La Sicilienne Pamela Villoresi n'avait que 15 ans. Son rêve: faire du cinéma. «Les producteurs m'ont écoutée deux minutes lors de l'audition, puis ils m'ont dit de me déshabiller», raconte la directrice du Teatro Biondo de Palerme, aujourd'hui âgée de 66 ans.
Elle s'est tout de suite enfuie, mais cela lui est arrivé à de multiples reprises au cours de sa carrière. Elle s'est rendue plusieurs fois à la police pour dénoncer les auteurs. «Ils ne m'ont pas crue. Ils m'ont dit que je devais faire des enregistrements audio de ces agressions. Mais j'étais encore jeune, j'avais peur de me retrouver seule avec ces hommes.»
Pamela Villoresi est l'une des dizaines d'actrices qui, cinq ans après l'éclatement du scandale des agressions sexuelles commises par le producteur hollywoodien Harvey Weinstein aux Etats-Unis, témoignent de la contrainte, de l'intimidation et du sexisme répandu dans le milieu du cinéma et du théâtre italien.
Une autre victime s'est exprimée publiquement. Il s'agit de l'actrice et réalisatrice Susanna Nicchiarelli:
Lorsqu'une femme est harcelée, on l'accuse encore de l'avoir cherché, déplore-t-elle.
Lorsque des actrices ont lancé le débat MeToo aux Etats-Unis vers la fin de l'année 2017, Asia Argento était presque la seule à se joindre au mouvement en Italie. Elle aussi avait été victime de Weinstein en 1997. Dans son pays, l'actrice, aujourd'hui âgée de 47 ans, a surtout connu le rejet et la haine.
«Suite à mon témoignage, j'ai été prisonnière dans un tsunami médiatique», explique Asia Argento, qui a subi ce qu'on appelle le «victim blaming» de la part des médias traditionnels et des médias sociaux.
Elle a pourtant eu besoin de 16 ans de psychothérapie pour digérer son expérience de la violence.
Ces dernières années, le vent a tourné en Italie. Deux organisations d'actrices, «Amleta» et «Differenza Donna», ont recueilli plus de 200 signalements de collègues qui ont également été victimes de violences sexuelles, de harcèlement, d'agressions, de menaces et de compliments et invitations malvenus.
«Les agressions sont généralisées, c'est totalement intolérable», a souligné la présidente d'«Amleta», l'actrice Cinzia Spanó, devant la presse à Rome en début de semaine. Et même l'influenceuse la plus célèbre d'Italie avec 27 millions de followers, Chiara Ferragni, veut en venir à bout du sexisme dans la société italienne. En tant que co-présentatrice du festival de la chanson de San Remo, cette dernière entend surtout sensibiliser les jeunes femmes à la problématique et les encourager à dénoncer les agressions.
En Italie, les chaînes de télévision privées de Silvio Berlusconi sont un problème en soi. L'ex-Premier ministre, qui a fait la une des journaux à cause de ses frasques sexuelles, avait déjà donné le ton dans les années 90: «Sur le plateau d'un long métrage produit par Mediaset, j'ai découvert plusieurs caravanes dans lesquelles des ministres et des députés rencontraient des actrices», raconte la réalisatrice et scénariste Roberta Lena.
Jusqu'à ce jour, le sujet importe peu les électeurs de Forza Italia. Si ces agissements, pourtant bien connus, leur avaient posé problème, Silvio Berlusconi aurait depuis longtemps disparu de la scène politique. Et il ne serait pas le partenaire de coalition indispensable de la cheffe du gouvernement Giorgia Meloni.
A la RAI, la chaîne publique, la plus grande entreprise culturelle d'Italie, la réalité n'est pas plus rose. «Pendant des années, les employés ont été contraints de confier les rôles aux coqueluches des hommes politiques plutôt qu'à celles choisies par les réalisateurs», explique Pamela Villoresi.
Les accusations portent sur des faits qui remontent à plusieurs années, mais le sexisme de la chaîne nationale se reflète encore aujourd'hui au niveau de la hiérarchie de l'entreprise. Les hommes occupent trois des quatre sièges de direction. Le «gender gap» se manifeste également dans les productions propres de la RAI. Seuls 37% des rôles étaient encore tenus par des femmes en 2021. Elles incarnaient le plus souvent des femmes au foyer ou des soignantes.