166 000 entrées irrégulières ont eu lieu dans l'Union européenne (UE) au cours des neuf derniers mois. C'est presque la moitié de moins que l'année dernière. Malgré cela, le thème de la migration est à nouveau en tête de l'agenda politique. Plusieurs actes de violence commis par des personnes issues de la migration, comme l'attaque au couteau à Annecy en juin 2023 qui a fait cinq blessés graves, poussent les dirigeants à agir.
Mais ils ne parviennent pas à résoudre le plus gros problème, à savoir le rapatriement des demandeurs d'asile déboutés. L'attention se porte donc désormais sur un moyen qui était jusqu'à présent un tabou politique: jeudi, lors du sommet de Bruxelles, les 27 chefs d'Etat et de gouvernement européens débattront pour la première fois de ce que l'on appelle les «nouvelles voies», grâce auxquelles l'immigration irrégulière doit être contrôlée.
La formule bureaucratique ne signifie rien de moins que la création de camps d'asile européens dans des pays tiers. Il est clair qu'il existe désormais un consensus pour envisager la construction de ce genre de centres. Notamment depuis que la tendance s'est inversée en Allemagne.
La cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni, considérée jusqu'il y a peu comme une extrémiste de droite, fait quasiment office de modèle et de source d'inspiration. Elle a conclu un accord migratoire avec l'Albanie, mis en œuvre depuis cette semaine. Mercredi, un navire de la marine italienne a débarqué pour la première fois seize migrants d'Egypte et du Bangladesh dans la ville portuaire albanaise de Shëngjin, avant qu'ils ne soient transférés vers le centre de Gjadër situé à l'intérieur du pays. Là, leurs demandes d'asile seront examinées par des fonctionnaires italiens. Le droit d'asile européen appliqué sur un sol extra-européen.
L'UE dans son ensemble, souhaite collaborer avec des centres similaires, pas seulement pour examiner les requêtes d'asile, mais aussi pour accueillir les demandeurs d'asile déboutés. L'idée est de dissuader les migrants d'entreprendre un voyage dangereux vers l'UE s'ils se rendent compte qu'ils seront immédiatement renvoyés en dehors de l'Europe. Les experts en migration se demandent toutefois si la mesure aurait un tel effet dissuasif.
Personne ne peut vraiment dire quel serait l'impact. En effet, les camps d'asile extraterritoriaux n'ont jamais été testés jusqu'à présent. Après des années d'efforts, le Danemark et le Royaume-Uni ont abandonné leurs projets avec le Rwanda. Ils sont notamment arrivés à la conclusion que le respect des normes en matière d'asile ne pourrait pas être garanti.
De son côté, le Premier ministre albanais Edi Rama a clairement indiqué que son accord avec Giorgia Meloni était une opération unique. Il se fait en outre très bien payer: l'Italie doit verser 650 millions d'euros à l'Albanie au cours des cinq premières années. Mais selon les estimations, ce montant pourrait rapidement dépasser le milliard. Tout cela pour la réalisation d'un maximum de 36 000 procédures d'asile par an pour des personnes dont la responsabilité continuera d'incomber à l'Italie.
Outre les obstacles juridiques, les projets de centres d'asile extra-européens se heurtent au fait qu'il n'y a actuellement pas de pays où ils pourraient être construits. On entend régulièrement parler de l'Egypte ou de la Tunisie; mais ceux-ci ne se montrent pas intéressés et la situation politique y est fragile. Les pays des Balkans occidentaux seraient peut-être les plus à même d'entrer en ligne de compte, puisqu'ils sont engagés dans un processus d'adhésion à l'UE et qu'ils se trouvent juridiquement dans l'orbite européenne. Mais là aussi, il y a peu d'enthousiasme à accueillir des centaines de milliers de migrants pour l'UE.
La Pologne, dirigée par le Premier ministre libéral-conservateur Donald Tusk, emprunte une autre voie, plus radicale. Il a annoncé qu'il suspendrait sans plus attendre le droit d'asile européen. Cela s'explique d'une part par le fait que des élections présidentielles auront lieu en Pologne au printemps prochain et que Tusk veut arracher le poste au parti anti-migrants PiS de son principal adversaire, Jaroslaw Kaczynski.
D'un autre côté, le pays a un vrai problème avec les migrants qui sont acheminés de manière ciblée vers la frontière polonaise via la Russie et la Biélorussie. Selon la Pologne, il s'agit d'une «attaque hybride», et le droit européen prévoit effectivement des mesures d'urgence pour une telle instrumentalisation de la migration. La Pologne renvoie également à la Finlande qui, en raison des mêmes tentatives de déstabilisation par la Russie, avait déjà fermé sa frontière russe aux migrants depuis juillet.
Traduit et adapté de l'allemand