Personne ne s'y attendait. Dans la nuit du 20 au 21 février 2020, le premier cas de Covid-19 d'Europe a été identifié à Codogno, petite ville italienne sans histoires sur laquelle le monde entier allait bientôt braquer son regard. Le lendemain matin, le maire Francesco Passerini signait quatre ordonnances décrétant la fermeture de toutes les activités. C'était le premier confinement du continent.
Cette décision, Francesco Passerini l'a prise seul, en quelques heures. En effet, aucune procédure n'existait pour répondre à de telles menaces, du moins en Europe. Le maire s'est retrouvé dans la situation de devoir combattre un virus inconnu, et qui n'avait pas encore été détecté sous nos latitudes. Interview.
Vous avez découvert que le premier cas de Covid-19 d'Europe avait été détecté dans votre ville dans la nuit du 20 au 21 février. Qu'avez-vous fait?
Francesco Passerini: Nous avons essayé de repérer le maximum d'informations possible, de faire preuve de logique et d'identifier les problématiques principales. Il s'agissait d'une urgence qui n'avait encore été codifiée et qui n'avait jamais été vue, du moins pas au cours du dernier siècle. Tout était nouveau. Nous avons dû créer de nouvelles procédures pour tenter d'y répondre.
D'où est née l'idée de tout fermer?
On m'a informé de la situation vers minuit. Quelques heures plus tard, des milliers de personnes allaient se mettre en mouvement pour se rendre à l'école ou au travail. Codogno abrite une importante zone industrielle, qui attire chaque jour près de 3500 pendulaires. C'était ma préoccupation principale: ce flux humain devait être stoppé au plus vite. A 6h30, j'ai convoqué le conseil municipal, j'ai annoncé mon intention et j'ai promulgué l'ordonnance. Le tout a dû durer 20 secondes.
Comment avez-vous vécu cette décision?
Ce stylo pesait une tonne et demie. Aucun maire n'aurait jamais voulu signer un tel document. Ce n'était pas comme si un pouvoir central et éloigné avait décidé de confiner une commune lambda. Codogno, c'est chez moi. Signer signifiait limiter mes affections, ma vie.
Avez-vous hésité?
Nous étions convaincus que c'était la bonne décision. Lorsque nous avons été convoqués par les autorités régionales, le ministre de la Santé m'a demandé trois fois si j'en étais sûr. Je lui ai répondu que, si je m'étais trompé, il pouvait toujours révoquer l'ordonnance. Je n'en aurais été que plus heureux. Mais les choses se sont passées différemment.
Comment la population a-t-elle réagi à la fermeture?
Je pense que la population a été plus compréhensive que plusieurs représentants politiques. Au début, on a dit toutes sortes de choses: que je voulais faire campagne, que je profitais d'une tragédie. On a entendu des choses aberrantes, la plupart du temps de la part de gens qui n'étaient pas sur place et qui ne savaient pas ce qui se passait.
Un peu plus tard, lorsque le virus s'est propagé, les choses ont changé. Des centaines d'administrateurs m'ont appelé de toutes les régions d'Italie pour me demander comment nous avions fait.
A côté de la fermeture, avez-vous pris d'autres mesures immédiates?
Oui, nous avons mis sur pied beaucoup d'activités. Nous avons improvisé des lignes de soutien psychologique, parce qu'il y avait des gens qui avaient ce genre de compétences. Nous avons produit nous-mêmes le désinfectant, grâce à la disponibilité de volontaires et d'une entreprise qui nous a prêté ses machines.
Nous avons également créé une radio qui, d'une messe à l'autre, diffusait des informations à la population. On a vécu des histoires inimaginables.
Avez-vous quelques exemples?
Des gens appelaient la radio parce qu'ils n'avaient pas de thermomètre pour mesurer la fièvre de leurs enfants. On s'organisait alors pour le leur apporter. Il y avait le problème des courses pour les personnes âgées qui, du jour au lendemain, ne pouvaient plus entrer dans la zone rouge. Nous avons dû répondre à des besoins de base qui, normalement, ne nécessitent aucune assistance. Mais qui deviennent un problème dans ce genre de situation.
Vous avez mentionné les volontaires à plusieurs reprises. Qu'en est-il de leur contribution?
Les volontaires ont joué un rôle essentiel. De nombreuses personnes se sont présentées spontanément pour donner un coup de main, mettant parfois leur propre intégrité physique en danger. C'est quelque chose que je n'oublierai jamais, qui m'a rendu et qui me rend très fier de ma communauté.