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Interview

Implosion du Titan: comment faire son deuil sans corps?

Implosion du Titan: comment faire son deuil sans corps?
Alix Noble Burnand (en médaillon) revient sur la mort des cinq occupants du sous-marin disparu dans l'Atlantique cette semaine.

Comment faire son deuil sans corps? «Notre cerveau va créer des scénarios»

Spécialiste des différents aspects de la mort, la thanatologue Alix Noble Burnand explique à quoi seront confrontées les familles des occupants du Titan, disparus pour toujours en mer.
23.06.2023, 16:5623.06.2023, 17:44
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Alix Noble Burnand, les garde-côtes nord-américains ont annoncé jeudi qu'il serait impossible de retrouver les cinq occupants du Titan. Le fait de ne pas avoir les corps des défunts rendra-t-il le deuil plus difficile pour les familles?
Oui, c'est certain. Car un corps concentre sur lui la réalité, en ce sens qu'il est très «réel». Quand on le voit, on ne peut plus douter de la mort de l'autre. A l'inverse, en son absence, notre imaginaire va nous proposer des scénarios qui sont autant de fictions (peut-être que l'autre existe quelque part, peut-être que...), mais aussi nous soumettre des images d'horreur.

Certains prétendent qu'il est peut-être préférable de ne pas récupérer le corps, plutôt que dans un état très abîmé. Partagez-vous cette idée?
Je me réfère à l'approche des pompes funèbres, notamment lorsqu'ils recueillent des défunts dont le corps est mutilé. Ils vont alors représenter une forme de corps sous un drap blanc et en laisser apparaître une partie intacte, la main par exemple, afin que la personne endeuillée puisse dissiper tout doute, qu'elle puisse s'assurer, vérifier par elle-même, que l'autre est bien décédé.

«Il semble qu'il vaille mieux faire cette expérience douloureuse plutôt que de laisser l'imaginaire prendre le dessus»
Alix Noble Burnand.
Alix Noble Burnand.

Les familles des disparus du Titan peuvent peut-être toujours croire, en dépit des conclusions émises par les autorités, que l'un des leurs a survécu, qu'il s'est peut-être accroché à un débris et est remonté à la surface.
Parce que nous ne sommes pas outillés pour nous représenter nous-mêmes morts. L'humain n'a pas cette compétence. Dès lors, il nous est impossible d'imaginer l'autre mort et donc, en l'absence de corps, on peut refuser inconsciemment de le croire décédé.

La semaine dernière, nous avons appris la mort de Gino Mäder sur le Tour de Suisse. Comme les aventuriers du Titan, le coureur cycliste saint-gallois est décédé en pratiquant sa passion. Dans les deux cas, certains y ont trouvé un motif de consolation, expliquant que les disparus étaient morts à l'endroit qu'ils aimaient le plus.
Les endeuillés vont toujours chercher du sens dans ce qui arrive. Certains vont dire que c'est affreux et qu'il n'y avait rien de pire que ce qui s'est produit, en soulignant par exemple qu'un coureur cycliste qui avait toute la vie devant lui n'aurait jamais dû disparaitre en exerçant son métier; d'autres au contraire vont estimer qu'il n'y a pas de plus belle mort que de s'en aller à l'endroit qu'on aime le plus.

Des experts ont affirmé que l'implosion du Titan était tellement soudaine que les occupants de l'appareil n'ont pas souffert et ne se sont pas vus mourir. Cela est-il de nature à soulager les familles?
Lorsque je suis confrontée à des personnes qui imaginent que le disparu a souffert avant son décès, je leur demande toujours si elles ont déjà eu un accident. Parce qu'en pareil cas, on a une telle décharge d'adrénaline et de stress qu'on est complètement dans l'instant. Ceux qui ont vécu un accident le savent: sur le moment, on ne pense pas.

«La personne qui décède reçoit, elle aussi, cette décharge d'adrénaline, si bien qu'elle ne comprend probablement pas ce qui lui arrive»

A partir de quel moment, quand on est un proche d'un disparu, accepter d'arrêter ou de faire arrêter les recherches du corps?
Est-ce qu'il y a une réponse à cela? Je ne sais pas. Ce que je sais en revanche, c'est que le plus difficile, pour faire son deuil, c'est d'apprendre la disparition de quelqu'un sans savoir s'il est décédé. C'est ce à quoi nous assistons lorsque des soldats ne reviennent jamais du front en temps de guerre. C'est terrible, parce que c'est à ceux qui restent de dire: «On arrête les recherches, il est mort». En faisant cela, en se considérant comme endeuillé, c'est un peu comme si l'on tuait le disparu, ce qui implique une culpabilité avec laquelle il faut ensuite vivre. C'est différent avec le scénario du Titan puisqu'on a retrouvé des débris et qu'on sait donc avec certitude que l'habitacle a implosé.

L'absence de corps implique une absence de sépulture. Ce que vous préconisez alors, et vous dites même que c'est essentiel, c'est de trouver un endroit pour se recueillir.
Oui. Il faut qu'il y ait un endroit qui soit investi, un lieu où la personne endeuillée puisse aller pour se souvenir, faire des cérémonies, poser une couronne, pourquoi pas allumer des bougies ou un petit feu. Cela peut être un endroit où elle aimait se rendre avec le défunt, par exemple. C'est très important, essentiel même.

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