Daniela Santanché ne s'attendait sans doute pas à une telle réaction, au moment de lancer la nouvelle campagne de promotion de l'Italie à l'étranger. Pourtant, l'opération voulue par la ministre du Tourisme s'est très vite transformée en un scandale national, à tel point que l'affaire se retrouve désormais au Parlement. Retour sur une histoire où tout, ou presque, a foiré.
Le 20 avril dernier, le ministère italien du Tourisme présentait sa nouvelle initiative pour promouvoir l'image de l'Italie dans le monde, baptisée «Open to meraviglia», un mélange d'anglais et d'italien traduisible par «ouvert à l'émerveillement». Ce slogan s'accompagne d'un nouveau logo (le drapeau national s'ouvrant comme une fenêtre) et, surtout, d'une «ambassadrice d'exception», dixit le ministère: la Vénus de Botticelli dans le rôle d'«influenceuse virtuelle».
Concrètement, le visage de la protagoniste du célèbre tableau du XV siècle se retrouve photoshopé sur le corps d'une jeune femme, pris en image devant les plus beaux paysages de la péninsule. Les clichés sont ensuite postés sur une page Instagram dédiée (venereitalia23). Coût de l'opération, censée «accompagner la nouvelle communication publicitaire globale de l'Agence nationale du tourisme»: 9 millions d'euros.
Les réactions négatives n'ont pas tardé. Le fait de faire passer pour une influenceuse la protagoniste de l'un des plus célèbres chefs-d'œuvre de l'art italien a suscité plus d'une perplexité. Vittorio Sgarbi, Secrétaire d'Etat à la Culture et critique d'art très connu dans le pays, a par exemple affirmé qu'il s'agit d'«un truc à la Chiara Ferragni», du nom de la célèbre instagrameuse italienne.
«Puisque Vénus est nue, il aurait mieux valu la voir comme ça, sans avoir besoin de la déguiser», a-t-il ajouté. Le slogan choisi pour la campagne, mélangeant italien et anglais, n'a pas non plus échappé aux critiques de Sgarbi: «Open to Meraviglia? Mais qu'est-ce que c'est? De quelle langue s'agit-il?», a-t-il encore lancé.
Cela n'est encore rien. Car si la forme est discutable, mais finalement subjective («un truc de boomer», résume un spécialiste du marketing à Vanity Fair), la campagne s'est distinguée par une série impressionnante de gaffes, problèmes et mauvais choix.
Le problème le plus embarrassant concerne sans doute une séquence du clip de lancement de la campagne, où l'on voit un groupe de jeunes en train de déguster du vin dans une cave... qui se trouve en réalité en Slovénie. Cet extrait est tiré d'une banque d'images, téléchargeable gratuitement ou à très bas prix sur diverses plateformes en ligne.
Peut-être pour cette raison, la vidéo a entre-temps disparu de Youtube, rapporte le portail Open. Sur la page du site du gouvernement consacrée au lancement de la campagne, un écran noir et le texte «Cette vidéo est privée» s'affichent à la place du clip.
De plus, les descriptions des endroits à visiter présentent de nombreuses erreurs factuelles: le lac de Misurina est présenté comme «lac de Misurata», nom qui, en italien, désigne la ville libyenne de Misrata. La ville de Castelfranco Veneto, située dans le département de Trévise, se trouve selon le site dans le département de Vicence. Ou encore, le palais de la Raison de Vicence est appelé palais de la Région...
La campagne a également connu des problèmes techniques pour le moins gênants. Le site associé à la campagne, où l'on trouve les informations et les conseils destinés au public, ne s'appelle pas «opentommeraviglia.it», ce qui aurait pourtant été logique. La raison est très simple: le domaine a été acheté par une agence de marketing, qui redirige les utilisateurs sur son propre site et en profite pour faire sa promotion. L'Agence nationale du tourisme a donc dû exhumer son site «italia.it».
Ce dernier souffre d'un problème pour le moins hilarant: lors de la traduction automatique, les noms de certaines villes sont confondus avec des noms communs. Ainsi Fermo (littéralement «arrestation») devient «Arrêté», Brindisi «Toast»:
Les internautes n'ont pas mis beaucoup de temps avant de s'emparer du sujet et de détourner la campagne, rapidement devenue un mème sur les réseaux sociaux.
Mais au-delà de cette fin prévisible, la campagne a également fait l'objet d'une interrogation parlementaire, rapporte Wired. Dans le texte, le sénateur Pierantonio Zanettini demande au gouvernement quelles initiatives seront prises afin de «remédier à ce très grave préjudice d'image» et si les erreurs signalées ont au moins été corrigées entre-temps.
Quelques jours après le lancement de la campagne, l'agence de publicité qui l'a conçue a remercié les Italiens pour les «mèmes et les discussions passionnées». «Briser le mur de l'indifférence» et ouvrir un «débat culturel» autour de l'idée de la Vénus-influenceuse était exactement l'effet escompté, ont assuré les auteurs de l'opération.
Plutôt qu'un «débat passionné», la campagne a plutôt suscité «un chœur d'indignation, de dérision et de dénigrement», ironise Il Riformista. Qui conclut: «Open to Meraviglia a tout de même réussi l'impossible: unir le pays».