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Ukraine: «Un retrait des Russes serait une gifle pour Poutine»

Des chars russes en Ukraine. Le professeur André Liebich (médaillon).
Des chars russes en Ukraine. Le professeur André Liebich (médaillon).image: Keystone
Interview

«Un retrait des troupes russes serait une énorme gifle pour Poutine»

Professeur d'histoire et de politique internationale à l'Institut des hautes études internationales et du développement (IHEID) de Genève, André Liebich livre une analyse décalée sur la guerre en Ukraine.
16.03.2022, 18:5510.05.2023, 18:43
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Dans la guerre en cours, à quel dilemme est confronté Vladimir Poutine? Quel peut être son jeu diplomatique à présent?
André Liebich:
Il pensait prendre Kiev très rapidement, mais il s’embourbe en Ukraine. L’armée russe est moins efficace que ce à quoi l'on s’attendait. Je ne suis pas certain que toutes les informations remontent du front jusqu’au bureau de Vladimir Poutine et même s'il joue un jeu. Mais si tel est le cas, il est bien embêté.

Que cherche-t-il en envahissant l’Ukraine?
Il veut la neutralité de l’Ukraine. Il est sorti très frustré de négociations menées, en ce début d’année, avec les Américains et qui ont abouti à une fin de non-recevoir de ses demandes.

Que demandait-il?
Il demandait que l’Otan revienne à ses frontières de la fin de la guerre froide, une Otan sans la présence en son sein des pays de l’Est, anciennement sous domination soviétique. C’était là une exigence inacceptable pour les Américains et on n’a pas été surpris qu’elle ait été refusée. La demande de la neutralisation de l’Ukraine, autrement dit d’un statut de neutralité pour ce pays, assorti d’un désarmement de son territoire, était déjà plus réaliste. Mais elle a été également rejetée par les Etats-Unis, comme elle l’avait été, il y a quelques années par la Rada, le parlement ukrainien. L’Otan a considéré que la position souveraine, pour chaque Etat, est de pouvoir décider de ses alliances étrangères. La position russe était que chaque Etat doit tenir compte de son environnement, de ses voisins.

Quelle pourrait être la solution diplomatique qui mettrait fin à la guerre?
Si tout le monde s’entend sur le fait que l’Ukraine doit être neutre, les troupes russes pourraient se retirer après avoir détruit beaucoup d’endroits en Ukraine. Ce retrait mettrait un terme à la guerre. Ce qu’on constate, c’est que le président ukrainien Zelensky ne croit plus en la bannière de l’Otan en Ukraine. Il est prêt à faire des concessions à la Russie.

«Mais il s’agit à présent de convaincre la rue ukrainienne que telle est la solution. Or, et cela se comprend, la rue ukrainienne est très remontée contre les Russes. Elle voit l’Ukraine gagnante dans son conflit avec la Russie»

Des concessions ukrainiennes, mais en échange de quoi?
En échange du retrait des troupes russes.

La situation pourrait-elle aboutir à une partition territoriale de l’Ukraine, comme l’Allemagne fut scindée en deux durant la guerre froide?
Je ne le pense pas. Je ne pense pas que la Russie cherche à acquérir du territoire supplémentaire, même si le littoral de la Mer Noire est sensible pour elle. Côté ukrainien, la base de la pensée nationaliste est en Ukraine occidentale. Lviv et Ivano-Frankivsk sont les parties de l’Ukraine les plus remontées contre la Russie, dont elles n’ont jamais fait partie.

«La Russie ne me paraît pas chercher la division de l’Ukraine. Tout au plus voudrait-elle que les républiques séparatistes autoproclamées de l’Est du pays, Donetsk et Louhansk, bénéficient d’une forme d’autonomie. Une neutralisation et une fédéralisation de l’Ukraine seraient les bienvenues pour la Russie»
André Liebich

Le conflit peut-il s’aggraver?
Oui. Le grand danger est que le conflit s’élargisse à un conflit entre l’Otan et la Russie. Dans ce cas-là, on a des raisons de craindre l’armement nucléaire de la Russie.

Si l’Occident continue ses livraisons d’armes à l’Ukraine, la Russie pourrait-elle chercher à créer un incident direct avec l’Otan?
C’est certainement envisageable. L’une des revendications de la Russie, outre la neutralisation de l’Ukraine, est d’ailleurs l’arrêt des livraisons des armements occidentaux. Les Russes ne veulent pas que l’Ukraine devienne un arsenal pour l’Occident. C’est l’un des points de la négociation. La Russie tient à l’élimination des armements occidentaux déjà présents en Ukraine.

La guerre en Ukraine a-t-elle un point de comparaison dans l’Histoire?

