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Eric Dupond-Moretti face à ses juges: le chant du cygne?

French Justice Minister Eric Dupond-Moretti, attends a news conference following the weekly cabinet meeting at the Elysee Palace in Paris, France, Wednesday, April 28, 2021. Seven Italians convicted o ...
Image: AP REUTERS POOL

Eric Dupond-Moretti face à ses juges: le chant du cygne pour le colosse?

Le ministre français de la Justice comparaît à partir de ce lundi devant une cour spéciale pour des soupçons de conflit d'intérêts, en lien avec la période où il était encore l'avocat le plus célèbre de France.
06.11.2023, 12:2006.11.2023, 18:30
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Sa mise en examen, il y a deux ans, n’a pas eu raison de sa carrière ministérielle. Ce lundi s’ouvre à Paris et pour dix jours le procès du ministre français de la Justice, Eric Dupond-Moretti, débauché aux prétoires en 2020 par Emmanuel Macron. La situation est inédite: c’est la première fois qu’un ministre en exercice, qui plus est garde des sceaux, comparaît devant un tribunal. En l’occurrence, la Cour de justice de la République, une juridiction spéciale, composée de parlementaires et de magistrats professionnels, chargée de juger des membres du gouvernement en fonction.

Agé de 62 ans, l’ex-avocat star est accusé de prise illégale d’intérêts. Il encourt 5 ans de prison et 500 000 euros d’amende. Comme le rappelle le site 20minutes.fr, il est soupçonné de s’être servi de ses fonctions pour régler ses comptes avec des magistrats avec lesquels il avait eu des différends lorsqu’il était encore avocat.

L’affaire comporte deux volets. Dans le premier, Eric Dupond-Moretti, tout juste nommé ministre de la Justice, aurait possiblement joué de son influence pour intervenir dans un dossier datant de la période où il portait encore la robe noire. Il défendait alors le directeur de la police judiciaire monégasque, proche d’un homme d’affaires russe, le président de l’AS Monaco, visé par une enquête menée par un juge d’instruction détaché sur le Rocher par la justice française.

Furibard

Le second volet est rattaché à l’affaire, autrement plus médiatique, du financement libyen présumé de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012 – l’ancien chef de l’Etat sera jugé pour ces faits en 2025. Lors de l’enquête, les juges d’instruction mettent sur écoute Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog. Ils cherchent à savoir si une taupe aurait pu les en informer. Pour ce faire, les magistrats exploitent les relevés téléphoniques (les fadettes) de plusieurs de leurs contacts. Eric Dupond-Moretti est l’un d’eux. Furibard, dénonçant des «méthodes de barbouze», parlant d’une «clique de juges qui s’autorisent tout», ce dernier dépose plainte contre X.

On est en juin 2020. Une semaine plus tard, le ténor des barreaux est nommé garde des sceaux. Est-ce un faux pas? En septembre, la Place Vendôme, siège du ministère de la Justice, avec Eric Dupond-Moretti à sa tête, ordonne une enquête visant les trois magistrats qui ont instruit l’affaire du financement libyen. «Dès le lendemain de la nomination d’Eric Dupond-Moretti, le Syndicat de la magistrature avait mis en garde contre le risque de conflits d’intérêts», relate 20minutes.fr. Entre l’ancien avocat et le Syndicat de la magistrature, classé à gauche, à la réputation d'épurateur, la guerre est déclarée depuis longtemps.

Voilà que ce fils d'ouvrier et d'une femme de ménage est menacé d'une condamnation. Le chant du cygne pour ce colosse du Nord? A 62 ans, l'homme, amateur de cigares, de whisky et de bonne chère, a comme goûté à tous les plaisirs, ceux venus sur le tard. Il est apparu au cinéma, a triomphé sur scène dans son spectacle «A la barre», où il racontait son expérience d’avocat. Côté cœur, il forme un couple apparemment heureux avec la chanteuse québécoise Isabelle Boulay.

Eric Dupond-Moretti n’a jamais acheté des usines pour les revendre, mais sa trajectoire évoque celle de Bernard Tapie, «parti de rien», comme le veulent les légendes, devenues ministre et comédien.

«Acquittator»

Avant de beaucoup penser à sa propre vie, Eric Dupond-Moretti s’est surtout préoccupé de celle des autres. Il entame sa carrière d’avocat dans les années 80. Pénaliste. En mémoire du grand-père maternel, un immigré italien, «probablement assassiné», son oncle n’ayant jamais pu porter plainte. Très vite, il enchaîne les acquittements, le premier en 1987, d’où son surnom, bien plus tard, la gloire en marche, d’«acquittator».

C’est en 2004, au premier procès d’Outreau – un scandale de filière pédophile dans le Pas-de-Calais, dégonflé en appel – que la presse nationale le découvre, admirative. Il n’a pas l’onctuosité des précieux, le vocabulaire compliqué des poseurs. Il est, avec sa voix de stentor, l’humanité en personne. La rugueuse, la solide, l’enracinée. La lettrée, aussi, jamais de façon ostentatoire. Avec lui, tout coule de source.

Si bien que, ce Victor Hugo des prétoires, habile comme un bonimenteur de foire, obtient acquittement sur acquittement. Celui, cette année-là, de «la boulangère d’Outreau», Roselyne Godard, qu’on accusait d’actes ignobles commis avec des baguettes de pain.

Rebelle mais pas anti-système

Sa notoriété faite, Eric Dupond-Moretti quitte le barreau de Lille pour celui de Paris. Ces dix dernières années, il s’est abondamment livré dans des ouvrages co-écrits avec des journalistes, «Bête noire» en 2012, «Ma liberté» en 2019. Il y a chez lui un côté rebelle, mais pas anti-système à la gilet jaune. Ce ministre de la Justice qui apprécie modérément les juges, les trouvant trop peu frottés aux rudesses de l'existence, est attaché au mythe républicain de la méritocratie, dont il pense être l'illustration. On ne l’entend pas pérorer sur les privilèges. Il faut dire qu’il y goûte. Il chasse, boit des alcools fins, roule en voiture chère. L’argent, gagné en défendant des personnes fortunées, il ne l’a pas volé.

Il choque

Cet enfant du peuple devenu un bourgeois ne partage pas des traits seulement avec Tapie. Avec Patrick Balkany aussi, ce client impossible, maire de droite parti en cacahouète, qui s’est enrichi comme on se prémunit du mauvais sort. Il a un un peu en lui de cette clientèle de proscrits, tel Abdelkader Merah, le frère du terroriste islamiste, qu'il défendit et à propos duquel il choquera en affirmant que pour croire en des idées funestes, il n’en a pas moins une mère qui l’aime.

Epaules de billot, visage plissé de baroudeur de bars d’hôtels, Eric Dupond-Moretti a rendez-vous avec la justice, celle qu'il administre, celle pour laquelle et contre laquelle il s'est battu tant d'années.
(Article actualisé et adapté, première parution le 6 juillet 2021)

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