Alors que le biopic sur Oppenheimer (interprété par Cillian Murphy) de Christopher Nolan fait un carton dans les salles obscures, la réalité est tout aussi obscure que dans les cinémas du monde entier.
Retour sur ce 16 juillet 1945, le jour où l'ère atomique démarre. Le projet Manhattan, porté par Robert Oppenheimer et d'autres chercheurs, a franchi une immense étape. Les chercheurs vont, en effet, tester leur toute nouvelle bombe atomique dans un désert du Nouveau-Mexique, à Los Alamos. Baptisé «Trinity», ce premier essai aurait eu des effets néfastes, alors négligés.
Ne connaissant pas le comportement de cette arme de destruction massive, ils n'avaient aucune idée de la puissance de l'explosion de «Trinity». Si la détonation a fait le bonheur des équipes qui travaillaient d'arrache-pied sur cette bombe, l'héritage d'un tel engin a laissé des traces.
Des chercheurs de Princeton du laboratoire Science & Global Security ont étudié le cas de près concernant l'impact sur l'environnement, comme le rapporte le New York Times. Le fameux champignon atomique est allé très haut dans l'atmosphère, plus haut que prévu – quelque 15 à 21km – et s'est répandu. Malgré les calculs savants, personne ne pouvait deviner où cela finirait.
A l'aide d'un logiciel de modélisation et de nouvelles données météorologiques historiques – et donc absentes en 1945 –, de nouveaux détails viennent apporter des éléments de réponse sur les retombées. Les auteurs, dont les résultats n'ont pas été encore vérifiés par leurs pairs ni diffusés dans une revue officielle, affirment que les effets radioactifs du test Trinity ont atteint 46 Etats, le Canada et le Mexique dans les dix jours qui ont suivi après la détonation.
En 1945, les Etats-Unis n'avaient pas de stations de surveillance nationales pour suivre les retombées. La dérive du nuage nucléaire «Trinity» a été, bien entendu, surveillée sur les lieux, mais les scientifiques auraient sous-estimé sa portée. L'auteur principal de l'étude, le Français Sébastien Philippe, chercheur et scientifique à l'Université de Princeton, explique dans L'Express:
Dans les décennies qui ont suivi, un manque de données cruciales a entravé les évaluations et les tentatives d'études sur les retombées du test orchestré en 1945.
Depuis l'explosion de «Trinity» (appuyée par la sortie récente du film), les voix s'élèvent pour rappeler l'impact d'un tel projet. Si l'étude n'est pas encore totalement précise, la mortalité infantile enregistrée en 1945 était 38% plus importante qu’en 1946 et 57% plus forte qu’en 1947, d'après le département de Santé de l’Etat du Nouveau-Mexique.
L'arrivée dans les salles du film Oppenheimer a réveillé de vieilles blessures. Le sénateur du Nouveau-Mexique, Ben Ray Lujan, s'est infiltré dans la brèche et a rappelé que son Etat subit encore les effets collatéraux des tests 78 ans plus tard. Le sénateur avait lancé plusieurs propositions de loi ces dernières années, en vain. Les laissés-pour-compte des essais de Los Alamos n'ont pas été dédommagés, selon Ben Ray Lujan.
La figure du héros et la posture iconique d'Oppenheimer lui avaient opposé des remords. Sa découverte l'a entraîné dans la torpeur et la culpabilité: «Maintenant, je suis devenu la Mort, le destructeur des mondes», avait-il murmuré, lui, l'homme qui entraînait le monde dans l'ère nucléaire.
Comme le suggèrent les auteurs de l'article, le 16 juillet 1945 aurait enclenché les premiers souffles de l'anthropocène, soit une nouvelle époque géologique qui se caractérise par l'avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques.