
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)