Jean-François Colosimo est l'auteur de nombreux ouvrages, dont La Crucifixion de l'Ukraine: Mille ans de guerres de religions en Europe (Albin Michel, 2022) et Occident: ennemi mondial n°1 (Albin Michel, 2024).
Quel est le profil politique et religieux du nouveau pape, Léon XIV?
Jean-François Colosimo: Il a été élu parce qu’il incarne une conception modérée. Il suit intégralement la ligne de son prédécesseur François sur les questions de justice sociale, d’engagement écologique, sur la charité, la solidarité, la protection des plus vulnérables.
En revanche, il s’est montré plus réticent sur les mesures sociétales du pontificat de François, dont, par exemple, l’interrogation sur l’ordination des femmes au diaconat ou encore la bénédiction des unions de personnes de même sexe. On voit donc très bien pourquoi il a été élu.
Justement, quelles autres raisons expliquent son élection?
Léon XIV fait la jonction entre les mondes. C’est un Américain du Nord qui a décidé de devenir aussi un Américain du Sud. Il a la double nationalité, américaine et péruvienne. D’autre part, c’est un Romain accompli. Il sait ce qu’est la curie, l’administration centrale de l’Eglise catholique, il en fait partie. Comme il a été nommé préfet du dicastère des évêques, le ministère qui nomme et gère les évêques catholiques, 5000 à travers le monde, il a aussi une sorte de panorama planétaire des problèmes particuliers qui se posent à l’Europe, l’Afrique, l’Asie et bien sûr l’Amérique du Nord et du Sud. Il y avait de ce point de vue-là une demande forte africaine et asiatique.
Pourquoi?
Parce que les catholiques en Asie et en Afrique sont pris entre les évangéliques et les islamistes qui ont en commun d’être très puritains sur les questions de mœurs. Donc, les cardinaux d’Afrique et d’Asie l’ont certainement rejoint sur cette voie médiane entre, pour aller vite, un progressisme social et un conservatisme sociétal. Léon XIV incarne cette médiation dont l’Eglise catholique avait besoin après le pontificat plus clivant, plus polarisant, de François.
Comment définir le pape Léon XIV d’un point de vue théologique?
Il représente bien le catholicisme à la façon des Etats-Unis. En effet, il est lui-même un exemple de latinité, avec des racines franco-italo-hispano-créoles, créoles par sa mère.
Les protestants sont toujours plus nombreux aux Etats-Unis que les catholiques, mais ceux-ci sont la première Eglise en tant que corps constitué.
Comment les catholiques américains procèdent-ils pour faire leur place?
Ils ont un biais pour garder leur différence, à savoir un engagement social radical qui explique qu’ils ont longtemps fourni les bataillons du parti démocrate, et un autre biais pour s’intégrer, l’intransigeance sur les questions de mœurs. Et là, les catholiques américains et Léon XIV avec eux, se rapprochent de la majorité morale protestante, tout en soulignant leur différence par attachement à la tradition liturgique, plus forte qu’en Europe. Ce qui est un signe de distinctivité.
Léon XIV marque-t-il une rupture avec la représentation pontificale?
La manière dont il apparaît en tant que pape fait que c’était François qui était l’exception plutôt que Léon XIV qui fait exception. En cela, c'est un signal envoyé aux conservateurs qui s’inquiètent d’une certaine indifférence liturgique.
A quel pape Léon Léon XIV entend-il faire référence?
Sans à doute à Léon XIII et à Léon le Grand. Léon XIII, ce pape à la charnière des 19e et 20e siècles, c’est celui qui promeut la doctrine sociale de l’Eglise et qui accepte la révolution dans les études bibliques. Et c’est en même temps celui qui réaffirme la priorité de la scholastique de Thomas d’Aquin, c’est-à-dire de la théologie médiévale, et c’est celui qui dit non au divorce. Quant à Léon le Grand, premier du nom, évêque de Rome de 440 à 461, c’est l’homme qui vit les invasions barbares, qui stoppe les Huns, qui arrive à négocier avec les Vandales.
Léon XIV s’annonce-t-il comme le pape de la défense de la démocratie face aux tentations totalitaires?
Il y a deux choses. La première, c’est que c'est un partisan de la modernité politique et sociale, donc un démocrate de ce point de vue-là, il n’y a aucun doute là-dessus. La deuxième, c’est que c’est un critique de la postmodernité occidentale.
Et sur un plan strictement géopolitique?
Sur un plan strictement géopolitique, il se montrera beaucoup plus rigoureux que ne l’était François.
Il n’y a qu’à regarder son compte X, lorsqu’il reprend vertement JD Vance, converti au catholicisme, qui s’est lancé dans une explication sur «qui est mon prochain», disant que le prochain de ma famille est plus mon prochain que celui de ma communauté, qui est plus mon prochain que celui de ma nation, qui est plus mon prochain que l’étranger. Il lui fait une leçon en lui disant que ce n’est pas du tout cela le prochain selon l’Evangile. On peut penser que le conclave a agi un peu comme en 1978 avec Carol Wojtyla, Jean Paul II, dont l'élection fut un message très lourd envoyé à l’ex-URSS. Et là, c’est quand même un message très lourd envoyé à la Maison-Blanche telle qu’elle est aujourd’hui.