Aujourd'hui, Bhagwant Mann devrait normalement regretter très fort de ne pas s'être contenté d'une bête bouteille de Chasselas. Il pourrait aussi se dire que faire le malin, parfois, c'est pas très malin. Surtout que l'élu a failli y passer, sous l'œil sournois d'une caméra et les applaudissements gaillards de ses collaborateurs.
En début de semaine, le ministre en chef du Pendjab a décapsulé fièrement une campagne de nettoyage à large échelle de tous les cours d'eau de cet Etat de l'Inde. En prenant son courage à pleine bouche, il s'est offert une immense gorgée de pollution, puisée directement dans le ruisseau sacré Kali Bein.
Cul sec. Hop.
Et direction l'hôpital de Delhi pour soigner une grave infection à l'estomac.
Sans aller jusqu'à rappeler qu'il faut boire (de l'eau) avec modération, on peut tout de même affirmer qu'on ne le ferait même pas dans le Léman. Or, connaissant la véritable catastrophe que représente la contamination des eaux dans cette région du monde, Bhagwant Mann peut sembler, de loin, moins courageux que carrément suicidaire.
Il faut pourtant tremper une cheville dans la longue et dramatique histoire de ce ruisseau pour véritablement comprendre la portée symbolique de cette prouesse tactique effectuée par le ministre en début de semaine.
Le Kali Bein s'écoule sur plus de 160 kilomètres. Le long de ses rives, on trouve près de 80 villages et une demi-douzaine de petites et grandes villes. Et, là, vous nous voyez venir: les eaux usées et les déchets industriels se déversaient dans le ruisseau via un drain, noircissant logiquement sa tronche au fil des années. En français, Kali Bein signifie «ruisseau noir».
Le 16 juillet 2000, une immense révolution se met en branle au Pendjab. Mission: nettoyer de fond en rives cette étendue d'eau sacrée. Sans surprise, c'est un projet de longue haleine. 22 ans après le premier coup de polish, Bhagwant Mann a donc voulu célébrer personnellement cette révolution. En buvant, devant les caméras, un verre d'eau du Kali Bein, c'est le courage des nettoyeurs qu'il a décidé d'honorer. S'il avait préféré ne pas finir deux jours à l'hôpital, ce geste l'aurait probablement tué il y a dix ans.
Sachez enfin que ce ruisseau revêt une importance capitale pour la religion et l'histoire des sikhs.
(fv)