Cet échange est extrait d'un livre qui vient de paraître, Le cours de monsieur Paty, écrit par sa sœur, Mickaëlle Paty, avec le concours de la journaliste Emilie Frèche. On est en décembre 2023. Le tribunal pour enfants de Paris jugeait les six mineurs impliqués dans l’assassinat, le 16 octobre 2020, à Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines, du professeur de collège Samuel Paty, poignardé et décapité par Abdoullakh Anzorov, un islamiste radicalisé de 18 ans, originaire de Tchétchénie. Ils avaient aidé le tueur à identifier sa future victime.
Dans le dialogue reproduit ci-dessus, Mickaëlle Paty s'adresse à l’un des six collégiens accusés et condamnés. S’effondrant en larmes lors de son passage à la barre, demandant «pardon» à la famille de l’enseignant assassiné, il avait accepté 300 euros que lui avait donnés le terroriste afin qu’il lui désigne Samuel Paty à sa sortie du collège, à 16h30 cet après-midi-là. Abdoullakh Anzorov avait suivi le professeur et l’avait tué, le surprenant de dos. L’assaillant avait été abattu par la police quelques minutes plus tard alors qu’il se montrait menaçant.
Ce lundi 4 novembre, devant la cour d’assises spéciale de Paris s’ouvre le second volet du «procès Samuel Paty», celui des adultes, le plus lourd. Ils sont huit à comparaître jusqu’au verdict attendu le 20 décembre. Deux sont jugés pour complicité d’assassinat terroriste, l’accusation la plus grave, qui leur fait encourir la perpétuité, six autres pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, qui les expose à une peine de 30 ans de prison.
Les deux individus poursuivis pour complicité d’assassinat sont deux proches du terroriste, un Tchétchène de 23 ans et un Français de 22 ans. Ils sont accusés d’avoir aidé leur «ami» dans «la recherche et l’achat d’armes», ainsi que de l’avoir véhiculé dans une coutellerie de Rouen, en Seine-Maritime, pour l’acquisition d’un couteau correspondant à celui retrouvé à proximité du cadavre de Samuel Paty.
Mais le procès qui va commencer est moins celui de l’assassinat d’un professeur que de l'emballement qui y a conduit. Cet emballement a un nom: l’islamisme, avec l’islamophobie pour alibi.
A l’origine du drame, il y a le mensonge d’une collégienne de 13 ans de la classe de quatrième du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty. Dans une leçon consacrée à la liberté d’expression, ce dernier – tout est expliqué dans le livre de Mickaëlle Paty – procède en deux temps: d’abord un cours théorique, suivi d’un autre plus pratique. Contrairement à ce qui a été dit à l’époque, Samuel Paty n’a pris aucune liberté avec le règlement scolaire.
C’est dans le second cours, où chaque élève pourra dire s'il est ou n'est pas «Charlie», qu’il montre à la classe trois des caricatures du prophète Mahomet parues en 2006 dans Charlie Hebdo, qui vaudront à la rédaction de l'hebdomadaire satirique d'être décimée neuf ans plus tard par deux djihadistes qui voulaient «venger le prophète». Le professeur a choisi ce thème parce qu'il est en lien avec l’actualité du moment. En ce mois d’octobre 2020 se tient le procès des complices présumés des attentats meurtriers de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, un commerce juif et une agente municipale.
Samuel Paty, qui a le souci de la laïcité, autrement dit de ne pas heurter les convictions de ses élèves, prévient que ceux qui pourraient être gênés par la vision des trois caricatures – dont l’une représente le prophète Mahomet une étoile à hauteur d'anus, avec la légende «Mahomet: une étoile est née», qui faisait écho à une actualité à l'époque de la parution – peuvent, s'ils le souhaitent, sortir momentanément de la classe. Ce que certains font, accompagnés d'un auxiliaire scolaire.
