Comment peut-on interpréter les frappes russes de ce lundi matin sur l’Ukraine?
Julien Grand: J’y vois une réponse politique, déclamatoire, des Russes à l’explosion qui a endommagé samedi le pont de Crimée. Un acte qualifié de terroriste et attribué aux services ukrainiens par le Kremlin. Frapper Kiev et le reste du pays ne devrait pas avoir pour l’heure d’influence sur le reste du front. Les frappes russes de ce matin sont plus une façon pour la Russie de dire à l’Ukraine : «Faites attention, nous avons les moyens d’atteindre à tout moment la capitale comme tout point du territoire.» Ce peut être aussi côté russe un aveu de faiblesse ou un accès de colère, qui, d’un point de vue militaire, encore une fois, ne change pas réellement quelque chose à la donne.
Mais si les bombardements russes devaient se prolonger, le conflit pourrait prendre une autre dimension. Laquelle?
Mais pour y parvenir, il ne suffit pas de frapper une centrale électrique. Il faut frapper toute l’infrastructure électrique, toutes les lignes de chemins de fer et d’autres cibles encore jugées vitales à la marche d’un pays. Or, cela demande des moyens en nombre, qui ne sont à mon avis pas en main des Russes pour l’instant.
Les Russes ont frappé ce matin avec des drones iraniens et des missiles de croisière. Quelle sont les particularités des uns et des autres?
Les missiles de croisière, tirés depuis le sol, des bombardiers ou des croiseurs en mer, ont une portée qui peut aller jusqu’à 1500 km. Les missiles tirés depuis des drones, eux, ont une portée d’environ 250 km. Concernant les drones, beaucoup de questions restent en suspens sur le type d’armement qu’ils peuvent emporter. Les drones ont un avantage sur les missiles de croisière: leur mise en action est plus rapide, plus flexible. L’emploi d’un bombardier est plus astreignant, cela nécessite toute une planification. C’est plus long à mettre en place.
Lviv tout à l’Ouest de l’Ukraine a été frappée. D’où les missiles ont pu être tirés?
A partir de bombardiers qui auraient décollé de la base aérienne russe d’Olenegorsk, située au nord de la Russie à 150 km de la frontière finlandaise. Mais comme dit plus tôt, les bombardiers sont assez lourds d’emploi, ce n’est pas un système très réactif.
A la différence des drones, donc.
Oui, même si leur portée est moindre que celle des missiles de croisière, ils permettent aux Russes d’avoir une présence quasi continuelle dans l’espace ukrainien ou à la frontière de celui-ci. Ils font peser une menace constante. En avoir dix dans les airs au même moment permet d’être réactif dans les 20 à 30 minutes.
Si des bombardements répétés peuvent venir à bout d’infrastructures, ils peuvent aussi miner le moral de la population ou des troupes. Ce peut être l’un des buts de Poutine, non?
Les Russes sont-ils dans cette logique-là? Peut-être, mais, pour rester dans l’armement conventionnel, autrement dit non nucléaire et non chimique, cela nécessite des moyens considérables, qui, selon moi, une fois encore, ne sont pas en possession des Russes.
Et si les Russes les avaient, ces moyens?
Cela pourrait être de l’ordre de la fuite en avant. Théoriquement, les bombardements peuvent faire plier l’adversaire. Mais la Seconde Guerre mondiale, puis la guerre du Vietnam ont montré que ce n'était pas toujours le cas.
Mais il y a peut-être, en effet, la volonté russe d’amener la population à forcer Zelensky à composer avec Moscou pour arrêter la guerre.
Sinon, en dehors des bombardements, comment les Russes pourraient-ils reprendre l’initiative sur les forces combattantes ukrainiennes?
C’est là que les drones iraniens pourraient jouer un rôle favorable pour les Russes. Tout dépend de la quantité en leur possession aujourd’hui et demain. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas en frappant Kiev avec des missiles que les Russes réussiront à désenclaver la ville de Kherson au sud, qui pourrait revenir aux Ukrainiens.