Le Vietnam fut la première guerre télévisée. Le printemps arabe a profité du réseau social Twitter pour propager des messages de liberté. Aujourd'hui, TikTok est le nouvel outil social pour documenter la guerre en Ukraine.
L'application est devenue le canal privilégié pour bon nombre des victimes du conflit grâce à plusieurs hashtags. Certaines vidéos ont cumulé près de 60 milliards de vues, d'après Wired. Si bien que le New York Magazine emploie le mot-valise «WarTok» pour qualifier le conflit qui fait rage.
De tout temps, les médias ont joué un rôle central dans les différentes guerres. S'interroger sur les liens entre l'opération militaire russe et les médias nous permet d'analyser la gestion médiatique. La guerre grâce aux médias ou la guerre faite aux médias. Dans l'opposition russo-ukrainienne, l'Ukraine traverse cet affrontement en combattant grâce aux médias. Les multiples apparitions de Zelensky sont une illustration précise du premier exemple: une guerre par les médias. De l'autre, Poutine guerroie face aux médias.
Les réseaux sociaux sont désormais les nouveaux câbles de force dans la course à la vérité et aux informations. Ainsi The Atlantic titre: «Le mythe de la première guerre TikTok».
Grâce à l'application à la popularité fulgurante, les victimes collatérales de cette guerre nous plongent dans le ballet incessant des bombes et des tirs, pour mieux plaider leur cause, à travers des témoignages violents, sanglants, où les explosions sont filmées, documentées par des «tiktokeur» improvisés. Mais, comme le rappelle Wired, le détournement des images tournées peuvent transparaître comme «un spectacle de la souffrance». Une joie malveillante dans un bain de sang.
TikTok devient déterminant en ce sens et doit investir cette guerre grâce à sa force de frappe (sociale), revoir ses règles de modération pour des reporters de guerre 2.0. La mission de l'entreprise chinoise est de participer à la liberté donnée aux utilisateurs ukrainiens sur la plateforme, piégés tant par les bombes que par des algorithmes capricieux, qui ne peuvent faire la différence entre un contenu violent et une publication à la pesée cruciale pour récolter des infos précieuses.
Les victimes de la guerre doivent pouvoir partager sans se casser les dents contre les règles en vigueur. Le réseau social peut jouer le rôle de juge, voire de détonateur.
Toujours selon Wired, la plateforme est mal conçue pour des informations précises (géolocalisation, date de publication), mais brillamment charpentée pour l'immédiateté de l'information. Le Monde a relayé des informations sur les canulars qui pullulent sur le réseau. En citant une enquête de NewsGuard, spécialisée dans la lutte contre la propagation des fausses informations et l’évaluation de la fiabilité de l’information en ligne, le quotidien français spécifiait que la recherche de mots génériques «Ukraine» ou «Donbass» pousse TikTok à suggérer de nombreuses vidéos contenant de fausses informations dans les 20 premiers résultats, précisait le rapport.
La balle est dans le camp de TikTok: densifier son suivi des zones meurtries et s'intégrer dans l'échiquier informatif. Pour ce faire, de manière plus consciente et «professionnelle», Abbie Richards et Marcus Bösch, deux experts sur la désinformation des réseaux sociaux, soulignent l'importance de vérifier les commentaires et les contenus antérieurs du créateur.
Tout comme de nombreux réseaux sociaux, et spécialement TikTok, un problème se pose lorsque les algorithmes de recommandation de contenu entrent en scène. Plus vous visionnez une vidéo (susceptible de traiter de la guerre en Ukraine) et revenez après avoir recherché d'autres sources concordantes, plus l'algorithme TikTok vous nourrit davantage d'un contenu semblable, et l'effet boule de neige se répercute sur le partage de cette capsule potentiellement fausse avec d'autres personnes.
Les politiques de modération de contenu sont censées être une protection contre la diffusion de contenu violent, incitatif ou interdit.
Un pourcentage important est supprimé par un algorithme de modération de contenu avant qu'un seul utilisateur puisse le lire.
Par exemple, en 2017, Wired nous apprenait que l'organisation indépendante d'archivage des droits de l'homme, Syrian Archive, avait découvert que des centaines de milliers de vidéos de la guerre civile syrienne avaient été effacées par l'algorithme de Youtube. Des preuves essentielles envolées.
L'invasion de l'Ukraine n'est pas la première guerre qui use des réseaux sociaux. Mais c'est peut-être la première fois qu'une application entre autant dans l'équation tactique d'une situation sensible. Les médias sociaux, perçus comme une plaie de notre ère, s'imposent comme une pièce importantissime de cette guerre, pour documenter et plonger dans la vérité du champ de bataille.