Une discrète. Du moins, comparée aux gueulards de sa dynastie. Dans l'ombre, sauf quand le coup de gueule ou le câlin paraissent indispensables. La semaine dernière, Marie-Caroline Le Pen a dépoussiéré son compte X pour féliciter Eric Ciotti, au moment de son rapprochement avec le Rassemblement national, créant d'une seconde à l'autre la stupeur dans le camp des Républicains. Six jours plus tard, ce sera pour se lancer elle-même dans la course, en annonçant sa candidature dans la Sarthe, l'ancien fief d'un certain François Fillon.
Sous les couleurs du parti familial, évidemment.
Fière de porter les couleurs du @RNational_off et de la coalition d’union nationale dans la 4eme circonscription de la #Sarthe avec mon suppléant @NoaLerosier
— Marie Caroline Le Pen (@MCarolineLePen) June 14, 2024
🇫🇷#UnionNationale pic.twitter.com/6TG6HhcxfL
C'est vrai qu'il y a de quoi bomber le torse de ce côté de l'échiquier politique. Après la razzia de Bardella aux européennes, le RN semble bien lancé pour faire un carton à l'Assemblée nationale, depuis sa dissolution par un Emmanuel Macron qui tente un dernier coup de poker. L'occasion, pour la formation de Marine Le Pen, de déballer des têtes connues, histoire de ne pas se faire couper l'herbe sous le pied. En 2022, toujours dans la Sarthe, le candidat RN Raymond de Malherbe avait échoué de 87 petites voix, face à la France insoumise.
A 64 ans, neuf de plus que Marine la cadette, Marie-Caroline Le Pen a donc bien une revanche à prendre au nom du clan familial. Mais cette conseillère régionale d'Île-de-France profite surtout de cet inouï vent dans le dos, hérité des élections européennes, pour tenter une énième fois sa chance. Celle qui, à même pas 14 ans, partait à la chasse aux signatures pour la candidature de son père à l'élection présidentielle de 1974, essaie depuis longtemps de faire irruption dans l'Assemblée.
Et c'est un certain Nicolas Sarkozy qui la fera trébucher par deux fois. En 1993, elle échoue aux législatives, dans la 6ᵉ circonscription des Hauts-de-Seine. Rebelote en 1995, mais en se hissant cette fois au second tour. Le futur président de la République ne lui laissera aucune chance. 1998, idem. Cette fois, sans Sarkozy en face.
Trois ans plus tard, alors qu'elle vient d'être élue pour la deuxième fois conseillère régionale d'Île-de-France, elle sera projetée dans la plus grande scission que la famille Le Pen ait jamais connue. Le coupable? Bruno Mégret, l'ancien numéro deux du parti frontiste. Pour lui, comme pour une majorité de cadres à l'époque, l'heure est à la trahison, fatigués de l'hégémonie menée par le patriarche depuis 1972. Une tempête dans laquelle l'aînée des trois filles fera un choix dévastateur pour les nerfs de Jean-Marie. Elle suivra Mégret et son nouveau mouvement. Sans surprise, tel un chef mafieux trahi, sa réaction sera brutale.
En 2013, jamais remis de ce coup de canif, il jurera que «dans mes mémoires, je parlerai de Marie-Caroline, et je dirai que je n'ai plus de relation avec elle». Désormais placé sous tutelle pour raison médicale, l'homme de 95 ans n'a pas encore commenté publiquement la candidature de celle qui n'est plus censée être son enfant.
Déjà parachutée sur une liste en 2020, à l'occasion des élections municipales de Calais, sur la liste du RN Marc de Fleurian, Marie-Caroline en faisait un non-événement: «Ce n’est pas un grand retour, je donne un petit coup de main à l’équipe, je fais du terrain», confiera-t-elle au Monde. Mais ce fut suffisant pour que Marine se déplace pour soutenir le nouvel élan de l'aînée, en arguant que «la politique est un virus, un jour ou l’autre, il se réactive».
Deux sœurs qui ont eu le temps de se rabibocher, depuis le crêpage de chignon au sujet du domaine familial à hériter. Deux sœurs, aussi, qui ont été élevées dans les extrêmes dès leur plus jeune âge. Souvenez-vous de cette archive hallucinante:
Rappel du coup : elle aussi a grandi dans un milieu "complètement antisémite", élevée dans "un racisme pur et dur", et appelait Hitler "tonton Dolfi" lorsqu’il apparaissait à la télé…
— Axel Gnocchi (@axel_gnocchi) June 16, 2024
(🎥 : Pierette Le Pen, mère de Marine et Marie-Caroline Le Pen - 1998) pic.twitter.com/EExtuYcaW0
Or, le grand retour, c'est maintenant. Et selon les derniers sondages, jamais le parti de papa n'aura autant l'opportunité de quadriller le terrain politique français. Si elle assure ne pas avoir été «parachutée» dans la Sarthe, comme le prétend son adversaire LFI, Elise Leboucher, députée sortante. «Bien sûr, s'appeler Le Pen, ça aide. Je ne suis pas d’ici, je ne vais pas mentir, mais je réponds à l’appel des militants».
Comme le rappelait notamment La Croix, «dans l’ensemble de la Sarthe, le RN est arrivé en tête des européennes le 9 juin, avec 35,87%». Malgré tout, la bataille paraît difficile à remporter. Caro, comme on la surnomme au quotidien, «sait» même qu'elle va «perdre», mais «le but d'une élection n'est pas forcément d'être élue, la politique permet de rester jeune», confesse-t-elle aux journalistes de France 3.
Pour rappel, l'aînée des filles Le Pen était restée en retrait du monde politique depuis 1999, jusqu'à son retour en 2015. Précisément au moment où son père fut suspendu par le bureau du FN. La bruyante candidature de cette femme de l'ombre qui aurait «pu être une zadiste» (dit-elle pour prouver qu'elle est libre), explique d'abord que le Rassemblement national n'a sans doute jamais eu autant d'assurance. Et que le patronyme le plus redouté de la politique française n'effraie décidément plus grand monde.