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Que cache l'avancée israélienne dans le Golan syrien?

epa11797436 Israeli military vehicles pass along the buffer zone on the border between Israel and Syria, near the Druze village of Majdal Shams, in the Israeli-annexed Golan Heights, 29 December 2024. ...
Des véhicules militaires israéliens passent le long de la zone tampon à la frontière entre Israël et la Syrie, près du village druze de Majdal Shams, sur le plateau du Golan annexé par Israël, le 29 décembre 2024.Image: EPA

Que cache l'avancée israélienne dans le Golan syrien?

L'armée israélienne a pénétré illégalement dans la zone tampon du plateau du Golan après la chute du régime syrien. Que cherche le pouvoir israélien? Quels sont les enjeux du Golan pour les deux pays voisins? Eclairage.
30.12.2024, 19:0006.01.2025, 22:35
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«Du plateau du Golan, nous avons une magnifique vue d'Israël et nous pouvons arriver très rapidement à Damas, la capitale syrienne», explique Cyrus Schayegh. En une phrase, le professeur résume l'enjeu stratégique de ce territoire de 1154 km2 coincé entre les deux puissances et annexé par Israël.

Que cherche le pouvoir israélien en avançant ses troupes dans la zone démilitarisée? Occupation territoriale ou «stress test» face aux nouveaux chefs de Damas? Comment analyser cette avancée israélienne? Eclairage de Souhail Belhadj-Klaz, professeur invité au Geneva Graduate Institute, spécialiste de la Syrie et Cyrus Schayegh professeur d'histoire internationale, expert d'Israël.

Territoire occupé à 60km de Damas

Pour comprendre l'importance du Golan, il suffit d'ouvrir une carte. Le plateau du Golan, culminant à 2000 mètres d'altitude de 12 à 25 kilomètres de large et de 67 kilomètres de long, est bordé par la Syrie à l'Est, Israël à l'Ouest, le Liban au Nord et la Jordanie au Sud.👇🏽

Carte Plateau du Golan annexé par Israël en 1981
Image: watson

Cette position hautement stratégique en fait un enjeu militaire majeur entre la Syrie et Israël. Mais revenons un peu à l'histoire de ce territoire. Tout d'abord, le Golan est un territoire syrien qui a été conquis par Israël durant la guerre des Six Jours en 1967. Les Nations Unies ont condamné l'occupation israélienne de 1967 et considèrent le plateau du Golan comme étant un territoire occupé.

La Syrie a tenté de récupérer le plateau en attaquant Israël lors de la guerre du Kippour en 1973, sans y parvenir. En 1974, un accord a permis de créer une zone tampon démilitarisée régie par l'ONU entre le plateau du Golan occupé et la Syrie. Le territoire a été annexé officiellement par l'Israël en 1981, malgré les condamnations des Nations Unies qui jugent cette action illégale du point de vue du droit international. En 2019, Donald Trump a reconnu le territoire occupé comme partie intégrante d’Israël, le président américain aura même une colonie à son nom appelée Ramat Trump.

«Depuis 1967, le plateau du Golan est considéré par les Nations Unies comme un territoire occupé, l'annexion d'Israël n'était pas légitime»
Souhail Belhadj-Klaz, chercheur et spécialiste de la Syrie

Cette région qui a sans aucun doute une haute valeur stratégique pour Israël, car sa plus proche localité est à une soixantaine de kilomètres seulement de la capitale syrienne Damas.

«Se poster à 60 km de la capitale d'un pays considéré comme hostile, voire ennemi par Israël est éminemment stratégique, on peut y installer des stations d'écoute et des centres d'observation.»
Cyrus Schayegh, historien

Exploiter le chaos syrien

Israël a déjà annexé le Golan syrien depuis 1967, alors, comment comment expliquer l'incursion de Tsahal dans la zone démilitarisée surveillée par l'ONU, aux risques de déstabiliser la région? Pour Cyrus Schayegh, l'un des objectifs culmine à 2814 mètres.

En effet à cette altitude, on découvre le mont Hermon, situé entre le Liban et la Syrie, dont le côté méridional fait partie du Golan annexé. Dans cette zone contrôlée par Israël se situe la seule station de ski du pays promue par de nombreux opérateurs touristiques. Mais le développement de ces activités de plaisance ne doit pas faire oublier la position stratégique du Hermon dans la région, dont le sommet est partagé entre la Syrie et le Liban.

«A ma connaissance Israël a déjà des stations d'écoute sur le mont Hermon, mais elle veut occuper militairement son sommet en captant les données radar et surveiller la Syrie et le Liban»
Cyrus Schayegh, historien

Cyrus Schayegh, ajoute que si la Syrie est affaiblie militairement par les bombardements de Tsahal, Israël pourrait «survoler le pays sans problème» et se rapprocher de l'Irak, voisin de l'Iran. Ainsi, à la faveur du chaos syrien, les troupes israéliennes ont pris le contrôle le 9 décembre d'une zone supplémentaire d’environ 400 km2 en territoire syrien, dans laquelle se trouvent les Casques bleus. L'armée israélienne a également pris position sur le sommet du Hermon, côté syrien où le Premier ministre Benjamin Netanyahou a organisé une réunion militaire pour marquer l'avancée de ses troupes et justifier son action pour «la sécurité d'Israël».

Benyamin Netanyahu sur le sommet du mont Hermon côté syrien
Benjamin Netanyahou a tenu une réunion militaire sur le sommet du mont Hermon côté syrienImage: france24

Selon l'historien, les troupes israéliennes «pourraient rester au sommet du Hermon», contrairement à la zone démilitarisée où l'objectif d'une annexion «semble peu probable». Il poursuit en expliquant que l'entrée de Tsahal dans la zone démilitarisée sera utilisée par le gouvernement israélien comme un levier de négociation avec la Syrie.

