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Israël-Palestine: «Un bon dessin doit avoir un impact immédiat»

dessin de presse de Patrick Chappatte sur le conflit israelo-palestinien
Guerre contre le terrorisme? - © Chappatte dans NZZ am Sonntag, Zürich

«Pour le même dessin, je me fais traiter de sioniste et d’antisémite»

Comment exprimer par le dessin les atrocités du Hamas et les bombardements qui ont fait des milliers de morts dont plus de 4000 enfants à Gaza? Patrick Chappatte, dessinateur de presse suisse, navigue entre les sensibilités et nous explique son art en ces temps difficiles.
18.11.2023, 06:5618.11.2023, 10:00
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Patrick Chappatte est un dessinateur de presse suisse à l'aura internationale et de nombreuses fois primé. Le Genevois de 56 ans travaille pour Le Temps, la NZZ, Le Canard enchaîné, La Tribune du dimanche, le magazine allemand Der Spiegel et le Boston Globe. Outre ses dessins de presse, il a publié des reportages en bande dessinée, dont un, en 2009, intitulé Dans l'enclos de Gaza. Comment vit-il les événements actuels? Quel est le rôle d'un dessinateur de presse dans ce contexte? Interview.

Patrick Chappatte, Cartoonist and President of Freedom Cartoonists Foundation, speaks during the 51st annual meeting of the World Economic Forum, WEF, in Davos, Switzerland, on Thursday, May 26, 2022. ...
Image: KEYSTONE

Patrick Chappatte, vu l'actualité, comme allez-vous?
Je vais comme tout le monde, j'ouvre mon téléphone avec appréhension tous les matins en me demandant ce qui va encore nous tomber dessus. C'est une période difficile pour tout le monde. Je dois dire que le dessin de presse est une forme de ‹pratique méditative› pour moi, car il me permet d'évacuer par l'image, tout ce qu'on se prend dans la figure avec l'actualité. Je le fais tout d'abord pour moi, mais aussi un peu pour les lecteurs.

«En fait, j'ai rarement vu une période aussi difficile émotionnellement. Les réactions sont exacerbées.»

Comme les journalistes, vous êtes en permanence informé des événements qui se déroulent en Israël et dans la bande de Gaza, cela vous touche?
Oui. Je digère toutes les atrocités. Quand on est du métier, on est dans l'obligation de s'y intéresser, tout le temps. Cela fait à peu près un mois que je traite le même sujet pour tous mes employeurs. Il faut du courage pour s'y replonger.

«J'ai fait un dessin il y a quelques jours et je me suis fait traiter en même temps de sioniste et d'antisémite»

De quel dessin s'agissait-il?
Celui des chars israéliens qui entrent dans Gaza.

chars israéliens qui entrent dans Gaza dessin Chappatte 1 novembre 2023
Offensive terrestre israélienne - © Chappatte dans Le Temps, Genève

Pour qu'un dessin soit bon, il doit tout dire en un instant et avoir un impact immédiat. Un seul dessin doit tout dire, il doit faire passer le sentiment d'atrocité de l'attaque du Hamas et ensuite montrer la réponse complètement disproportionnée de l'armée israélienne à Gaza.

«Mais le plus compliqué, c'est qu'un dessin n'est jamais l'entièreté de son auteur»

Malheureusement, c'est souvent comme cela qu'il est reçu par le public. Sur les événements actuels, j'en fais plusieurs et chaque dessin traite d'un aspect de la même actualité.

Sur la guerre à Gaza, est-ce qu'un de vos dessins a été fortement discuté au sein d'une rédaction?
Il y a toujours des discussions au sein de la rédaction, mais j'ai une méthode. Je propose toujours 4 ou 5 esquisses, après je fais voter une partie de la rédaction, puis je fais un autre sondage anonyme et après je choisis.

«La parution d'un de mes dessins passe toujours par ce processus même si c'est moi qui ai le mot de la fin»

Dans la semaine du 7 octobre, un des titres pour lesquels je travaille a supprimé mon dessin hebdomadaire. Au moment du bouclage, à 17h, on m'a demandé de le remplacer par un autre dessin qui ne traiterait pas de la guerre. Au final, ils ont publié une photo... du concours de la plus grosse citrouille! C’est dire où on en est. Je vais avoir une discussion profonde avec la rédaction en chef.

C'est la première fois que l'on ne publie pas un de vos dessins?
C'est la première fois qu'on essaie de me faire changer au moment du bouclage, oui. Finalement le dessin n'est pas apparu et c'est aussi une première pour moi.

Vous travaillez pour Le Temps, la NZZ, mais aussi Der Spiegel en Allemagne et le Boston Globe, comment vous adaptez vos dessins à ces lectorats très différents?
Adapter n'est pas le bon mot. Je dirai qu'il y a des sensibilités différentes selon le lectorat de chaque média. Le processus d'esquisses que j'ai mis en place au sein des rédactions fonctionne et on vient me dire parfois, surtout dans les médias germanophones comme la NZZ et Der Spiegel: «écoute, ce dessin sera mal compris par notre lectorat».

«Il est vrai que les médias allemands connaissent cette réalité, car ils se font traiter de Nazi rapidement quand quelque chose ne convient pas»

J'ai l'avantage de travailler pour plusieurs médias et parfois quand un dessin ne passe pas, je le propose ailleurs. Vous savez, c'est un jeu très subtil de gagner sa liberté et de la conserver. Actuellement, ça n’est pas très utile d’aller dans le mur et faire des dessins outranciers qui foncent dans le tas. Il faut essayer de slalomer entre les sensibilités.

