Quelques éléments de contexte avant d'embarquer à bord de cette histoire. Avant la guerre, Pushcha-Vodytsya était sans doute le quartier le plus édénique des suburbs de Kiev. Des forêts à perte de vue, une collection de lacs disparates et des plages de sable à n'en plus finir. A la douce saison, on pouvait même y louer des barques romantiques et des catamarans pour la journée. La belle vie, quoi.
Comme si la carte postale ne suffisait pas, pour se rendre dans cet ancien haut lieu du tourisme d'Europe de l'Est, le voyageur devait sauter dans l'un des tramways les plus pittoresques d'Ukraine. Et fendre, bouche bée, l'interminable nuée de pins.
Moins bucolique. Depuis le début de la guerre, c'est l'hôpital qui a fait beaucoup parler de la région. L'établissement accueille désormais des rescapés de la guerre pour tenter de les libérer d'un mal dramatiquement ordinaire lorsqu'on a tutoyé l'horreur du front: le stress post-traumatique.
Enfin, Pushcha-Vodytsya n'a jamais été particulièrement avare en résidences de responsables politiques, présidents, premiers ministres et stars du pays. C'est d'ailleurs précisément ici que «le plus grand traître d'Ukraine» coulait une existence d'oligarque privilégié, avant d'être arrêté. En avril dernier.
Viktor Medvedtchouk, ex-député ukrainien prorusse au parcours aussi sinueux que la ligne ferroviaire qui relie Kiev à Pushcha-Vodytsya, a été fait prisonnier par le Service de sécurité du président Zelensky il y a cinq mois. Une photo, témoin d'une chute sèche et longtemps espérée par tout un peuple, avait fait le tour du monde. Pour l'ambiance: la presse locale le surnommait «le prince des ténèbres».
Il a fallu attendre le 20 juin dernier pour que la justice ukrainienne coupe définitivement le courant à son petit parti prorusse, baptisé «Plateforme d'opposition - Pour la Vie», que le riche prisonnier avait fondé en 2018. Dans la foulée de cette action aussi symbolique que politique, le tribunal de Lviv a mis la main sur les derniers biens du judas ukrainien, qui fut aussi le plus recherché du pays. Le moins que l'on puisse dire, c'est que le bonhomme n'avait pas qu'une bête chambre de bonne à sa disposition: 30 terrains, 23 maisons, 32 appartements, 26 voitures et 1 yacht ont été progressivement saisis. Sans compter les 279 peintures, antiquités de luxe.
Tout est là? Pas tout à fait. En fouillant le terrain sur lequel gît son manoir de Pushcha-Vodytsya, des journalistes étaient tombés sur une immense et étrange construction, planquée entre les grands arbres de son jardin. Recouverts d'une large bâche de camouflage, ce ne sont ni plus ni moins que des rails, une gare et un wagon-restaurant qui ont été découverts. Après avoir gravi quelques marches, le curieux tombe donc sur un joli quai en béton et quelques pylônes qui soutiennent une toiture gorgée de détails architecturaux et de moulures.
L'histoire aurait pu être belle et banale si nous parlions d'un jacuzzi, d'une cravate moche ou d'une Porsche. Car c'est la femme de Viktor Medvedtchouk, Oksana Marchenko, présentatrice à la télévision russe, qui est responsable de tout ce bazar: un cadeau pour son dernier anniversaire, le 7 août 2021. A l'intérieur? Un trésor de dorures et de velours, de la cuisine aux toilettes.
Sur l'un des flancs du wagon, on peut apercevoir l'inscription «Pullman». Logique (ou presque). L'entreprise britannique Pullman car company produisait des wagons de luxe et fournissait un service de steward haut de gamme, de 1874 à 1962. Mais en inspectant minutieusement la rame opulente de Viktor Medvedtchouk, des journalistes ukrainiens ont récemment conclu qu'elle n'était qu'une contrefaçon, comme certains collent un autocollant Ferrari sur l'aile d'une Golf GTI.
Un détail qui n'enlève rien à la valeur de cet étrange barda sur rails. Jugez plutôt:
Les premiers journalistes présents sur place avaient fait quelques découvertes intéressantes en fouinant dans les recoins du train. Une bouteille de champagne de marque française (entamée) mais aussi une machine à café, italienne évidemment (du fabricant Elektra), ou encore des couverts de luxe Christofle.
Les journalistes de Slidstva.Info ont réussi à mettre la main sur le coupable. Il se nomme Alexeï et aurait travaillé directement sous les ordres de la femme de l'oligarque. Pour que tout soit au goût de son mari. Evidemment. Les travaux ont duré environ un an et le wagon a été construit à partir de croquis de plusieurs voitures Pullman. Tout a été assemblé à la main par plus d'une centaine d'ouvriers. L'épouse, Oksana Marchenko, aurait approuvé le résultat final de ce cadeau six petits jours avant l'anniversaire de son «traître» chéri.
A l'époque, un véritable wagon Pullman pouvait tout de même atteindre 2,5 millions de dollars. Mais, même dans cette pâle copie, Viktor Medvedtchouk avait de quoi profiter aisément de son train... de vie. Le train (et tout ce qu'il contient) avait été confisqué par le tribunal de Lviv.
Mercredi 21 septembre 2022, tandis que Kiev a récupéré 215 prisonniers, dont des chefs de la défense d'Azovstal, Moscou a pu libérer 55 prisonniers. Un Viktor Medvedtchouk en fait partie. Vladimir Poutine, qui n'est autre que le parrain de sa fille, n'a pas encore annoncé les nouvelles missions qui pourraient être confiées au «plus grand traître d'Ukraine».
* Cet article a été publié une première fois le 23 juin 2022. Il a été actualisé avec les dernières informations en date.