«Je pense qu'Israël tente d'obtenir quelque chose de la Syrie en contrepartie de son retrait de la zone tampon»
Cyrus Schayegh, historien

Une analyse qui n'échappe pas au chercheur Souhail Belhadj-Klaz, qui précise, toutefois, que la conquête du sommet du mont Hermon et de la zone tampon régie par l'ONU ne doit pas faire oublier «qu'historiquement, à chaque moment de tension et de guerre, Israël s'est servi de sa supériorité militaire pour occuper de nouveaux territoires», il ajoute:

«Israël veut exploiter une situation de transition chaotique en Syrie pour étendre son contrôle militaire au-delà de ses frontières, en faisant toujours planer le spectre de l'occupation, puis de l'annexion»
Souhail Belhadj-Klaz, chercheur et spécialiste de la Syrie

La violation volontaire de la zone démilitarisée, ne servirait-il qu'à l'expansion du pouvoir militaire israélien pour mieux espionner ses voisins ou à une véritable conquête territoriale, nul ne le sait pour l'instant, mais d'autres objectifs majeurs se cachent derrière ce «contre-feu» selon Souhail Belhadj-Klaz.

Faire oublier Gaza et la Cisjordanie

Alors que ses troupes entrent illégalement dans la zone démilitarisée et montrent leurs forces sur la partie syrienne du mont Hermon, le gouvernement israélien a annoncé, le 15 décembre, qu'il doublerait la population du plateau du Golan annexé.

«Renforcer le Golan, c'est renforcer l'Etat d'Israël, et c'est particulièrement important en ce moment. Nous continuerons à nous y accrocher, à le faire fleurir et à nous y installer»
Benyamin Netanyahou

Les localités établies sur le plateau du Golan comptent aujourd'hui environ 31 000 colons israéliens et près de 20 000 Syriens dont la majorité est composée d'Arabes druzes d'origine syrienne qui n'ont pas fui après l'occupation israélienne de 1967. «Le type de population qui est établi dans le Golan n'est pas le plus fervent soutien politique de Netanyahou», explique Cyrus Schayegh, il ajoute que la région ne joue pas un rôle majeur du point de vue historique et idéologique pour Israël.

«Le plateau du Golan ne joue pas un rôle religieusement important dans le discours nationaliste israélien»
Cyrus Schayegh, historien

Ce que confirme Souhail Belhadj-Klaz en expliquant que les Syriens druzes qui y sont établis se sont «accommodés de l'occupation israélienne» et que la région à la frontière entre le Liban et la Syrie reste dangereuse pour y installer de nouvelles habitations.

epa11795003 Israelis enjoy a hot spring at Orvim Eliyon Reservoir in the annexed Golan Heights, near the border with Syria, 27 December 2024. EPA/ATEF SAFADI
Des Israéliens profitent d'une source d'eau chaude au réservoir d'Orvim Eliyon sur le plateau du Golan annexé, près de la frontière avec la Syrie, le 27 décembre 2024.Image: EPA
«Le plateau du Golan est occupé depuis 1967, s'il y avait eu un projet réel de développement, cela aurait été déjà fait, je pense que c'est une diversion»
Souhail Belhadj-Klaz, chercheur

Le mot est lâché et les deux hommes s'accordent à dire que l'annonce du doublement de la population par le premier ministre israélien est de la «rhétorique politique».

«Ce discours vise à passer sous silence ce qui se passe à Gaza et les violences des colons israéliens en Cisjordanie»
Cyrus Schayegh, historien

En effet, alors que les bombardements israéliens à Gaza ont fait plus de 45 000 morts, dont près de 70% des victimes sont des femmes et des enfants, d'autres violences perpétrées par les colons et les soldats israéliens en Cisjordanie ont augmenté drastiquement. Ainsi, l'ONU recense depuis le 7 octobre 2023 et jusqu'au 1ᵉʳ avril 2024, que les forces israéliennes en Cisjordanie ont tué 428 Palestiniens, dont 110 enfants, y compris à Jérusalem-Est.

Les Palestiniens sont chassés de la Cisjordanie👇🏽

Cyrus Schayegh confirme:

«Gaza et la Cisjordanie sont les objectifs territoriaux et religieux majeurs pour les nationalistes israéliens, soutiens de Netanyahou.»
Cyrus Schayegh, historien

Ainsi, malgré les rappels au respect du droit international et la décision de la Cour International de Justice (CIJ) qualifiant d'illégale l'occupation d'Israël des territoires palestiniens depuis 1967, les violences, menaces, agressions et assassinats se poursuivent dans les territoires occupés, comme le rappelle l'ONG Human Rights Watch:

«Sous couvert des hostilités en cours à Gaza des colons israéliens ont agressé et torturé des Palestiniens, commis des violences sexuelles, volé leurs biens et leur bétail, menacé de les tuer s'ils ne partaient pas définitivement, et détruit des domiciles et des écoles».
Human Rights WatchCisjordanie : Israël est responsable de la montée de la violence des colons

Pour les deux hommes, bien que les objectifs militaires de Tsahal sur le plateau Golan sont on ne peut plus clairs, ils ne doivent pas passer sous silence les événements à Gaza et en Cisjordanie. Souhail Belhadj-Klaz, souligne que cela soit à Gaza, en Cisjordanie, au Sud Liban, en bombardant le territoire syrien, ou en franchissant la zone démilitarisée du Golan, «Israël alimente le chaos et l'instabilité chronique de la région par ses violations répétées du droit international». Il conclut: «La sécurité d'Israël est-elle ainsi renforcée comme ses dirigeants le prétendent ? La réponse est évidemment non. Face à cette situation, la communauté internationale prouve à quel point elle est impuissante».

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