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Football en Afghanistan: «A la mi-temps, il y avait des exécutions»

In this Tuesday, Oct. 9, 2012 photo, Afghan National Police Academy Director Maula Dad Pazoish tries out a table football in a recreation room at the police academy in Kabul, Afghanistan. "The pe ...
Image: AP
Interview

«A la mi-temps, il y avait des exécutions au stade»

Depuis que l'Afghanistan a basculé dans les mains des talibans, le football y est menacé, lui aussi. Témoignage de Romain Molina, journaliste indépendant et spécialiste du football afghan.
22.08.2021, 11:3622.08.2021, 16:43
jonathan amorim
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Quelles sont les premières conséquences à craindre pour le football en Afghanistan?
On parle d'une situation où des joueuses de football craignent pour leur vie, sont menacées de mort, donc c'est forcément la première chose à craindre. Des joueurs m'ont également confirmé qu'ils arrêteront de jouer pour la sélection nationale. Ils ne veulent pas représenter ce régime politique. D'autres cherchent à quitter le pays. Un jeune joueur vient de mourir en essayant de le faire.

Certains joueurs de l'équipe nationale ont connu le premier régime taliban (1996-2001). Certains oui, mais la plupart des joueurs de l'équipe nationale afghane ont quitté le pays très jeunes, fuyant la guerre. Ils ont toutefois grandi en entendant les histoires de leurs parents au sujet des talibans. Certains, comme le défenseur Zohib Islam Amiri, qui joue maintenant en Inde et qui a une belle carrière, ont grandi en Afghanistan et ont déjà connu ce régime. Forcément, ils en ont peur. Même si aujourd'hui le contexte est différent.

Qui est Romain Molina ?
Romain Molina, 30 ans, est un journaliste d'investigation sportive français, essayiste et conférencier. Publiant des enquêtes pour The New York Times, The Guardian, CNN, BBC, Le Temps, il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le football tels que La mano negra, Cavani, El matador, Unaï Emeri, El maestro, Galère football club, Génération Parker et son dernier, The Beautiful Game, dans lequel il parle du football afghan. Il est également connu pour ses vidéos sur YouTube ainsi que pour ses prises de position sur Twitter où il est suivi par plus de 90 000 personnes.
An Afghan young boy plays football amid the COVID-19 pandemic lockdown, on the outskirts of Kabul, Afghanistan, Sunday, June 21, 2020. (AP Photo/Rahmat Gul)
Le football est très populaire dans tout le pays.Image: AP

Le football était-il toléré pendant le premier régime taliban des années 2000?
Oui, car le football est très populaire au pays. Il était toléré mais au minimum. En plus, il y a des histoires terribles racontées par les joueurs eux-mêmes. A la mi-temps des matchs, il y avait des exécutions au stade. Quand tu as ce genre de souvenir du pouvoir en place et que tu joues maintenant au football, tu as moyennement envie de retourner sur la pelouse.

L'équipe nationale peut-elle à nouveau disparaître, comme ce fut le cas de 1984 à 2001?
Non, le contexte actuel est différent. On le voit dans la communication du régime qui reste très prudent. Imaginez les conséquences s'ils venaient à interdire le football ou l'équipe nationale. Le dégât d'image serait colossal, car le football a une caisse de résonance médiatique trop importante. Ce qui est sûr, c'est que certains joueurs ne vont plus représenter le pays. Certains l'ont déjà annoncé publiquement. Il faut déjà se rendre compte que l'équipe d'Afghanistan est unique. Elle ne joue plus un match officiel à domicile depuis plus de 40 ans. Ce n'est qu'en 2018 que l'équipe a pu rejouer à Kaboul, mais seulement pour un match amical (0-0 contre la Palestine).

