«Plus personne ne regarde Fauda, on a la réalité sous les yeux.» Père de deux fils actuellement sous les drapeaux de Tsahal, Charles Enderlin, ancien correspondant de France 2 en Israël, a le sens de la formule. Diffusée à partir de 2016, la série israélienne est toujours disponible sur Netflix. Pour ceux qui n’ont pas accès à la «réalité» dont parle le journaliste franco-israélien, auteur d'un brûlot contre le gouvernement Netanyahou, elle agit tel un révélateur des passions ayant mené au massacre du Hamas et à la réplique implacable d’Israël.
Mieux – ou pire –, elle annonce, comme on va le voir, le 7 octobre et ses suites meurtrières à Gaza.
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En deux mots, Fauda raconte le quotidien d’une unité spéciale de l’armée israélienne, chargée de prévenir les attentats et d’en liquider les auteurs. Connus sous le nom de Mista'arvim, les hommes et les femmes qui la composent parlent arabe. Essentiel pour les missions d’infiltration. Dernièrement, l’un des producteurs de la série, Matan Meir, qui avait réintégré les rangs de Tsahal après l’attaque du 7 octobre, est mort avec cinq autres soldats israéliens dans l’explosion d’un tunnel, dans le nord de la bande de Gaza.
Un épisode de Fauda se détache du reste. Il s’agit de l’épisode 11 de la saison 1. Ce qu’il s’y dit est à peine croyable, tant cela épouse le storytelling des événements tragiques d’aujourd’hui. La fiction, ici, précède la réalité.
On est en Cisjordanie, côté Hamas, mouvement clandestin qui multiplie les actions terroristes au nez et à la barbe de l’Autorité palestinienne, la représentation légale des Palestiniens dans les territoires occupés par Israël. La scène démarre à 3,34 minutes de la fin de l’épisode en question. Elle réunit deux personnages: Abou Ahmad, un terroriste autant craint que respecté, et son lieutenant Walid Al Abed, interprétés par des acteurs israélo-arabes.
(Walid Al Abed): Abou Ahmad, qu’est-ce qu'il y a dans la valise?
(Abou Ahmad) Le salut. Le kamikaze l’aura avec lui demain. Du gaz sarin. Tu sais ce que ça fait?
(Walid Al Abed) Non.
(Abou Ahmad) Au début on dirait un rhume. Ensuite on suffoque. Enfin, on vomit et on meurt étouffé.
(Walid Al Abed) Ça peut conduire à la guerre.
(Abou Ahmad) Conduire à quoi? Dans quelle direction on allait jusqu’à présent?
(Walid Al Abed) Tu m’as compris...
(Abou Ahmad) C’est très simple. Tu n’imagines pas à quel point. L’attentat aura lieu dans une synagogue.
(Walid Al Abed) Une synagogue?
(Abou Ahmad) Les juifs vont riposter. Cette fois ils seront impitoyables. Ils commettront des crimes de guerre sans précédent. Les Etats musulmans réagiront, y compris l’Iran. Quand l’Amérique voudra intervenir, il sera trop tard. Ce sera le début de la fin des sionistes.
(Walid Al Abed) Mais c’est exagéré. On n’a jamais fait ça. On n’a jamais utilisé du gaz.
(Abou Ahmad) Réfléchis bien, vois les choses en grand. Tout ce que nous avons fait nous a amené à ce moment. Cet attentat va renverser l’équilibre des forces dans la région. L’histoire retiendra nos noms.
(Walid Al Abed) Mais il y aura plein de victimes.
(Abou Ahmad) C’est le but.
(Walid Al Abed) Pas de leur côté, du nôtre. Après leur riposte.
Remplaçons la synagogue par les kibboutz du sud d’Israël, le gaz sarin par des fusils et des couteaux, et l'on obtient le scénario du drame entamé le 7 octobre. Tout y est:
Le Hamas a-t-il regardé Fauda? C’est bien possible. Mais ce sont ses auteurs, les Israéliens Lior Raz et Avi Issacharoff, tous deux anciens membres d’une unité d’élite de Tsahal, qui ont scénarisé ce «bouquet final» de l’impasse israélo-palestinienne. Dans une récente interview au magazine français Le Point, le second apporte tout son soutien aux forces israéliennes. Il rappelle que, dans la série, l'hôpital Al-Shifa de Gaza est décrit comme le quartier général du Hamas. L'établissement est l'objet d'intenses spéculations ces jours-ci. Des images diffusées dimanche par l'armée israélienne montrent, selon elle, des otages amenés là le 7 octobre.
Critiquée par certains parce que se plaçant, selon eux, du côté juif, la série Fauda, qualifiée d’hyperréaliste, donne surtout à voir la brutalité des rapports israélo-palestiniens, comme placés sous le signe d’une vendetta sans fin.