Le cadre du palais royal de Varsovie était splendide et le premier discours du président américain après l'invasion de l'Ukraine se voulait historique. Joe Biden a donné le ton en qualifiant le président russe Vladimir Poutine de «boucher » et en concluant, par la même occasion:
Nous avons soumis les propos du président américain à Pascal Sciarini, professeur en science politique à l'université de Genève. Entretien.
Le président américain qui qualifie son homologue russe de «boucher», ça vous choque?
Pascal Sciarini: D'abord, il faut rappeler le contexte actuel. Depuis le début de la guerre en Ukraine, les codes diplomatiques usuels ont été totalement malmenés.
La Russie qui envahit un pays souverain, c'est bien ce contexte que vous évoquez?
Oui, exactement. C'est Vladimir Poutine lui-même qui a décidé de malmener les codes diplomatiques usuels en envahissant un pays sans raison tout en violant allégrement le droit international. A partir de là, les règles du jeu ont changé.
Le contexte justifie donc une surenchère verbale de la part des deux parties ?
Mon impression, c'est que Joe Biden ne pouvant pas intervenir de manière militaire en Ukraine, il choisit volontairement ce ton dur pour faire passer son message. L'idée du président américain est de dire:
L'utilisation du terme «boucher» n'est donc pas une bévue de la part de Joe Biden selon vous?
Je ne pense pas que cela soit une erreur ou une bévue de la part de Biden. A mon avis, c'est volontaire et cela lui permet de montrer les muscles face à Vladimir Poutine.
Joe Biden a répété précédemment qu'il ne pouvait pas intervenir militairement tant qu'un pays de l'Otan ne serait pas attaqué. Sa démesure verbale est proportionnelle à la démesure militaire de Poutine. C'est une façon de bomber le torse en quelque sorte.
Il s'agit donc d'un dérapage contrôlé?
Oui, j'ai l'impression que c'est un dérapage contrôlé. Il me semble que Joe Biden avait déjà traité Poutine de «tueur» avant même l'invasion de l'Ukraine. Avec le déclenchement de la guerre, les termes comme criminel de guerre ou de boucher sont apparus. Les Etats-Unis ne peuvent rien faire militairement alors les mots sont un peu la seule arme de Joe Biden actuellement.
Le président français Emmanuel Macron se distancie du discours de Joe Biden et ne veut pas être dans «l'escalade verbale», vous comprenez sa position?
Oui, c'est normal, car Emmanuel Macron est l'un des derniers dirigeants à communiquer directement avec le président russe.
Peut-être qu'au fond, le président français pense la même chose que Joe Biden, mais il est obligé de prendre ses distances d'un point de vue verbal. Ce qui est important, c'est que Poutine ne se sente pas isolé et qu'il n'ait pas l'impression que le monde lui est hostile.
Quelles pourraient être les conséquences de ces provocations verbales selon vous?
Il est évident que cela ne contribue pas à apaiser les relations diplomatiques. Mais il ne faut pas oublier que ce jeu d'agressions verbales a été tout d'abord mené par Vladimir Poutine, en soufflant le chaud et le froid à la frontière entre l'Ukraine et la Russie. Les mensonges et les jeux de communication ont été largement utilisés par la Russie. Il est clair que ces paroles ne vont pas apaiser les relations, mais elles sont actuellement à l'état de pseudo guerre froide et de mon point de vue, cela ne peut pas tellement être pire.
Quel est l'objectif de ce type de propos?
Ce qui est sûr, c'est que le but de ce discours n'est pas d'amener Poutine à être plus conciliant. Pour les Etats-Unis, il s'agit de dire à la Russie qu'elle ne peut pas faire n'importe quoi et qu'il y a des limites. Le partage des rôles est aussi important entre les Etats-Unis et la France.
Gentil flic, méchant flic c'est ça?
Oui, de toute façon, on avait déjà vu que Joe Biden n'arrivait pas à parler avec Vladimir Poutine, il peut donc se permettre tout en étant géographiquement éloigné de la Russie d'avoir un ton plus prononcé. Quant à la France, son rôle est plus délicat.
Au final, comment vous qualifierez le discours de Joe Biden?
Je n'ai pas d'opinion à donner. L'avenir nous le dira. On peut espérer qu'il n'y aura pas de rupture entre les Etats-Unis et la Russie. On espère que cela ne créera pas de précédent et que cela ne dérapera pas du niveau verbal au niveau militaire.
En tant que politologue, vous souvenez-vous d'un discours aussi direct entre les Etats-Unis et la Russie ?
Dans ce registre-là, non. On se croirait bientôt revenu à la crise des missiles cubains. Je ne veux pas exagérer le trait, mais dans la teneur des propos, je n'ai pas de souvenirs récents d'un tel langage entre ces deux grandes puissances.