En 2018, l'Afghanistan a rejoué à Kaboul, contre la Palestine en match amical. Un évènement décrit comme une finale de Coupe du monde par les joueurs.
En 2018, l'Afghanistan a rejoué à Kaboul, contre la Palestine en match amical. Un évènement décrit comme une finale de Coupe du monde par les joueurs. keystone

Les joueurs sont pour la plupart des binationaux qui habitent aux Etats-Unis, en Australie ou en Europe et viennent d'ethnies différentes. Ils doivent jouer sur terrain neutre, dans des conditions folkloriques. Alors oui, l'équipe va continuer d'exister, mais ça sera encore plus compliqué qu'avant.

Elle est unique mais également très attachante.
Les joueurs ne touchent pas un centime! C'est l'une des seules fédérations qui ne donne pas de prime. Jouer en sélection, ce ne sont que des problèmes pour les joueurs, notamment pour les voyages. En jouant un match, ils perdent de l'argent et doivent se battre avec leur club et avec toutes les barrières administratives. Les conditions sont également catastrophiques.

«Des joueurs m'ont raconté avoir dormi à même le sol à l'aéroport, une veille de match»

Mais même comme ça, ils y retournent à chaque fois. Les joueurs le font par unique fierté de représenter leur pays et par amour pour leur peuple. C'est incomparable, très peu d'équipes fonctionnent de cette manière. La Palestine est peut-être la sélection qui se rapproche le plus de l'Afghanistan en termes de passion et d'organisation.

La foule en délire à Kaboul en 2013 après le sacre de l'équipe nationale lors de la South Asian Football Federation Championship (Saff).
La foule en délire à Kaboul en 2013 après le sacre de l'équipe nationale lors de la South Asian Football Federation Championship (Saff). keystone

Les joueurs afghans vont maintenant se retrouver devant un dilemme horrible: jouer pour les talibans, jouer pour leur peuple ou arrêter. C'est difficile honnêtement, je n'aimerais pas être à leur place.

La Fédération internationale de football association (Fifa) peut-elle intervenir et suspendre l'équipe nationale?
De mémoire, ce n'est arrivé qu'une seule fois, cette année d'ailleurs, au Tchad, en Afrique. Toutefois, la Fifa n'intervient qu'en cas d'ingérence du gouvernement dans la gestion de la fédération de football du pays. Au Tchad, le ministre de la Jeunesse et des Sports du pays a souhaité dissoudre la Fédération des associations de football, mettre sur place un comité national pour la gestion temporaire du football et prendre le contrôle des locaux de la Fédération de football. Une décision qui a abouti à la suspension de l'équipe nationale pour les éliminatoires à la prochaine Coupe du monde au Qatar. Il faudrait donc une situation similaire pour voir intervenir la Fifa en Afghanistan.

On peut également se faire beaucoup de soucis pour les joueuses afghanes.
(Il marque une pause, visiblement ému.) On parle ici de véritables héroïnes, de femmes inspirantes qui ont déjà vécu l'enfer avec l'ancien président de la fédération (Keramuddin Karim, condamné en 2019 pour viol et sur le coup d'un mandat d'arrêt international, mais toujours en liberté) qui violait des joueuses. Elles se retrouvent maintenant face à un régime auquel elles sont totalement opposées. Certaines brûlent leurs affaires de football pour ne pas être reconnues, pour échapper à la mort, c'est terrible.

Je me sens gêné de parler à leur place. J'espère seulement qu'elles pourront s'en sortir et franchement, je suis également agacé par cette hypocrisie internationale. Tout le monde s'en fichait quand elles se faisaient violer et maintenant toute la planète s'intéresse à elles. Cette instrumentalisation politique du football féminin, pas qu'en Afghanistan, m'agace.

Que va-t-il se passer pour le football local?
Si les talibans ne sont pas trop stupides, ils vont permettre la mise en place de petits tournois locaux. Le foot est très populaire en Afghanistan et ils vont vouloir s'en servir. Jusqu'à maintenant, le championnat local était essentiellement composé d'équipes basées à Kaboul. Réunir des équipes d'autres provinces relevait du miracle avec des protocoles de sécurité très complexes. Maintenant, forcément, ça va devenir encore plus compliqué.

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