Les actus de Patrick Chappatte
Le recueil de Chappatte, intitulé Fins de règne aux Editions Les Arènes, paraît le 16 novembre. Le livre est un témoignage d'un monde qui bascule, à travers les meilleurs dessins de presse de ces cinq dernières années. Patrick Chappatte présente aussi dès janvier 2024, le spectacle intitulé Chappatte en scène- Le spectacle dessiné, une création présentée par Opus One, Boulimie et Good Story. Une dizaine de représentations au théâtre Boulimie de Lausanne.

Je voudrais discuter de deux dessins que vous avez faits sur la guerre à Gaza et qui m'ont marqué. Tout d'abord celui traitant des étapes du deuil israélien suite aux attaques du Hamas.👇🏽 Comment l'avez-vous imaginé?

Après les atrocités du Hamas, les étapes du deuil israélien
Horreur sur Gaza, © Chappatte dans Le Temps, Genève, 13 octobre 2023

Pour celui-ci, l'idée était de montrer la réaction d'Israël face à cette attaque. Israël était tellement touché que la seule réaction envisageable pour ce pays était de frapper le plus durement possible. C'est presque un processus psychologique.

«On frappe le plus durement et le plus violemment possible. La réaction est totalement disproportionnée.»

C'est une colère très forte et seuls les psychiatres peuvent nous éclairer sur cette réaction. Je trouvais que ce dessin était subtil, je suis content que vous l'ayez choisi.

Un autre dessin a attiré mon attention. Il est intitulé «L'état du débat », il a été publié dans Le Canard enchaîné et traite de l'antagonisme des points de vue, que vous évoque-t-il?

dessin de Chappatte sur l'état du débat en Europe à propos de la guerre entre Israël et le Hamas
L'état du débat © Chappatte dans Le Canard Enchaîné, 2 novembre 2023

Ce dessin arrive à capturer une sorte d'évidence. Il y a de l'empathie sélective, c'est-à-dire une expression emphatique pour un camp ou pour l'autre, mais pas pour les deux.

«Aujourd'hui le débat se réduit au "pour ou contre" et ne voit pas les milliers de victimes»

A travers ce dessin, je voulais exprimer cette obligation de prise de position. On a presque un choix à faire et le dessin essaie d'exprimer le débat actuel. Quand je vois qu'on interdit des manifestations pro-palestiniennes en France, c'est préoccupant. Et quand certains sont incapables de nommer les horreurs subies par les Israéliens le 7 octobre, c'est quand même incroyable.

En 2009 vous avez fait un reportage à Gaza lors d'une trêve de quelques jours après l'offensive israélienne, est-ce que la guerre actuelle a réveillé quelque chose en vous?
Oui. Ça a réveillé beaucoup de choses difficiles en moi. C'était un reportage BD très dur à faire. J'ai vu et entendu des horreurs. A l'hôpital al-Shifa, à Gaza, j'ai vu un enfant de neuf ans avec une balle de sniper logée dans son cerveau.

«Des maisons ont été touchées par des obus de phosphore blanc qui au contact de l'oxygène s'enflamment, des enfants ont été brûlés par ces bombes»

Mon objectif était de récolter le maximum d'informations fiables. Mais j'ai vu des atrocités, notamment l'impact de la guerre sur la population civile.

extrait BD Chappatte à gaza (2009)
Extrait de la bande dessinée, Dans l'enclos de Gaza, parue en 2009

Ce reportage BD résonne encore beaucoup en moi aujourd'hui. A Gaza j'ai rencontré un psychiatre qui m'a parlé de l'impact des bombardements massifs sur les civils.

«Le psychiatre que j'ai rencontré à Gaza pensait que cette manière de terroriser et de tuer les civils était conçue par des confrères psychiatres israéliens, car cela a un effet psychologique très fort sur la population. Cette méthode de guerre provoque une peur et une dépression profonde.»

Quand on bombarde la population, on crée un sentiment de panique et d'insécurité permanent, il n'y a nul endroit où se protéger. Personne n'est en sécurité. On a peur tout le temps. Quand on était à Gaza, il y avait une trêve, mais on regardait tout le temps vers le ciel, par peur d'un bombardement.

On sent une certaine émotion quand vous parlez de Gaza.
Oui. En 2009, j'ai vu de nombreuses victimes civiles, beaucoup de femmes et d'enfants blessés et traumatisés. Ces traumatismes psychologiques, créés par les différentes guerres sur les enfants, seront très forts, m'a dit le psychiatre.

«Il pensait que dans quelques années, ces enfants traumatisés deviendraient probablement des adultes violents»

Pour lui, il ne faut pas négliger l'impact psychologique de ces violences commises sur la population civile. Et puis quand on parle de Gaza, il ne faut pas oublier que c'est extrêmement petit et dense. Deux millions d'habitants sur une bande de terre de moins de 50 km de long. On se sent vite piégé à Gaza.

Pour clore notre entretien, je vous ai demandé de choisir un dessin qui vous a particulièrement marqué et qui fait échos aux événements actuels, vous avez choisi celui-ci 👇🏽 Le cri d'Hani Abbas.

Dessin de Hani Abbas intitulé le cri syrien

Il y a beaucoup de dessins qui m'ont marqué, mais j’ai été frappé de voir que le dessinateur palestinien exilé de Syrie Hani Abbas (qui vit en Suisse avec sa famille) avait reposté le très beau dessin ci-dessus en tête de sa page Facebook. Initialement réalisé pour illustrer la guerre de Syrie, ce «cri» dessiné par quelqu'un comme lui, qui est né dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie, prend un nouveau sens dans le contexte de Gaza.

L'attaque du Hamas contre Israël, en images
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L'attaque du Hamas contre Israël, en images
Des habitants de la ville d'Ashkelon, dans le sud d'Israël, évacués par la police.
source: ap / tsafrir abayov
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Gaza après les bombes
Video: watson
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