Ce 10 janvier 2023, en faisant vos courses, peut-être êtes-vous tombé nez-à-nez avec le prince Harry. Précisons: avec la couverture de son livre, Le suppléant, sorti officiellement mardi dans les librairies du monde entier.
Le design est simple: le titre s'étale sur un gros plan de ce visage familier à la barbe rousse, aux yeux verts sérieux et déterminés. Au sommet, son nom en toutes lettres, au cas où vous l'auriez oublié: prince Harry.
Minute, papillon! Vous n'êtes peut-être pas sans ignorer qu'en réalité, Harry n'est pas du tout l'auteur de ses propres mémoires. Derrière l'ouvrage scandaleux qui retrace les mésaventures du prince se cache un Américain de 58 ans. Nous avons nommé: J.R. Moehringer.
Le livre du prince Harry est son troisième projet de livre fantôme. Enfin, peut-être. Le propre des «prêtes-plumes» étant de rester discret et, surtout, de ne pas laisser de traces, il se peut qu'il y en ait davantage.
Réputé pour ses reportages brillants et approfondis, J.R. Moehringer commence sa carrière que «copyboy» au sein du New York times - un passage que le journal décrira lui-même par la suite comme «malheureux».
Après une escale par le Colorado et les colonnes du Rocky mountain news, Moehringer atterrit au Los Angeles times en tant que correspondant national. Journaliste et artiste incompris, il menace de poser sa dém' quand ses chefs remettent en question la qualité de son portrait de Cheetah, plus vieille chimpanzé du monde. Ses amis parviennent à l'en dissuader:
La consécration arrive en 2000, quand il se voit décerner le fameux prix Pulitzer, véritable Graal du journalisme, pour un reportage dans une communauté de descendants d'esclaves sur les rives de l'Alabama.
«Méticuleux, charmant et facile à vivre», avec «un nez de tueur pour une histoire», ainsi que le décrit un proche au Daily mail, Moehringer cultive sa passion pour les destins d'hommes brisés, aux relations familiales compliquées. A commencer par la sienne.
Dans The tender bar, récit autobiographique adapté à l'écran par George Clooney avec Ben Affleck, l'auteur confie son enfance difficile à Long Island, New York.
Au cœur de la petite ville de banlieue de Manhasset, qui a servi de décor au célèbre roman Gatsby le magnifique, le jeune Moehringer a subi tout à fois la présence et l'absence de son père, Johnny Michaels. Avant de quitter définitivement le foyer familial, ce DJ rock'n'roll, mélange de «charme et de rage», a tenté d'étouffer sa mère avec un oreiller quand il avait sept mois.
Un mauvais départ dans la vie qui n'arrêtera pas le jeune Moehringer. Fort d'un cerveau dont il use comme d'un «fouet intelligent», il remporte une bourse à l'université de Yale. Tout est bien qui finit bien.
Ce récit poignant, l'ancien tennisman André Agassi le dévore en plein US Open 2006. Séduit, il convainc l'auteur d’écrire sa propre autobiographie.
Connu pour avoir épuisé plus d'un adversaire coriace sur le court, l'ancien champion de Wimbledon ignore qu'il s'apprête à se frotter à un partenaire redoutable et particulièrement endurant: 250 heures d'entretiens seront nécessaires à la rédaction d'Open.
«Nos premiers entretiens ont été douloureux», se souvient Moehringer pour New York times. «(Agassi) était complètement enfermé – guindé, résistant, hésitant. Sa mémoire était cristalline sur les matchs, mais pas sur les relations.»
Leur collaboration est si intense que le prête-plume finit par emménager à Las Vegas, dans une maison toute proche. Armé uniquement d'un magnétophone et de burritos de chez Whole foods, le journaliste arrache ses souvenirs les plus intimes à André Agassi, entre prises de crystal meth, perruques et traumatismes familiaux.
Comme tout «nègre» fiable qui se respecte, Moehringer est connu pour rester inconnu. «La sage-femme ne rentre pas à la maison avec le bébé», affirme-t-il après la sortie des mémoires d'Agassi, dans lesquelles son nom n'apparaît nulle part.
En 2016, c'est au tour du co-fondateur de Nike, Phil Knight, de le contacter pour livrer ses souvenirs.
Pour qu'enfin, en 2021, ce soit au prince Harry en personne d'utiliser cet auteur passionné par les destins hors du commun, comme un exutoire à son «anxiété, ses interrogations et sa paranoïa» et pour la modique somme d'un million de dollars.
Une tâche loin d'être de tout repos, même pour un auteur réputé avare en heures de sommeil. Avant de venir à bout du Suppléant, J.R Moehringer a dû faire face aux demandes de réécriture «de onzième heure» d'Harry, en septembre, suite à la mort de la reine.
«Il y a peut-être des choses dans le livre qui pourraient ne pas être aussi belles si elles sortent ainsi, peu de temps après ces événements. (Harry) veut que les sections soient changées maintenant. Ce n'est en aucun cas une réécriture totale. Il veut désespérément faire des changements, mais il est peut-être trop tard», a confié une source proche au Mail on Sunday.
Plus tard que jamais, désormais. Ce qui n'est pas sans déplaire à son auteur. Depuis, le fantôme s'amuse discrètement à aimer les commentaires des internautes outrés sur Twitter.