On est jeudi, il n'est pas encore 11 heures du matin. Pourtant, la petite ville est assez animée. Les bars et les cafés sont bien remplis, les gens entrent et sortent des commerces. Plusieurs personnes à vélo filent sur les ruelles pavées du centre. Codogno, quarante minutes de train depuis Milan, est une bourgade comme on en trouve beaucoup d'autres dans le nord de l'Italie.
C'est pourtant ici que le premier cas de Covid-19 d'Europe a été détecté, il y a cinq ans. La petite ville lombarde a également vécu le premier confinement du continent, avant que la plupart des pays ne décident de suivre son exemple.
De cette période, il ne reste plus grand-chose, du moins extérieurement. Une petite plaque commémorative posée à l'entrée du cimetière par le président de la République, Sergio Matarella. Et, à une bonne quinzaine de minutes à pied du centre, un monument aux victimes de la pandémie, situé devant le siège local de la Croix Rouge. Trois piliers de fer rouillé, érigés sur un socle où l'on a gravé les mots suivants: «résilience», «communauté», «nouveau départ».
Une peinture murale, représentant une infirmière en Wonder Woman, masque tricolore sur le visage, a disparu du mur où elle est soudainement apparue, en juillet 2020. Pourtant, chez les habitants de Codogno, le souvenir de cette période ne s'est pas effacé, au contraire. «Des cicatrices subsistent certainement encore aujourd'hui», pose d'emblée le maire de la ville, Francesco Passerini.
«On a encore la chair de poule en y pensant», poursuit le maire, qui a été réélu en octobre 2021 avec plus de 72% des voix. «Il faudra du temps, beaucoup de temps, pour métaboliser cette expérience». La pandémie a, en effet, sévèrement frappé cette ville. Plus de 600 personnes y sont mortes en 2020, contre une moyenne annuelle d'environ 350.
Les habitants que nous avons interrogés évoquent une période difficile, surréaliste, marquée par la peur et l'isolement. «J'y pense encore, mais le sentiment est moins violent. Le temps est médecin, comme on dit», déclare une dame, attablée à un bar très fréquenté du centre. Avant de nous demander, sans animosité, pourquoi on parle encore de ce sujet.
«Il m'arrive d'y penser, de temps en temps. C'était une période compliquée, particulière», confie Matteo, qui travaille dans un magasin de fleurs. «Ce qui m'a le plus marqué, c'est la première fois que j'ai fait mes courses: j'ai dû attendre trois heures à l'extérieur du supermarché...»
Anna avait une quinzaine d'années lorsque la pandémie s'est abattue sur Codogno. «Je ne pense pas que l'on puisse revenir à la vie d'avant», déclare-t-elle. Avant d'ajouter: «Aujourd'hui, on voit des gens qui portent des masques et cela n'a plus rien d'étrange.»
En effet, on aperçoit dans la rue quelques personnes portant ce bout de tissu sur le visage. Davantage qu'en Suisse. Un probable héritage de la pandémie. «Les premières années, l'inquiétude était encore grande, les gens étaient très prudents», analyse Giuseppe Maestri, titulaire d'une pharmacie qui donne sur la place centrale de Codogno.
Selon le pharmacien, l'état d'esprit général a changé, les comportements sont plus corrects. Mais l'expérience a été douloureuse, et certaines séquelles persistent encore aujourd'hui. Francesco Passerini évoque les mois passés à la maison, qui ont marqué particulièrement les couches plus jeunes de la population. En Italie, le confinement a été strict; la plupart des gens n'ont pas vu leurs proches pendant de longs mois.
«D'un certain point de vue, nous aimerions oublier», conclut le maire de Codogno. «D'autre part, cette expérience nous a donné un sentiment de fierté et d'attachement à notre terre. La communauté s'est serré les coudes, on s'est aidé mutuellement. Et cela me rend très fier».