Où en était-on de la menace terroriste islamiste en Belgique avant l’attentat meurtrier de lundi soir à Bruxelles?
Michaël Privot: En Belgique, le niveau d’alerte n’est jamais redescendu à zéro. Depuis l’attentat de lundi soir, il a été relevé au niveau 4, son maximum, dans la région bruxelloise, au niveau 3 dans le reste du pays. Nous savions que le danger du djihadisme n’était pas éradiqué, loin de là. On ne peut pas dire qu’il y avait un relâchement. La lutte contre l’islamisme radical reste une priorité des services de sécurité belges. L’attentat d’Arras le 13 octobre, celui de Bruxelles trois jours tard, font que ce n’est pas le moment de baisser la garde.
Quel est l’état de l’opinion par rapport à l’islamisme, dans sa forme radicale ou politique?
Après deux années de guerre en Ukraine, l’islamisme n’était pas la préoccupation majeure des Belges, du moins jusqu’à l’attentat de lundi, qui réveille les traumatismes des attentats de 2016 à Bruxelles, qui avaient fait 35 morts et plus de 300 blessés. L’islamisme restait un bruit de fond. Il y a des chances qu’il remonte fortement à la surface, en raison du présent attentat et de la guerre à Gaza. On pensait les attentats derrière nous, eh bien non.
Dans quels territoires s'incarne l’islamisme politique, une idéologie qui est souvent le fait des Frères musulmans?
Si l’on parle d’islamisme politique en termes de partis organisés, c’est insignifiant, voire inexistant. On ne peut pas non plus parler d’entrisme dans les partis politiques, lesquels sont sur leurs gardes.
En revanche, il y a des individus, voire des groupuscules, baignant dans l’islamisme politique, qui tentent de monter des campagnes contre des personnalités du monde politique, médiatique ou académique, en les présentant comme racistes ou islamophobes. Dans le sens inverse, on trouve des individus ou des groupes qui tentent de repeindre en islamistes ceux qu'ils considèrent comme leurs opposants, selon des procédés disqualifiants bien connus là aussi.
Avez-vous un exemple concret s'étant posé à un parti politique?
En 2022, un membre du parti les Engagées, ex-social-chrétien, Ahmed El Khannouss, a été exclu de cette formation après avoir apporté son soutien à un imam qui avait tenu des propos contre les « sionistes oppresseurs », c’était en rapport, déjà, avec Gaza. Ahmed El Khannouss est toujours conseiller municipal à Molenbeek, le quartier bruxellois rendu tristement célèbre comme lieu préparatoire des attentats du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, et de ceux Bruxelles du 22 mars 2016.
Quel est aujourd’hui le type d’islam transmis dans les mosquées de Belgique?
Depuis les attentats de 2016, les imams sont très prudents dans leurs prêches. On se retrouve sur un islam traditionnel et conservateur. Il n’y a plus de cas rapportés ou signalés d’appels à la violence. On a eu fin 2021 le cas de l’imam marocain Mohamed Toujgani, sur qui la sûreté de l’Etat a sorti un vieux dossier de radicalisation et d’antisémitisme. Il a reçu un ordre de quitter le territoire belge. Il n’est pas revenu, le Maroc ayant, de son côté, confisqué son passeport.
Comment se positionnent les imams par rapport aux événements tragiques d’Israël et de Gaza?
Les imams sont d’autant plus prudents qu’il s’agit d’un sujet passionnel. Le mot d’ordre est: «Pas d’importation du conflit.» A côté de cela, on a des individus qui, se revendiquant de l’islam, prétendent venger les musulmans, comme le tueur de lundi à Bruxelles.
Est-ce l'échec des mosquées?
On n’est pas encore passé, selon moi, à une offre de discours beaucoup plus construits dans les mosquées. Les imams restent dans l’ensemble très démunis en matière d’outils historiques et théologiques qui leur permettraient d’élaborer par eux-mêmes un propos qui pourrait être efficace contre la radicalisation en allant au-delà du poncif «l’islam promeut la paix». Quand on a affaire à un individu comme le tueur des deux Suédois, on a beau lui dire que l’islam, c’est la paix, ça lui rentre par une oreille et ça ressort par l’autre.
N’y a-t-il toujours pas, chez les imams, la prise de distance nécessaire par rapport aux textes, afin d’ancrer l’islam dans un environnement qui n’a pas vocation à devenir musulman?
Partons du réel. Je ne crois pas que les imams sont contre cette mise à distance, c’est simplement, et je reviens à ce que je disais, qu’ils n’ont pas la formation pour pouvoir le faire.
Est-ce que l’«islam TikTok» représente une grande concurrence pour les imams?
Oui et pas qu’un peu. Ça tourne à plein pot. On est dans le salafisme, un littéralisme qui s’adresse aux jeunes musulmans vivant en Occident. Le terroriste de lundi, tué par les forces de l’ordre, était assurément de cette tendance.
Le combat est inégal. Cela dit, les jeunes passent très rapidement sur ces vidéos Tik-Tok, ils n’en gardent pas forcément grand-chose.
Que voit-on, qu’entend-on dans ces vidéos?
Il est souvent question d’interdits et d’obligations, selon une vision rigoriste de l’islam qui peut mener à l’extrémisme: ne pas écouter de la musique, faire ses cinq prières quotidiennes, d’une façon et à des heures bien précises, ce qui est très difficile dans un contexte non-musulman.
Ces prescriptions sont-elles empreintes d’un discours civilisationnel, créant un «nous» et un «eux» amenés à s'ignorer ou à s'opposer?
Oui, c’est évident, même si ce n’est pas toujours construit ou explicite. Il y a les musulmans et il y a les autres.
A présent qu’il y a la guerre à Gaza, le grand danger, c’est la diffusion sur Tik-Tok de vidéos montrant des atrocités en train d’être commises ou des enfants morts dans des bombardements. Des images qui peuvent, soit galvaniser, soit indigner, et pousser au pire. Le discours n’est parfois même plus nécessaire.