Depuis le 31 mars, l'armée russe, qui a envahi l'Ukraine, se retire de Boutcha, une ville du nord-ouest de Kiev qui fait partie de l'attaque russe contre la capitale ukrainienne. Des allégations effrayantes ont été diffusées dimanche par les agences de presse internationales: l'armée russe a massacré des civils à Boutcha. Des cadavres bordaient les rues, certains avaient les mains liées.
Dimanche soir, 330 à 340 corps sans vie avaient déjà été recueillis, écrivait lundi le journal Ukrajinska Pravda, citant un service funèbre. Le même jour, la partie ukrainienne avait déjà signalé la découverte d'un charnier avec environ 280 morts qui n'auraient pas pu être enterrés dignement lors des attaques russes.
Le maire de Kiev, Vitali Klitschko, a déclaré au journal Bild: «Ce qui s'est passé à Bucha et dans d'autres banlieues de Kiev ne peut être qualifié que de génocide». Dans le même temps, il a tenu le président russe Vladimir Poutine personnellement responsable. «Ce sont des crimes de guerre cruels dont Poutine est responsable là-bas», a-t-il affirmé.
De son côté, la Russie nie avoir tué des civils. Le ministère russe de la Défense a déclaré à l'agence de presse russe Tass que les images des agences étaient «une mise en scène du régime de Kiev pour les médias occidentaux».
Les correspondants des médias sont les premières sources d'information et de documentation sur la réalité du terrain. Des photojournalistes des agences internationales The Associated Press (AP) ou de l'European Pressphoto Agency (EPA) ainsi que des reporters de CNN, BBC, Belsat TV et des journaux Spiegel et Bild se trouvent actuellement à Boutcha pour réaliser ce travail.
Selon le Wall Street Journal, l'organisation de défense des droits humains Human rights watch a également recueilli sur place des preuves d'un crime de guerre. Il s'agit de récolter, de recouper et de contextualiser images, vidéos et témoignages pour rendre compte des événements le plus fidèlement possible au réel. Comme dans ce récit où l'on suit le quotidien d'Ukrainiens encerclés par les troupes russes.
Les organisations non gouvernementales (ONG) présentes sur place jouent un effet un rôle significatif en ce sens. «Quand on a manifestement affaire à des crimes de guerre, la première chose à faire est de les documenter», explique Nadia Boehlen, porte-parole d'Amnesty International, une autre ONG active en Ukraine. «En ce qui concerne Amnesty, notre Laboratoire de recherche de preuves "Citizen Evidence Lab" recense et analyse des images satellites, des photos et des vidéos. Il croise ensuite l’analyse de ce matériel avec des témoignages et, lorsque cela est possible, des enquêtes sur place.»
S'ajoutent à cela le travail de la police locale et nationale, puis possiblement des enquêteurs de la justice internationale si enquête il y a (voir les points suivants). C'est sur cette base d'information, de documentation et d'investigation, issue également de plusieurs autres sources et organismes, que des enquêtes peuvent ensuite être ouvertes.
La justice internationale – en l'occurrence la Cour pénale internationale (CPI) – mène des enquêtes quand des groupes armés ou des Etats sont accusés de bafouer les règles de la guerre. Bien que l'Ukraine ne soit pas membre de la CPI, elle a d'ores et déjà accepté avant les événements de Boutcha la compétence de la Cour pour les crimes présumés commis sur son territoire depuis novembre 2013 et, ce faisant, l'obligation de coopérer avec la Cour. Le but de ces procédures? Etablir des responsabilités. Human Right Watch note dans un rapport:
Plusieurs dirigeants et Etats, dont la Suisse par l'intermédiaire de son département des Affaires étrangères, ont ainsi exhorté la justice internationale de mener une «enquête indépendante» pour connaître ce qui s'est passé précisément à Boutcha et punir les coupables de ce qui s'apparente à de graves violations du droit international:
Appalled by reports of unspeakable horrors in areas from which Russia is withdrawing.
— Ursula von der Leyen (@vonderleyen) April 3, 2022
An independent investigation is urgently needed.
Perpetrators of war crimes will be held accountable.
Stellungnahme der Schweiz zu Entwicklungen in #Butscha pic.twitter.com/OfNNnGi4Ew
— EDA - DFAE (@EDA_DFAE) April 3, 2022
Un rapport de Human rights watch explique que le «droit international humanitaire vise principalement à protéger les civils et les autres non-combattants des dangers des conflits armés». C'est précisément ce qui n'aurait pas été respecté ici.
Le président français Emmanuel Macron, entre autres, a demandé que la Russie soit tenue responsable des crimes de guerre devant la justice internationale. Lundi, sur les ondes de France Inter, il a fait remarquer: «Il est clair qu'aujourd'hui, il existe des preuves très claires de crimes de guerre. C'est l'armée russe qui était à Bucha».
«Les enquêtes peuvent être menées en quelques semaines ou, dans les cas plus complexes, en quelques mois», d'après Gerry Simpson, directeur adjoint de la division Crises et conflits à Human rights watch, contacté par watson. «Ensuite», poursuit-il, «le procureur de la Cour pénale internationale doit examiner les preuves et décider s'il y a suffisamment de preuves pour délivrer un mandat d'arrêt». Tout dépend alors de l'issue de cette première étape:
Notons que les autorités ukrainiennes mènent également leurs propres enquêtes. Selon l'expert, «cela prendra des semaines ou des mois pour chaque affaire».
En très résumé, tous les individus qui sont de près ou de loin impliqués dans les violations du droit de la guerre qui auront été attestées. Dans un papier, Human rights watch précise que «toutes les parties au conflit armé en Ukraine sont tenues de respecter le droit international humanitaire, ou les lois de la guerre, y compris les Conventions de Genève de 1949, le premier Protocole additionnel aux Conventions de Genève et le droit international coutumier». Ainsi:
L'ONG relève que des «le droit de la guerre interdit l'homicide volontaire, le viol et autres violences sexuelles, la torture et le traitement inhumain des combattants capturés et des civils en détention. Le pillage et la mise à sac sont également interdits. Quiconque ordonne ou commet délibérément de tels actes, ou les aide et les encourage, est responsable de crimes de guerre». Mais ces personnes peuvent aussi être concernées:
Ce sont donc des auteurs présumés individuels qui peuvent être inquiétés par la CPI, tandis que la Cour internationale de justice (CIJ) peut juger des Etats. Le 26 février, comme le rapporte une autre page de Human rights watch, «l'Ukraine a déposé une requête auprès de la CIJ pour engager une procédure contre la Russie en vertu de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Convention sur le génocide)».
Tout dépend des faits dont les accusés sont déclarés coupables, mais cela peut aller jusqu'à la sanction ultime selon Gerry Simpson: «La Cour pénale internationale peut condamner des personnes à des années de prison ou à la prison à vie.»
(avec la collaboration de yam et de l'ats)