C'est à ce moment qu'un mensonge est proféré. Z., une élève de Samuel Paty, affirme que l’enseignant a demandé aux musulmans de sortir de la classe lors de la présentation des caricatures. C’est faux. Jamais ce dernier n’a demandé à quiconque de quitter la classe, ni ne s’est adressé à ses élèves musulmans ou supposés tels.
Mais, surtout, celle qui ment n’était pas en classe lors du cours en question, le 6 octobre. Elle était absente après s'être montrée indisciplinée la veille.
Z. s’enferme dans son mensonge. Ses parents aussi. Surtout son père, Brahim Chnina, 52 ans, cofondateur d’une association d’aide aux personnes à mobilité réduite pour se rendre notamment en pèlerinage à La Mecque, qui comparaît au procès pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. Il se lance dans une campagne de cyberharcèlement contre le professeur, réclame son renvoi, communique son numéro de téléphone sur les réseaux sociaux. Il lui reproche de stigmatiser et discriminer les musulmans, or rien de cela n'est vrai.
Un militant islamiste radical le rejoint dans son entreprise de dénigrement. Abdelhakim Sefrioui, 65 ans, qui prétend être le «représentant des imams de France», est le fondateur du collectif pro-Hamas Cheikh Yassine. Bien connu des services de renseignement, il est fiché S. Il est accusé d’avoir participé avec Brahim Chnina «à l’élaboration et la diffusion de vidéos présentant des informations fausses ou déformées destinées à susciter un sentiment de haine» à l’égard de Samuel Paty. Dans une vidéo, il dénonçait une France islamophobe et qualifiait Samuel Paty de «voyou».
Abdelhakim Sefrioui, membre du conseil des imams de France a participé à cette fatwa contre le professeur #SamuelPaty
— Waleed Al-husseini (@W_Alhusseini) October 17, 2020
ainsi que la Grande Mosquée de Pantin qui a l’a relayée.
J’espère que leur responsabilité sera engagée. pic.twitter.com/AYccj4vUm8
Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, dont le combat virulent contre le professeur est relayé par le site d'une mosquée de la banlieue parisienne et des associations islamistes qui seront dissoutes par la suite, sont actuellement en détention provisoire. Ils nient être pour quelque chose dans la mort du professeur d’histoire-géographie. Abdelhakim Sefrioui conteste tout lien avec le terroriste, alors qu'une trace téléphonique atteste d'un échange d'une minute et vingt et une secondes, le 9 octobre 2016, entre Brahim Chnina et ce dernier, sans qu'on sache ce qu'ils se sont dit.
Ce 9 octobre 2016, Abdoullakh Anzorov a pris connaissance des publications de Brahim China sur Twitter contenant des données personnelles relatives à Samuel Paty. En plein processus de radicalisation, Abdoullakh Anzorov, qui vit avec ses parents et ses cinq frères à Evreux, dans l’Eure, département voisin des Yvelines, «cherche depuis un certain temps à "venger Allah" en punissant des mécréants», écrit Mickaëlle Paty. Il va mettre sa soif de vengeance à exécution. Le 26 octobre, onze jours après le mensonge de Z. où se sont engouffrés les harceleurs Brahim Chnina et Abdelhakim Sefrioui, le jeune Tchétchène passe à l’acte, qu'il revendique d’une photo post-décapitation publiée sur Twitter, accompagnée de ces mots:
Dans son livre, Mickaëlle Paty s’en prend au «pas de vague» de l’éducation nationale, de la justice et de la police. Ces institutions n’ont eu de cesse de minimiser le danger de mort qui pesait sur son frère. Elles ont donné crédit aux allégations de Z, l’élève de 13 ans, alors qu’elles les savaient mensongères.
De tous les procès pour terrorisme islamiste qui se sont déroulés en France depuis dix ans, celui qui arrive est peut-être le plus «français» et pour cela le plus sensible. Mickaëlle Paty a cette phrase choc dans son livre:
La décision est récente: le collège du Bois d'Aulne où enseignait Samuel Paty a été renommé du nom de professeur assassiné.
Mickaëlle Paty, avec Emilie Frèche, «Le cours de monsieur Paty», Albin Michel, 206 pages.