Au Met Gala 2022, c'est le scandale qui a aveuglé tous les professionnels du vêtement et spécialistes de l'Histoire de la mode sous le crépitement des flashs. Il n'est pas question de frasques, ici. Pas de déclarations outrageantes ou de seins sortis de leur contexte. On parle bien d'Histoire de la mode. Un grand H pour une petite K. Aussi délicatement qu'un anti-vol sur un pull en cachemire, Kim Kardashian arrache chaque année à la même période l'attention d'autrui sur sa propre personne.
Cette fois, elle semble avoir pompé l'air de pas mal de monde pour pouvoir stopper sa respiration quelques secondes dans la robe de Marilyn Monroe. La fameuse pièce qui a habillé les voeux iconiques chantés au président Kennedy, le 19 mai 1962. Il y a soixante ans.
Sans philosopher sur le narcissisme qu'il faut être capable de déployer pour ramener l'ego d'une influenceuse aux mensurations d'un mythe (les réseaux sociaux s'en sont chargés), ce caprice a un prix: sept kilos et une oeuvre d'art à esquinter.
C'est encore plus stricte (triste?) que ça. «La robe doit être conservée dans une chambre sombre, à une température de 20 degrés et un taux d’humidité située entre 40 et 50% pour qu’elle garde toute sa splendeur.» Les sept kilos perdus en trois semaines par Kardashian n'ont d'ailleurs pas suffi pour s'approprier sereinement la splendeur piquée à cette pièce historique. Une vidéo dévoilée par le média américain TMZ prouve qu'une demi-douzaine d'employés du musée Ripley's Believe It Or Not, propriétaire de la robe, ont dû mettre la main à la star pour qu'elle puisse espérer enfiler l'objet de tous les scandales.
Des doigts qui ont accessoirement frotté durant de longues minutes les 6000 (et fragiles) cristaux abrités par la tenue. En vain. La fermeture éclair ne couvrira pas tout à fait l'entier du postérieur de Kim. Une solution d'urgence sera trouvée. Garder en permanence de la fourrure blanche sur les fesses.
D'autant que l'ex de Kanye West s'est finalement résolue à ne porter que quelques secondes la robe originale. Pour reprendre ensuite son souffle dans une pâle copie. Mais le «cas K» a constipé plus d'un spécialiste du vêtement. Comme l'ancienne conservatrice du Costume Institute, le laboratoire fashion du Metropolitan Museum of Art. Sarah Scaturro paraît même inconsolable dans les colonnes du LA Times: «Dans les années 80, un groupe de professionnels du vêtement s'était réuni pour adopter une résolution selon laquelle les costumes historiques ne devraient jamais être portés.»
En réalité, Sarah Scaturro craint (et anticipe) ici un tsunami d'irrespect pour toutes sortes de vêtements historiques. Si Kim Kardashian, moyennant liasses de dollars et rasades de sourires, est autorisée à parader dans la robe de Marilyn Monroe, ses confrères people risquent très vite de se ruer sur d'autres pièces rares. «Mes amis dans le métier vont subir des pressions folles de la part des stars. Ce n'est pas sain.» Notons au passage que la robe de Marilyn Monroe est la plus chère jamais vendue aux enchères: 4,6 millions de dollars. Et elle a est confectionnée avec un tissu fragile appelé souffle. «Extensible et résilient lorsqu'il est neuf, il devient plus cassant avec l'âge. Oui, la gravité peut faire beaucoup de dégâts», a expliqué tout en finesse Kevin Jones, conservateur de l'Institut de la mode, du design et du merchandising à Los Angeles.
Le temps d'une soirée, le pouvoir et l'argent de dame Kardashian ont donc bien réussi à déterrer une oeuvre d'art pour habiller son ego. A faire péter deux ou trois coutures d'un patrimoine pour son plaisir personnel. Sans oublier la touffe de cheveux de l’icône profanée que le musée lui a offert en partant (et en souvenir).
Mais il y a peut-être une justice: même pour Kim K, c'est parfois aussi compliqué d'entrer dans une robe que dans l'histoire.