Ce que tout le monde craignait a fini par arriver: jeudi, un attentat-suicide a frappé l'aéroport de Kaboul, où des évacuations chaotiques se succèdent sans répit depuis deux semaines. 85 personnes, dont 13 soldats américains, ont perdu la vie.
«C'est un cauchemar pour l'Amérique, j'ai l'impression que c'est encore pire que la chute de Saigon. En termes d'image, c'est catastrophique», analyse Hadrien Desuin, spécialiste de géopolitique et ancien élève de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, en France.
«Les Américains ont cru que l'armée afghane, qu'ils ont formée pendant 20 ans et qui disposait d'avions et de véhicules blindés, allait résister au moins quelques mois contre les talibans», poursuit Hadrien Desuin. «Mais elle s'est effondrée en quelques jours, et ça a été une surprise».
L'écrasante supériorité technologique des Etats-Unis n'aura donc pas suffi. Selon le spécialiste:
David Sylvan, professeur à l'Institut de hautes études internationales et du développement de Genève, partage les mêmes conclusions, mais se montre moins critique:
Les troupes afghanes ont certes été vaincues plus vite que prévu, concède-t-il, «mais c'est un scénario très difficile à prévoir».
Et de poursuivre: «L'évacuation a été chaotique mais, compte tenu de la situation sur le terrain, les soldats ont fourni un travail logistique impressionnant et ont mené cette opération du mieux qu'ils pouvaient, sous une énorme pression».
Comment expliquer dès lors qu'une attaque terroriste ait pu se produire? D'autant plus que les risques étaient connus. Cela veut-il dire que les soldats n'ont pas été en mesure de se protéger?
«Les Américains ne voulaient pas éterniser leur départ, c'est-à-dire sécuriser l'aéroport avec encore plus de moyens et au-delà de la date butoir qu'ils avaient annoncée. Ils donc ont gardé une présence minimale sur place», explique Hadrien Desuin.
Toutefois, une question plus large demeure. Comment en est-on arrivé là? L'armée américaine n'était-elle pas censée être la plus moderne au monde? Selon les deux experts, ce n'est pas ça le vrai problème.
«L'armée américaine est en effet très puissante, et elle a eu pas mal de réussites militaires en Afghanistan», explique David Sylvan. Le problème, c'est qu'il ne s'agit pas d'une guerre classique, mais d'un conflit de guérilla.
En Afghanistan, les troupes américaines ont dû opérer dans un contexte hostile, contre un adversaire qui refusait le face-à-face et harcelait les occupants avec des attentats et des embuscades, sans jamais se montrer. C'est ce qu'on appelle une guère asymétrique.
«Malgré la défaite au Vietnam, l'armée américaine a toujours cru qu'en mettant plus de moyens, plus de soldats et plus d'argent, elle allait pouvoir gagner», conclut Desuin. «C'est faux, ce combat était impossible à gagner».