«Je fais partie de ceux qui disent: très bien, nous les avons vus. Il faudrait que nous puissions voir également un film qui nous montre ce qui se passe à Gaza en ce moment.» Aymeric Caron s'est dit «dégoûté,» «écoeuré», «bouleversé» par ce qu'il s'est infligé mardi. L'élu LFI faisait partie de la centaine de députés ayant choisi de visionner l'horreur crue de l'attaque du 7 octobre 2023, sur grand écran, à l'Assemblée nationale.
👉 Notre direct sur l'attaque du Hamas contre Israël 👈
Un document de 44 minutes et 43 secondes, monté par l'armée israélienne au moyen de séquences tournées par les terroristes capturés ou décédés du Hamas, les smartphones de survivants et de secouristes, mais aussi des caméras de surveillance. Un snuff movie brut de décoffrage, déjà projeté devant des journalistes internationaux et des diplomates en Israël.
A chaque fois, les mots manquent quand il s'agit de décrire ce long et volontaire cauchemar éveillé.
Mais les images, aussi abominables soient-elles, n'ont pas pour autant calmé l'affrontement politique et idéologique qui fait rage en France, alors que plusieurs milliers d'actes antisémites ont été recensés sur le territoire. L'ex-socialiste David Habib, manifestement choqué, les larmes au bord des yeux, peinait à aligner deux syllabes, une fois sorti de la salle. Mais le vice-président de l'Assemblée nationale trouvera néanmoins la force de régler ses comptes avec le député LFI David Guiraud, accusé depuis plusieurs jours de «relativiser l'attaque du Hamas».
« Tu es un chien ! » a lancé le député ex- @partisocialiste @DavidDhabib au député @FranceInsoumise @GuiraudInd dans la salle de l’ @AssembleeNat où ils assistaient à la projection du film sur les massacres terroristes du #Hamas du #7Octobre pic.twitter.com/DQpUX9OtBB
— Haziza Frédéric (@frhaz) November 14, 2023
David Guiraud avait confié se rendre à cette séance «pour partager un moment de peine, de deuil et d'effroi avec des compatriotes meurtris par ces crimes de guerre».
Pour le député du Rassemblement national Julien Odoul, «c’était un silence de cathédrale et beaucoup d’émotion. Là, il n’y a plus de partis politiques, il n’y a plus d’étiquettes, il n’y a plus de divergence. Juste l’humanité et la barbarie». Mercredi, Xavier Bertrand s'est appuyé sur l'exemple du procès de Nuremberg pour inviter la justice française à contraindre «ceux qui sont coupables d'actes antisémites, à visionner ce film». L'idée générale, derrière cette proposition de l'actuel président du conseil régional des Hauts-de-France, étant de «ne pas pouvoir dire je ne savais pas ou ça n'a pas eu lieu».
Dès la fin de la projection, à l'image d'Aymeric Caron sur BFMTV, plusieurs élus d'extrême gauche se sont empressés de demander la «version israélienne» des «atrocités» que l'armée de Tsahal inflige «actuellement à la population gazaouie». Sous-entendu: il faut pouvoir comparer. Comme si regarder de ses propres yeux offrait la possibilité de mieux analyser, mieux siéger, mieux légiférer, mieux gouverner.
Mais est-ce bien là le rôle d'un politicien? Petit coup de fil à Alexandre Eyries, enseignant et chercheur HDR en sciences de l'information, qui nous dit que «c'est un exercice inédit, mais une étape importante».
De là à s'infliger des horreurs? «Oui, c'est assurément un choix compliqué. Mais, à mon avis, c'est une manière courageuse de montrer qu'on ne se contente pas d'apposer une opinion sur ce qu'on entend à droite et à gauche.» Ce spécialiste français de la comm' politique s'empresse aussi d'évoquer le fait que, pour La France Insoumise, «c'est une tentative de redorer son blason», après «une longue série de communications catastrophiques» depuis l'attentat du 7 octobre. «On peut bien sûr noter que c'est Israël qui a voulu montrer ces images, mais elles sont certainement dignes de confiance», analyse Alexandre Eyries au bout du fil.
De son côté, le politologue suisse René Knüsel s'avoue partagé, notamment sur les retombées émotionnelles d'un tel exercice. Pour exprimer au mieux sa pensée, notre interlocuteur cite une ancienne élue suisse qui disait que «si vous rencontrez les gens, votre opinion politique va fortement changer. Mieux vaut donc ne pas rencontrer les gens». En d'autres termes, comment ne pas ressortir bouleversé après quasi une heure d'atrocités sur grand écran?
«A-t-on besoin de s'infliger cela en tant que politicien, pour être en mesure de se faire une opinion? Je ne crois pas. Mais s'il y a toujours eu une guerre de l’information, avec cet exercice, c’est un sacré cran supplémentaire.» René Knüsel évoque aussi ce risque qu'une fois sortis de la salle, les députés sont susceptibles de se croire suffisamment armés pour se présenter désormais comme des témoins informés, fiables et objectifs. C'est évidemment faux.
Et si cette initiative était proposée à Berne? Après un très rapide coup de sonde, on sent chez certains conseillers nationaux une certaine gêne à anticiper un choix qu'ils n'ont pas (encore?) à faire. Le PLR valaisan Philippe Nantermod «soutient Israël dans sa défense sans avoir à s’imposer ces horreurs» et considère que ce sont des images qui «s’imposent uniquement aux personnes qui minimisent le terrorisme». De son côté, le Vert Fabien Fivaz dit ne pas en avoir besoin pour bien faire son job.
En France, la foire d'empoigne, qui a emboîté le pas des horreurs sur l'écran de l'Assemblée nationale, prouve que ce cauchemar volontaire est avant tout une question politique. Mais le cerveau humain se ramasse tout de même un choc qui ne sera jamais anodin. Comme le disait la psychiatre Muriel Salmona, en parlant des vidéos de l'attaque au couteau d'Arras, qui circulaient sur les réseaux il y a un mois, «il y a une sorte d'anesthésie émotionnelle qui est très piégeante. Parce qu'on peut avoir l'impression qu'on supporte d'aller regarder toutes ces vidéos. Mais en fait, on ne le supporte pas. On est anesthésié».
«J’espère sincèrement qu’il n’y a pas eu de voyeurisme à l'Assemblée nationale», conclut pour sa part René Knüsel, avant de «s'étonner» que ça n’ait «pas été fait avec l’Ukraine».