Souvenez-vous: pendant plus de 70 ans, notre système solaire comptait neuf planètes, jusqu’à ce que Pluton soit rétrogradée en 2006 au statut de «planète naine». Officiellement, il ne reste aujourd’hui que huit planètes: Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune.
L’Union astronomique internationale (UAI) a rétrogradé Pluton pour plusieurs raisons. D’une part, il ne possède qu’un tiers du volume de la Lune terrestre. D’autre part, l’UAI a redéfini ce qu’est une «planète», stipulant qu’un tel corps céleste doit avoir nettoyé son orbite des autres objets, ce que Pluton n’a pas fait. De plus, la ceinture de Kuiper, au-delà de l’orbite de Neptune, abrite des milliers de petits corps célestes, dont certains, presque aussi grands que Pluton, sont aussi classés comme planètes naines.
Ces corps, appelés objets transneptuniens, sont généralement petits, sombres et difficiles à détecter. Et ce sont eux qui poussent certains astronomes à supposer l’existence d’une planète encore inconnue, la mystérieuse «Planète Numéro Neuf», supposée être un «perturbateur gravitationnel massif» capable d’expliquer les orbites étranges de certains de ces objets. Leurs trajectoires sont très excentriques, et pointent toutes dans une direction similaire. Une telle planète, si elle est suffisamment massive, pourrait aussi expliquer l’inclinaison des orbites des huit planètes connues: toutes se situent à peu près sur le même plan, incliné d’environ sept degrés par rapport à l’équateur solaire.
Les calculs de Konstantin Batygin et Michael E. Brown du California Institute of Technology (Caltech) ont particulièrement attiré l’attention. En 2016, les deux astronomes ont émis l’hypothèse que la «Planète Numéro Neuf» serait une planète gazeuse d’environ dix fois la masse de la Terre, gravitant autour du Soleil sur une orbite elliptique dans la lointaine ceinture de Kuiper. Cette planète géante mettrait entre 10 000 et 20 000 ans pour faire le tour du Soleil. Batygin et Brown pensaient qu’elle ne s’était pas formée si loin, mais qu’elle avait été projetée vers les confins du système solaire par l’influence gravitationnelle de Jupiter et Saturne.
À l’époque, Brown prévoyait que la «Planète Numéro Neuf» serait découverte dans les cinq ans - ce qui, on le sait aujourd’hui, ne s’est pas produit. Même si des recherches ultérieures, comme celles publiées en avril par Terry Long Phan et son équipe de la National Tsing Hua University, ont renforcé la plausibilité de son existence, aucune preuve directe n’a encore été trouvée.
Un objet situé aux confins du système solaire vient désormais sérieusement ébranler l’hypothèse de la «Planète Numéro Neuf». Découvert en 2023 dans le cadre du projet de recensement Fossil (Formation of the Outer Solar System: An Icy Legacy), cet objet transneptunien porte le nom scientifique 2023 KQ14. Les astronomes l’ont surnommé «Ammonite» (en référence aux ammonites, fossiles très réputés), car des simulations informatiques indiquent que son orbite est restée stable depuis 4,2 milliards d’années. Cela en fait un véritable «fossile» de l’histoire ancienne du système solaire.
2023 KQ14 a été détecté grâce au télescope Subaru, situé sur le volcan Mauna Kea à Hawaï. En juillet 2024, il a fait l’objet de nouvelles observations avec le télescope Canada-France-Hawaï. Les chercheurs ont également fouillé les archives pour retrouver des détections passées non documentées, permettant ainsi de retracer son orbite sur les 19 dernières années. L’équipe internationale de recherche a publié ses résultats dans la revue Nature Astronomy.
2023 KQ14 mesure entre 220 et 380 kilomètres de diamètre et s’est probablement formé il y a environ 4,6 milliards d’années, dans les débuts du système solaire. Il met 3998 ans pour faire une orbite complète autour du Soleil, sur une trajectoire située entre 66 et 438 unités astronomiques (UA) - une UA correspondant à environ 150 millions de kilomètres. Lors de son observation, il se trouvait à 71 UA du Soleil, soit plus de deux fois plus loin que Neptune.
En quoi cette découverte remet-elle en cause l’existence de la «Planète Numéro Neuf»? Les astronomes classent 2023 KQ14 dans une sous-catégorie rare des objets transneptuniens: les Sednoïdes. Ces objets, similaires à la planète naine Sedna, ont des orbites extrêmement elliptiques, quasiment insensibles à l’influence gravitationnelle de Neptune. 2023 KQ14 est seulement le quatrième Sednoïde identifié, après Sedna, (541132) Leleākūhonua et 2012 VP113. Tous ont un périhélie (point le plus proche du Soleil) supérieur à 60 UA et un demi-grand axe supérieur à 200 UA. Mais l’orbite de 2023 KQ14 diffère clairement de celle des trois autres.
Selon les chercheurs, ces quatre Sednoïdes partageaient probablement des trajectoires similaires il y a 4,2 milliards d’années. Mais comme l’orbite actuelle de 2023 KQ14 - stable depuis 4,5 milliards d’années - ne correspond plus à celle des autres, cela suggère qu’un événement majeur s’est produit environ 400 millions d’années après sa formation, perturbant fortement les orbites:
Yukun Huang admet toutefois qu’une telle planète pourrait bel et bien avoir existé dans le passé, mais qu’elle aurait été expulsée du système solaire. Ce départ aurait alors perturbé les orbites des Sednoïdes. Toutefois, cette planète potentielle aurait dû être située bien plus loin du Soleil qu’on ne l’imaginait jusqu’à présent.
Mais les orbites étranges des Sednoïdes pourraient aussi avoir une origine complètement différente. Deux études publiées l’an dernier par une équipe germano-néerlandaise proposent une autre explication: il y a plusieurs milliards d’années, une étoile étrangère d’environ 0,8 masse solaire aurait frôlé le système solaire. Sa gravité aurait alors placé des milliers de petits objets célestes dans des orbites fortement inclinées autour du Soleil. Ce genre de rencontre stellaire est relativement fréquent dans les pouponnières d’étoiles, où naissent de jeunes systèmes solaires.
Cette hypothèse pourrait aussi expliquer un autre phénomène. Les simulations montrent qu’une petite partie des objets transneptuniens auraient été projetés vers l’intérieur du système solaire, dans la zone des planètes géantes: Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune. Certains de ces objets auraient alors été capturés par ces planètes, devenant leurs satellites. Ce scénario permettrait de comprendre pourquoi les planètes extérieures possèdent deux types de lunes: les lunes progrades, qui tournent dans le même sens que la rotation de leur planète, et les lunes rétrogrades, qui tournent en sens inverse.
Traduit et adapté de l'allemand par Léon Dietrich