Kiev n'a pas revendiqué la responsabilité de l'énorme explosion qui a endommagé samedi matin le pont reliant la péninsule annexée de Crimée au territoire russe. Du moins, pas pour le moment. Les autorités ukrainiennes ont réagi comme à leur habitude d'un ton moqueur, de manière floue et en entretenant le doute.
Kiev avait réagi de la même manière au lendemain des explosions qui avaient frappé une base aérienne russe en Crimée, en août dernier: après s'être moqués des Russes, les Ukrainiens avaient fini par revendiquer l'attaque.
Il s'agit donc d'une stratégie déjà observée, ce qui laisse penser que l'Ukraine ait effectivement organisé l'attaque. Mais ce n'est pas le seul indice: ce pont est en effet une cible hautement symbolique pour les résistants ukrainiens.
Après son inauguration en 2018, le pont est devenu le symbole de l'annexion russe de la Crimée, qui a eu lieu en 2014. L'explosion a par ailleurs eu lieu le lendemain de l'anniversaire du président russe Vladimir Poutine.
L'accident n'a en effet pas uniquement une portée symbolique: le pont est situé sur une position stratégique et constitue un passage essentiel au transport des troupes déployées en Ukraine.
Les dégâts ont été relativement limités et la circulation sur le pont a pu reprendre, bien que de manière circonscrite. De plus, les rails n'ont pas subi de dommages structurels majeurs. L'explosion ne va en somme pas perturber de façon permanente les lignes de communication terrestres russes vers la Crimée, explique le centre de réflexion «Institute for the Study of War» dans son rapport quotidien (ISW).
Elle risque néanmoins d'avoir des conséquences désagréables pour les forces de Moscou, notamment sur le plan logistique. Et ce, pour deux raisons:
Il devient désormais «difficile de maintenir le même niveau d'approvisionnement en Crimée et dans le sud de l'Ukraine», confirme Gerhard Mangott:
Le pont constituait la voie d'accès principale à la Crimée, rappelle OSINTtechnical sur Twitter. Les autres routes sont plus périlleuses pour les Russes, contraints de passer plus près de dangereux Himars ukrainiens.
Malgré des dégâts matériels somme toute limités, l'incident a soulevé une vague de critiques en Russie, notamment à cause du silence des autorités après l'explosion.
Vladimir Poutine a en effet attendu jusqu'à dimanche avant de s'exprimer sur les faits, alors que le ministère de la Défense n'a pas encore réagi officiellement. Cela ne serait pas un hasard: il est possible que le Kremlin ait ordonné au ministère de la Défense de rester silencieux, pour assumer le rôle de bouc émissaire et ainsi détourner la responsabilité de Poutine, rapporte l'ISW.
Les réactions n'ont en effet pas tardé. Le propagandiste russe Vladimir Solovyov a déclaré que la Russie devait lancer une campagne de frappes sur les infrastructures ukrainiennes critiques au lieu d'écouter les promesses du ministère de la Défense. C'est ce qui semble se passer ce lundi matin: plusieurs villes ukrainiennes, dont Kiev et Lviv, ont été frappées lors d'une campagne de bombardements d'une ampleur inégalée depuis des mois.
Les critiques n'épargnent pas Vladimir Poutine non plus, qui a été accusé de ne pas avoir su réagir immédiatement.
Les milieux nationalistes et militaires russes ont appelé le Kremlin à se venger, à l'image du blogueur militaire Notes Veterans, suivi par plus de 276 000 personnes sur Telegram:
Le blogueur poursuit: «Le pont de Crimée est un symbole de l'ère Poutine. L'attentat contre le pont de Crimée est un attentat contre Poutine lui-même. En réponse à cette attaque terroriste, pas un seul pont ne doit rester en Ukraine».
Le nationaliste Igor Guirkine, plus de 728 000 followers, a écrit de manière ironique: «Les meilleurs souhaits d'anniversaire à Vladimir Vladimirovitch ont été envoyés par les partenaires respectés de Kiev. Leurs feux d'artifice ont démoli une section entière du pont», a écrit sur Telegram cet acerbe critique de l'opération militaire en Ukraine.
D'autres ont critiqué le silence du vice-président du Conseil de sécurité et ancien président, Dmitri Medvedev. Ce dernier avait fait plusieurs déclarations retentissantes définissant toute attaque contre le pont comme une violation des «lignes rouges» russes.
Un autre blogueur a noté qu'il était hypocrite pour le Kremlin d'appeler les Russes à la mobilisation, s'il était incapable de commenter des événements importants tels que le naufrage du Moskva, la libération des commandants d'Azov, ou l'effondrement de la ligne de front de Kharkiv
Malgré l'absence et la lenteur des déclarations, le pouvoir semble être bien conscient des enjeux soulevés par l'attaque. Le site d'information indépendant Meduza a mis la main sur un guide que les autorités russes ont transmis aux médias, pour qu'ils minimisent les faits de manière appropriée.
Igor Guirkine a partagé quelques-unes des phrases que ce guide recommande aux journalistes: