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Comment Karin Keller-Sutter a raté son coup avec Trump

L'appel téléphonique entre Trump et Karin Keller-Sutter ne s'est pas passé comme prévu.
L'appel téléphonique entre Trump et Karin Keller-Sutter ne s'est pas passé comme prévu.keystone / montage

«Son plus grand échec»: comment Karin Keller-Sutter a raté son coup

La guerre commerciale de Trump est lancée et une de ses plus grandes cibles est la Suisse. Comment on est-on arrivé là? Retour sur des semaines de négociations ratées ainsi que sur le bras de fer entre Karin Keller-Sutter et le président américain.
05.08.2025, 17:0205.08.2025, 17:19
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Le jet du Conseil fédéral vole à toute allure par-dessus l'Atlantique, ce mardi, en direction de Washington. A l'intérieur, la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter et le ministre de l'Economie Guy Parmelin préparent leurs dossiers.

Le but: négocier avec Donald Trump des droits de douane à la baisse — et sauver l'économie suisse, rien de moins. Comment en est-on arrivé là?

Une «entente cordiale»?

Le 2 avril, le président américain lançait la guerre des droits de douane. Dans la foulée, alors que le monde panique et les marchés dévissent, la présidente d'un petit pays européen, alpin et isolé, saisit le téléphone et réussit un tour de force. Karin Keller-Sutter arrache au président Trump un taux intermédiaire de 10% pour la Suisse, mais aussi tous les partenaires des Etats-Unis. Une intervention saluée à travers le monde.

Pour René Knüsel, professeur honoraire de la Faculté des Sciences politiques de l'Université de Lausanne, à ce moment-là, «on est parti sur l'idée, reprise par le gouvernement, d'une compréhension par Trump de la position de la Suisse et d'une entente cordiale». Le succès initial de «KKS» aura coûté cher à la Suisse: il aura donné une fausse impression de sécurité dans notre relation avec Trump.

«Il y a toujours cette idée qu’on fera une exception pour la Suisse et qu’on sera capable de négocier»
René Knüsel, politologue
René Knüsel, professeur honoraire de la Faculté des Sciences sociales et politiques de l'Université de Lausanne.
René Knüsel.Image: unil

Des débuts prometteurs — et pourtant

Le mois suivant, Berne profite d'une rencontre entre Américains et Chinois à Genève pour s'insérer dans la brèche. Karin Keller-Sutter, encore elle, et Guy Parmelin y rencontrent Scott Bessent, secrétaire au Trésor, et Jamieson Greer, représentant américain pour le commerce extérieur.

US Trade Representative Jamieson Greer, US Secretary of the Treasury Scott Bessent, Switzerland's President Karin Keller-Sutter, Switzerland's Economy Minister Federal Councillor Guy Parmeli ...
Jamieson Greer, Scott Bessent, Karin Keller-Sutter et Guy Parmelin.Keystone

Nos deux émissaires auraient promis entre 150 et 200 milliards d'investissements suisses aux Etats-Unis et demandé à rester sur une taxe de 10%. Scott Bessent se dit «optimiste sur la rapidité des négociations».

«En l'absence de décision formelle, on se disait que tout se déroulait bien»
René Knüsel

Mais après ces premiers signes encourageants, rien n'est signé et le dossier reste sur le bureau de Donald Trump, qui en aurait refusé deux versions, selon les informations du Tages-Anzeiger.

En parallèle, Trump conclut un premier deal avec le Royaume-Uni. Karin Keller-Sutter espère que la Suisse sera le deuxième pays à signer avec Trump. D'autres nous prennent de court: le Vietnam, le Japon, la Corée du Sud ou la Chine. L'assurance des autorités suisses se transforme lentement en malaise.

Trump nous snobe

Le 27 juillet, l'Union européenne annonce avoir négocié un taux de 15% avec le truculent président américain. C'est Ursula von der Leyen qui est venue serrer la main du padrino, dans un de ses fiefs européens, le complexe de golf de Turnberry, en Ecosse.

A propos de Trump au golf 👇🏻

Le délai pour l'application des tarifs est fixé au vendredi 1er août. Mardi, rien ne se passe. Mercredi, non plus. The clock is ticking. Le jeudi, Karin Keller-Sutter, empoigne le téléphone pour mettre les points sur les i avec ce président qui nous snobe.

L'appel qui a tout changé

Nous sommes jeudi 31 juillet. Il reste quelques heures pour conclure un deal et la présidente de la Confédération est au taquet. Le président américain, connu pour ne pas commencer sa journée de travail avant 11h, l'appelle à 14h, indique Bloomberg. Il est 20 heures en Suisse.

«Il est intéressant de voir que ce n'est ni le ministre de l'Economie, Guy Parmelin, ni celui des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, qui a pris le téléphone pour discuter face à Trump. Certainement fallait-il une présidente face au président, mais aussi quelqu'un qui maîtrise parfaitement l'anglais»
René Knüsel, politologue

La conversation commence de manière cordiale. Karin Keller-Sutter fait remarquer à Donald Trump que le 1er août est la fête nationale. Ce dernier demande à quand remonte la création de la Suisse? 1291, une date mythique. Trump est impressionné, mais pas assez pour être attendri.

«La relation spéciale entre les Etats-Unis était certainement dans l'esprit de Karin Keller-Sutter quand elle a décroché le combiné, mais était-ce la même chose dans celui de Trump?», se demande René Knüsel.

«Je ne le pense pas»
René Knüsel, politologue

La négociation débute et dérive rapidement sur la balance commerciale entre les deux pays. Pour Donald Trump, qui ne prend pas en compte la consommation suisse de services américains (notamment de la tech), elle est complètement disproportionnée. Selon CNBC, il lance à Karin Keller-Sutter:

«Nous avons un déficit de 41 milliards avec vous, madame»
Donald Trump

Trump exige une «meilleure offre» de la part de la Suisse. La logique? Si la Suisse est un pays riche, elle ne pourrait pas s'en tirer sans faire de concessions majeures.

«Selon toute vraisemblance, Donald Trump n'a été convaincu ni par la manière, ni par le ton»
René Knüsel, politologue

Le mot de trop

Les discussions polies avec Greer et Jamieson sont désormais de l'histoire ancienne. Tout se joue lors de ce coup de téléphone. Karin Keller-Sutter reste ferme. Pour celui qui se croit maître du monde, ne pas arriver à faire plier la petite Suisse est un affront.

«Karin Keller-Sutter est aimable, mais aussi parfois péremptoire. Durant l'appel, Trump n'a pas été caressé dans le sens du poil»
René Knüsel, politologue

Sur la chaîne CNBC, Donald Trump confirme avoir utilisé le déficit commercial comme argument de négociation principal. Il aurait rétorque à Karin Keller-Sutter que les Etats-Unis se font tellement arnaquer sur la balance commerciale qu'à ce niveau-là, c'est quasiment du «vol». La Saint-galloise aurait alors déclaré:

«C'est absurde»
Karin Keller-Sutter, à Donald Trump

Devant la contradiction et l'utilisation d'un mot qu'il n'a pas l'habitude d'entendre, Donald Trump serait alors entré dans une colère noire.

«Cette femme était sympa, mais elle n'a pas voulu écouter»
Donald Trumpcnbc

Verdict? Trump a trouvé Karin Keller-Sutter «moralisatrice» et selon une source bien informée de Bloomberg, les 39% auraient été choisis plus au moins au hasard, comme mesure de rétorsion pure.

It's not over, until it's over

Le 1er août, le couperet tombe. Karin Keller-Sutter garde la face devant les caméras, mais la pilule est amère et les sourires sont crispés. La SonntagsZeitung n'hésite pas à évoquer le «plus grand fiasco de Karin Keller-Sutter».

Bundesraetin Karin Keller-Sutter bei ihrer Ankunft auf der Ruetliwiese, anlaesslich der Bundesfeier auf dem Ruetli, welche im Zeichen von Einklang und Vielfalt steht, am Freitag, 1. August 2025. (KEYS ...
Karin Keller-Sutter, le 1er août 2025.Keystone

Guy Parmelin, qui évoque sans détour une «punition», semble être resté psychologiquement bloqué sur la déclaration d'intention discutée entre les négociateurs suisses et américains.

«Jusqu'à l'appel de la présidente, il n'y avait aucun signe que cela pourrait se terminer de cette façon»
Guy Parmelin

Du côté américain, la façade est tombée. Jamieson Greer explique que parler d'un deal sur le point d'être signé est une «exagération».

«Rien n'est signé jusqu'à ce que tout soit signé. Tous les négociateurs le savent»
Jamieson Greerbloomberg

Karin Keller-Sutter et la Confédération l'avaient visiblement oublié.

Ces moments lunaires de l'investiture de Trump
Video: watson
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