«Du plateau du Golan, nous avons une magnifique vue d'Israël et nous pouvons arriver très rapidement à Damas, la capitale syrienne», explique Cyrus Schayegh. En une phrase, le professeur résume l'enjeu stratégique de ce territoire de 1154 km2 coincé entre les deux puissances et annexé par Israël.
Que cherche le pouvoir israélien en avançant ses troupes dans la zone démilitarisée? Occupation territoriale ou «stress test» face aux nouveaux chefs de Damas? Comment analyser cette avancée israélienne? Eclairage de Souhail Belhadj-Klaz, professeur invité au Geneva Graduate Institute, spécialiste de la Syrie et Cyrus Schayegh professeur d'histoire internationale, expert d'Israël.
Pour comprendre l'importance du Golan, il suffit d'ouvrir une carte. Le plateau du Golan, culminant à 2000 mètres d'altitude de 12 à 25 kilomètres de large et de 67 kilomètres de long, est bordé par la Syrie à l'Est, Israël à l'Ouest, le Liban au Nord et la Jordanie au Sud.👇🏽
Cette position hautement stratégique en fait un enjeu militaire majeur entre la Syrie et Israël. Mais revenons un peu à l'histoire de ce territoire. Tout d'abord, le Golan est un territoire syrien qui a été conquis par Israël durant la guerre des Six Jours en 1967. Les Nations Unies ont condamné l'occupation israélienne de 1967 et considèrent le plateau du Golan comme étant un territoire occupé.
La Syrie a tenté de récupérer le plateau en attaquant Israël lors de la guerre du Kippour en 1973, sans y parvenir. En 1974, un accord a permis de créer une zone tampon démilitarisée régie par l'ONU entre le plateau du Golan occupé et la Syrie. Le territoire a été annexé officiellement par l'Israël en 1981, malgré les condamnations des Nations Unies qui jugent cette action illégale du point de vue du droit international. En 2019, Donald Trump a reconnu le territoire occupé comme partie intégrante d’Israël, le président américain aura même une colonie à son nom appelée Ramat Trump.
Cette région qui a sans aucun doute une haute valeur stratégique pour Israël, car sa plus proche localité est à une soixantaine de kilomètres seulement de la capitale syrienne Damas.
Israël a déjà annexé le Golan syrien depuis 1967, alors, comment comment expliquer l'incursion de Tsahal dans la zone démilitarisée surveillée par l'ONU, aux risques de déstabiliser la région? Pour Cyrus Schayegh, l'un des objectifs culmine à 2814 mètres.
En effet à cette altitude, on découvre le mont Hermon, situé entre le Liban et la Syrie, dont le côté méridional fait partie du Golan annexé. Dans cette zone contrôlée par Israël se situe la seule station de ski du pays promue par de nombreux opérateurs touristiques. Mais le développement de ces activités de plaisance ne doit pas faire oublier la position stratégique du Hermon dans la région, dont le sommet est partagé entre la Syrie et le Liban.
Cyrus Schayegh, ajoute que si la Syrie est affaiblie militairement par les bombardements de Tsahal, Israël pourrait «survoler le pays sans problème» et se rapprocher de l'Irak, voisin de l'Iran. Ainsi, à la faveur du chaos syrien, les troupes israéliennes ont pris le contrôle le 9 décembre d'une zone supplémentaire d’environ 400 km2 en territoire syrien, dans laquelle se trouvent les Casques bleus. L'armée israélienne a également pris position sur le sommet du Hermon, côté syrien où le Premier ministre Benjamin Netanyahou a organisé une réunion militaire pour marquer l'avancée de ses troupes et justifier son action pour «la sécurité d'Israël».
Selon l'historien, les troupes israéliennes «pourraient rester au sommet du Hermon», contrairement à la zone démilitarisée où l'objectif d'une annexion «semble peu probable». Il poursuit en expliquant que l'entrée de Tsahal dans la zone démilitarisée sera utilisée par le gouvernement israélien comme un levier de négociation avec la Syrie.
Une analyse qui n'échappe pas au chercheur Souhail Belhadj-Klaz, qui précise, toutefois, que la conquête du sommet du mont Hermon et de la zone tampon régie par l'ONU ne doit pas faire oublier «qu'historiquement, à chaque moment de tension et de guerre, Israël s'est servi de sa supériorité militaire pour occuper de nouveaux territoires», il ajoute:
La violation volontaire de la zone démilitarisée, ne servirait-il qu'à l'expansion du pouvoir militaire israélien pour mieux espionner ses voisins ou à une véritable conquête territoriale, nul ne le sait pour l'instant, mais d'autres objectifs majeurs se cachent derrière ce «contre-feu» selon Souhail Belhadj-Klaz.
Alors que ses troupes entrent illégalement dans la zone démilitarisée et montrent leurs forces sur la partie syrienne du mont Hermon, le gouvernement israélien a annoncé, le 15 décembre, qu'il doublerait la population du plateau du Golan annexé.
Les localités établies sur le plateau du Golan comptent aujourd'hui environ 31 000 colons israéliens et près de 20 000 Syriens dont la majorité est composée d'Arabes druzes d'origine syrienne qui n'ont pas fui après l'occupation israélienne de 1967. «Le type de population qui est établi dans le Golan n'est pas le plus fervent soutien politique de Netanyahou», explique Cyrus Schayegh, il ajoute que la région ne joue pas un rôle majeur du point de vue historique et idéologique pour Israël.
Ce que confirme Souhail Belhadj-Klaz en expliquant que les Syriens druzes qui y sont établis se sont «accommodés de l'occupation israélienne» et que la région à la frontière entre le Liban et la Syrie reste dangereuse pour y installer de nouvelles habitations.
Le mot est lâché et les deux hommes s'accordent à dire que l'annonce du doublement de la population par le premier ministre israélien est de la «rhétorique politique».
En effet, alors que les bombardements israéliens à Gaza ont fait plus de 45 000 morts, dont près de 70% des victimes sont des femmes et des enfants, d'autres violences perpétrées par les colons et les soldats israéliens en Cisjordanie ont augmenté drastiquement. Ainsi, l'ONU recense depuis le 7 octobre 2023 et jusqu'au 1ᵉʳ avril 2024, que les forces israéliennes en Cisjordanie ont tué 428 Palestiniens, dont 110 enfants, y compris à Jérusalem-Est.
Cyrus Schayegh confirme:
Ainsi, malgré les rappels au respect du droit international et la décision de la Cour International de Justice (CIJ) qualifiant d'illégale l'occupation d'Israël des territoires palestiniens depuis 1967, les violences, menaces, agressions et assassinats se poursuivent dans les territoires occupés, comme le rappelle l'ONG Human Rights Watch:
Pour les deux hommes, bien que les objectifs militaires de Tsahal sur le plateau Golan sont on ne peut plus clairs, ils ne doivent pas passer sous silence les événements à Gaza et en Cisjordanie. Souhail Belhadj-Klaz, souligne que cela soit à Gaza, en Cisjordanie, au Sud Liban, en bombardant le territoire syrien, ou en franchissant la zone démilitarisée du Golan, «Israël alimente le chaos et l'instabilité chronique de la région par ses violations répétées du droit international». Il conclut: «La sécurité d'Israël est-elle ainsi renforcée comme ses dirigeants le prétendent ? La réponse est évidemment non. Face à cette situation, la communauté internationale prouve à quel point elle est impuissante».