Face à l'attaque militaire russe de l'Ukraine qui a débuté il y a quelques jours, les critiques - qu'elles soient gouvernementales ou formulées par les instances humanitaires - vont bon train. Parmi elles, celles du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui a récemment reproché aux deux pays en conflit le manque de conformité à des lois fondamentales: celles de la guerre.
Car oui, «même la guerre a des règles», a argué dimanche l'institution internationale sur son compte Twitter. Mais comment cadrer des actions qui n'ont pour seul principe que de faire triompher des idées à coups de luttes armées? Eléments de réponse.
Depuis le début du conflit ukrainien, on ne cesse de voir passer sur le compte Twitter du CICR des mots très spécifiques: les règles ou lois de la guerre. On les classe plus formellement dans le domaine du «droit humanitaire international» (DHI) ou «droit des conflits armés». Soit un ensemble d'obligations principalement soumises aux gouvernements dictant ce que ces derniers peuvent ou ne peuvent pas faire dans un conflit qui implique des armes.
Ces règles, dont deux-trois bribes ont été dévoilées par l'instance internationale dimanche, se regroupent en dix principes:
Même la guerre a des règles.
— CICR (@CICR_fr) February 27, 2022
Ça veut dire quoi ?
Ne pas attaquer les civils.
Ne pas attaquer les hôpitaux.
Ne pas bloquer les civils qui s'enfuient.
Ne pas torturer les détenus.
Tenter de contrôler ce qui s'avérerait incontrôlable? L'idée semble chimérique. Et pourtant, loin d'être une illusion, c'est une réalité qui existe depuis 1849. Année qui a vu naître la Première convention de Genève - fondement du DHI - et qui a alors permis de prendre en considération les conflits interétatiques.
Désormais, ce sont les Conventions de Genève de 1949 qui constituent l'élément central de ces règles. Lequel traité, dont la mise en œuvre est régie par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), a dû être (ré)établie afin de gérer des conflits plus modernes qui n'étaient, jusqu'aujourd'hui, non plus entre états, mais entre groupes armés.
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Se poser cette question, c'est comme imaginer un combat sur le ring d'une ampleur titanesque et sans aucun médiateur. L'issue d'un tel scénario se révélerait dramatique avec, dans le cas d'une guerre politico-diplomatique, des dommages collatéraux impliquant des civils qui n'ont souvent rien demandé. Alors, l'objectif principal du DHI consiste à, très exactement:
Dans sa position à la fois pacifique et tutélaire, le CICR explique que la présence de règles vise la préservation «d'un peu d'humanité» dans le conflit. Notamment afin qu'une forme de paix et/ou d'espoir puisse subsister dans un territoire post-chaos.
Niveau «théorie», tout le monde. Niveau «pratique», c'est plus compliqué. Les Conventions de Genève, qui constituent l'élément central du DHI, ont été ratifiées par les 196 États de la planète. Tous ceux qui font la guerre, forces gouvernementales ou groupes armés non étatiques, doivent donc respecter les lois de la guerre.
A l'égard de la crise ukrainienne, il est important de rappeler que la Russie et l'Ukraine en font partie. Raison pour laquelle les deux camps ont été épinglés samedi par le CICR pour leurs écarts.
"Nous demandons instamment aux parties au conflit de ne pas oublier leurs obligations en vertu du droit international humanitaire."
— CICR (@CICR_fr) February 26, 2022
Déclaration de Florence Gillette, cheffe de la délégation du CICR à Kiev.https://t.co/tfd9YDOzv3
C'est une éventualité que le CICR n'envisage qu'en cas de derniers recours. Car pour le Comité, «on n'enfreint pas les règles de la guerre, sans en subir les conséquences», clame-t-il sur son site internet. Cela, au risque d'être tout simplement accusé de «crime de guerre».
Et lorsque des actions qui bafouent ces lois deviennent systématiques et planifiées, elles se muent en «crimes contre l'humanité».
Les personnes et autorités qui commettent de tels délits peuvent faire l'objet d'enquêtes et de poursuites graves gérées par la Commission internationale humanitaire. Laquelle n'a cependant été rejointe que par certains pays des 196 Etats signataires du DHI. Les États-Unis, la Chine et la France, par exemple, n'en font pas partie, contrairement à la Russie et l'Ukraine.
Les conclusions des enquêteurs, qui sont surtout des recommandations, sont ensuite présentées aux belligérants. Puis, le rapport est transmis à la Cour pénale internationale qu’elle juge avant d’agir en conséquence.
Non.
Depuis le déclenchement de la vaste offensive russe à l'encontre des terres ukrainiennes, le CICR ne cesse de déclamer son mécontentement face aux dégâts collatéraux causés, en majeure partie, par le chef du Kremlin.
Samedi, TV5 Monde et plusieurs autres médias internationaux comptabilisaient près de 200 décès civils dont trois enfants ainsi que 1115 blessés. Un constat tragique qui est apparu trois jours seulement après le début de la guerre ukraino-russe. Or, la protection des personnes non concernées par le conflit, rappelez-vous, c'est le fer de lance du comité.
— CICR (@CICR_fr) February 27, 2022
Par ailleurs, ce n'est pas la première fois que Poutine est accusée de bafouer les règles de la guerre. Pour éviter d'être disséqué par les experts de la Commission internationale humanitaire, le président russe avait déjà fait une demande spéciale en octobre 2019. Il voulait sortir d'un article spécifique des Conventions de Genève, rapportait à l'époque le site La Croix.
Poutine craignait d’être pointé du doigt, voire poursuivi pour d’éventuelles violations des règles de la guerre sur le champ de bataille où ses soldats combattent officiellement comme en Syrie et en Géorgie, soit - à l'époque - officieusement comme en Ukraine. La Russie appréhendait plus précisément «des abus de pouvoir de la commission d’enquête». C'est une plainte que le président en chef depuis 1999 pourrait réitérer dans le cadre de cette nouvelle escalade de violences en Ukraine.
On vous l'expliquait plus haut, pour mettre en place des actions en justice, c'est la Cour pénale internationale (CPI) qui se trouve en première ligne. Ce tribunal est apte à juger les personnes suspectées de crimes de guerre ou contre l'humanité.
Le problème, comme l'indique Human Watch Right, c'est que l'Ukraine n'est pas membre de ce tribunal. Mais attention! Elle peut tout de même jouer sur le fait qu'elle a l'obligation de coopérer avec cette Cour depuis que celle-ci est intervenue sur son territoire pour des crimes présumés en novembre 2013.
En décembre 2020, le Bureau du Procureur de la CPI a conclu son examen préliminaire et annoncé que les critères permettant d’ouvrir une enquête officielle étaient remplis. Toutefois, le Bureau n’a pas encore demandé aux juges l’autorisation d’ouvrir cette enquête. Cela pourrait changer à l'issue de cette nouvelle guerre qui s'inscrit déjà dans l'histoire comme «La Bataille de Kiev de 2022».