L'Irak, dans l'impasse politique depuis les législatives d'octobre 2021, ne cesse de s'enfoncer dans la crise. La situation a brutalement dégénéré dans la capitale: après l'annonce surprise de leur leader, Moqtada Sadr, l'un des plus importants acteurs de la politique irakienne, des centaines de sadristes ont envahi le palais de la République où siège le Conseil des ministres, ont constaté des journalistes de l'AFP.
La mission de l'ONU en Irak, dont le siège se trouve dans la Zone Verte, a appelé les manifestants à quitter les lieux, exhortant toutes les parties à la «retenue maximale».
Le palais de la République envahi, le premier ministre Moustafa al-Kazimi a suspendu «jusqu'à nouvel ordre» le Conseil des ministres, et convoqué une réunion sécuritaire d'urgence au siège du Commandement militaire.
Alors qu'ils investissaient les bureaux, s'installant dans des fauteuils, sautant dans la piscine ou prenant des selfies, les forces de l'ordre sont intervenues, tirant des grenades lacrymogènes pour disperser les manifestants aux entrées de la Zone Verte, a affirmé une source de sécurité à l'AFP.
Des tirs à balles réelles ont éclaté aux entrées de cette île sur le Tigre ultra-sécurisée et désormais bouclée, ont rapporté des journalistes de l'AFP. Des témoins ont fait état à l'AFP d'échanges de tirs entre sadristes et partisans du Cadre de coordination, rival pro-Iran du camp de Moqtada Sadr. Deux partisans de Moqtada Sadr ont été tués et 22 autres blessés, ont indiqué des sources médicales à l'AFP.
Mais le couvre-feu décrété par l'armée dans Bagdad à partir de 14h30 (en Suisse) et dans tout l'Irak à 18h et le quadrillage de la capitale par les forces de l'ordre n'y ont rien fait: le chaos a gagné la Zone Verte.
Depuis près d'un an, les barons de la politique ne parviennent pas à s'accorder sur le nom d'un nouveau premier ministre. L'Irak, l'un des plus grands producteurs de pétrole au monde, n'a donc ni nouveau gouvernement ni nouveau président depuis les législatives.
Pour sortir de la crise, Moqtada Sadr et le Cadre de coordination s'accordent sur un point: il faut un nouveau scrutin anticipé. Mais si Moqtada Sadr insiste pour dissoudre le Parlement avant tout, ses rivaux veulent d'abord nommer un gouvernement.
Moqtada Sadr, né en 1974, n'a jamais lui-même gouverné. Il a connu une ascension fulgurante après l'invasion de l'Irak, emmenée par les Etats-Unis en mars 2003, notamment en créant l'Armée du Mehdi, une milice «résistante» face à l'occupant.
L'homme, aussi influent qu'imprévisible, n'a cessé de faire monter les enchères ces dernières semaines: depuis un mois, ses partisans campent aux abords du Parlement et ont même bloqué brièvement l'accès à la plus haute instance judiciaire du pays.
Lundi, dans un nouveau rebondissement, il a donc annoncé son «retrait définitif» de la politique et la fermeture de plusieurs institutions liées à sa famille. Le leader chiite est l'un des poids lourds de la politique qui peuvent envenimer la crise ou sortir le pays de l'impasse, car son aura religieuse et politique porte dans une partie de la communauté chiite, majoritaire en Irak.
Arrivé premier aux législatives avec 73 sièges (sur 329) mais, incapable de former une majorité, il avait fait démissionner ses députés en juin, affirmant vouloir «réformer» de fond en comble le système et en finir avec la «corruption».
Pour Hamzeh Hadad, chercheur invité au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR), son annonce «n'est pas très claire». «Dans la tradition sadriste, on peut s'attendre à ce qu'il fasse marche arrière», dit-il à l'AFP. Mais, «et c'est plus terrifiant:
Samedi, Moqtada Sadr avait donné «72 heures» à «tous les partis» en place depuis la chute de Saddam Hussein en 2003 – dont le sien – pour renoncer aux postes gouvernementaux qu'ils détiennent et laisser «place aux réformes».
Les prises de bec entre les sadristes et le Cadre de coordination n'ont pas jusqu'ici dégénéré en affrontements armés, mais le Hachd al-Chaabi, d'anciens paramilitaires alliés à Téhéran et intégrés aux forces irakiennes, s'est dit prêt à «défendre les institutions étatiques».
Dans son communiqué publié lundi, Moqtada Sadr ne fait toutefois ni allusion à l'Armée du Mehdi ni aux Brigades de la paix, autre groupe armé à ses ordres, créé en 2014 après que Mossoul fut tombée aux mains des djihadistes du groupe Etat islamique (EI). (jah/ats)