«L’attitude des soldats russes en Ukraine ressemble à celle des soldats russes en Tchécoslovaquie lors du Printemps de Prague en 1968. Les Russes, déjà, cherchaient des nazis et n’en avaient pas trouvé. Ils pensaient intervenir dans un pays frère et ils ont été reçus comme des agresseurs et des occupants»
André Liebich

L’Union européenne peut-elle faire valoir son poids dans les négociations présentes et futures?
La Russie montre un mépris pour l’Union européenne depuis le début de la crise. Elle estime que l’UE est le vassal des Etats-Unis, si bien qu’elle négocie directement avec les Américains. Il est peu probable qu’elle change d’attitude. Elle regardera plutôt vers d’autres puissances qui sont plutôt neutres dans l’affaire, les Israéliens, la Chine, la Turquie.

«En Pologne et en Roumanie, la russophobie est extrême»

Dans quel état d’esprit se trouvent des pays comme la Pologne et la Roumanie, autrefois sous domination soviétique, aujourd’hui membres de l’Otan et voisins de la Russie?
En Pologne et en Roumanie, la russophobie est extrême. Le passé soviétique est pour beaucoup dans cette crainte et cette hostilité. Dans ces pays, on s’attend au pire de la part des Russes. Et l’invasion de l’Ukraine a confirmé le pire que Polonais et Roumains pouvaient escompter de la Russie. Depuis la chute du mur de Berlin, la politique étrangère polonaise a été classiquement antirusse. Celle de la Roumanie aussi. Et le fait qu’elles acceptent des réfugiés ukrainiens en très grand nombre fait coïncider la politique humanitaire avec la politique étrangère.

L’agression russe va-t-elle changer le regard un peu distant qu’ont certains pays de l’Est vis-à-vis de l’UE?
Jusqu’à présent, la politique étrangère de la Pologne et de la Hongrie était en froid avec l’UE. On va voir si cela change. Certainement la Pologne voit-elle dans la Russie un plus grand danger que cette dernière ne l’est aux yeux de l’UE.​

Pensez-vous que la fin de la guerre en Ukraine puisse être proche?
On peut arriver à la fin de la guerre. Les Russes ont assez obtenu. Les Ukrainiens, eux, ne sont pas tous nationalistes. Le mouvement pour continuer la guerre vient des pays de l’Est et de l’Otan, qui veulent mettre les Russes à leur place, pour ainsi dire.​

«Il n’y a pas de doute que la Russie est l’agresseur»

Ce que vous dites peut paraître étrange, car l’agresseur, celui qui a voulu la guerre et continue le combat, c’est la Russie.
Il n’y a pas de doute que la Russie est l’agresseur. J’ai pensé très longtemps que la Russie n’allait pas franchir le pas de la violence. Mais aujourd’hui que ce pas a été franchi, il s’agit de trouver une solution qui ne pourra certainement pas être un retour à la case départ, un statu quo ante pour la Russie.

Quel est votre regard sur la Russie? Vous semblez avoir de la compréhension pour elle. Vous avez plusieurs nationalités, la suisse, la canadienne, la britannique et la polonaise. Vous êtes même né polonais. Ne devriez-vous pas être un adversaire résolu de la Russie?
Ayant des origines polonaises, j’ai été élevé dans un patriotisme polonais très fort, que je récuse maintenant. Je suis parmi les rares Polonais qui voient la Russie comme n’étant pas forcément toujours dans le tort. Elle a subi beaucoup de pressions de la part de l’Occident. Elle voudrait être européenne, elle est exclue de l’Europe et cela me semble être un tort. L’expansion de l’Otan à la fin de la guerre froide a fait peur à la Russie. Elle a eu raison d’avoir peur. Mais évidemment cette agression de l’Ukraine contrevient à toutes les règles actuelles de la politique étrangère. On ne peut, d’aucune manière, cautionner l’attaque contre l’Ukraine, mais je plaide pour une compréhension de la peur russe de l’encerclement et je condamne la russophobie des voisins de la Russie.

N'avez-vous pas l’impression de livrer la version précisément servie ces jours-ci par la Russie? Vladimir Poutine n’est-il pas le seul responsable de l’absence de liens forts entre la Russie et l’Europe?

Il y avait des liens et même une alliance entre la Russie, la France et l’Allemagne contre la guerre en Irak en 2003. A cette époque-là, Poutine espérait encore que l’Union européenne allait se détacher des Etats-Unis pour devenir un acteur indépendant sur la scène internationale. Cela ne s’est pas produit. La dérive autoritaire de Poutine date de 2007, au moment de la conférence de Munich, lors de laquelle il a plaidé pour un monde multipolaire. Depuis lors, les chemins de l’Europe et de la Russie se sont éloignés. La Russie fait partie de l’Europe. Elle a toujours voulu se rapprocher de l’Europe. C’est l’Europe qui n’a pas voulu d’elle.

L'hypothèse que l'armée russe se retire d'Ukraine sans avoir rien obtenu est-elle envisageable?

«Ce serait une énorme gifle pour le président Poutine. Mais le problème, pour la Russie, est que la guerre va mal. Les troupes russes n'ont pas pris Kiev. Le président Zelensky apparaît victorieux. Un retrait sans rien obtenir serait une défaite pour la Russie»
André Liebich
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