Le bonhomme répond au doux surnom de «Barbecue». Jimmy Chérizier, de son vrai nom, n'est pas un serial rôtisseur de bidoche, mais un leader de gang qui désire le cadavre tiède de son rival, l'actuel premier ministre et président par intérim de Haïti, Ariel Henry.
Ancien flic reconverti en bandit, l'homme de 48 ans n'hésite pas à user de la manière forte pour assoir son autorité sur Port-au-Prince. La carrière criminelle de Jimmy Chérizier s'est enclenchée en 2017, alors qu'il était membre d'une unité antigang.
En 2018, ses désirs hors-la-loi vont lui donner des ailes et l'empêtrer dans des massacres sanglants. A force de jouer les durs à cuire, Chérizier sera révoqué après avoir participé à une tuerie qui a coûté la vie à 71 individus. Il s'agit du pire massacre, baptisé La Saline, qu’ait connu Haïti en plus de dix ans. Un mois après, il rendait sa plaque et basculait du côté obscur.
Une fois sa carrière de flic aux oubliettes, Chérizier va prendre le commandement de plusieurs milliers d'hommes. Mais une grosse ardoise va le mettre sur gril, visé par des sanctions de la part de l'ONU, qui l'accuse de «saper la paix, la stabilité et la sécurité d'Haïti et de la région», rappelle notamment la chaîne de télévision La 1ère.
Le point de bascule dans la carrière de «Barbecue», si on se concentre sur sa trajectoire de criminel, a été l'assassinat du président Jovenel Moïse. Dans la foulée, le nouveau pouvoir en place cesse de le financer et Jimmy Chérizier sent qu’il perd l’influence qu’il avait à l'époque, lui qui contrôlait les quartiers pauvres à tendance majoritairement antigouvernementale. Fort de son autorité et de sa force de frappe, le grand cacique de G9 an fanmi («G9 en famille»), qui regroupe neuf bandes armées jusqu'aux dents sous une seule et même bannière - criminelle - se mue en général de guerre.
Préférant le qualificatif de révolutionnaire, le nouveau boss de la pègre enfonce le pays dans le chaos, le noyant dans un déluge de violence. Entre les nombreux véhicules calcinés aperçus par des journalistes de l'AFP, le soir du 9 mars, des prisons vidées de ses détenus après des raids de gangs, tout devient incontrôlable en Haïti sous la houlette de cet ancien flic.
Une guerre civile qui se transforme en un vaste champ de bataille que les autorités tentent de contrôler. Mais le mal est fait.
Au micro de Michel Scott, grand reporter pour TF1, l'ancien flic ne comprend pas que la presse et l'opinion publique puissent les qualifier de gang: «On n’est pas des gangs, on est des groupes armés: on ne viole pas, on ne kidnappe pas, on ne tue pas les gens par plaisir».
Sauf que les morts s'empilent dans le pays le plus peuplé des Caraïbes. Un enfer des gangs piloté par un «Barbecue», qui pourrait sans mal se renommer Lucifer, lui qui clame que «nous devons nous unir, car soit Haïti devient un paradis pour nous tous, soit un enfer pour nous tous». Désormais entouré de sbires cagoulés, Chérizier enfile le gilet pare-balles du parrain de la mafia et envoie ses troupes contrôler des sites stratégiques (aéroport, commissariats de police, hôpitaux).
Il s'est pourtant toujours présenté comme le médiateur d'une nouvelle démocratie haïtienne, combattant les politiciens corrompus, confisquant les armes pour débarrasser le pays «d'un petit groupe de riches vivant dans de grands hôtels qui décide du sort des habitants des quartiers populaires».
Outre sa main de fer sur Haïti, Jimmy Chérizier trimballe un drôle de surnom qui prête à sourire. Selon ses dires, «Barbecue» évoquerait, une partie de son adolescence lorsqu'il vendait de la viande grillée avec son oncle, dans les rues de la capitale haïtienne.
Une autre version s'avère nettement moins sympathique, puisque certains rapportent que ce petit nom viendrait du fait que Jimmy Chérizier aime brûler les maisons et les cadavres de ses victimes.
Haïti fait face à une violence alarmante, comme le soulignait un rapport de l'ONU. En 2023, ce sont 8400 personnes qui ont péri sous les balles des gangs. «Une augmentation de 122% par rapport à 2022», analyse l'ONU. Des brochettes de morts qui portent sûrement l'empreinte de Jimmy Chérizier, nouveau roi du royaume décomposé de Port-au-Prince.