watson: L'enfermement, le manque d'air, la cohabitation forcée avec des étrangers... Décidément, tous les facteurs jouent contre les cinq passagers du sous-marin Titan. Comment gère-t-on ce genre de situation catastrophique?
Nicolas Franck: C’est un cas de stress majeur, évidemment. Les émotions sont extrêmement intenses. Au début, à la fois dans le corps et l’esprit, on est dans la stupeur, la déréalisation.
Si vous voulez savoir ce que procure ce genre de stress, rappelez-vous les confinements de 2020. On infligeait à la population un changement drastique et brutal de mode et de conditions de vie. C'était un modèle de stress à l’échelle de la population mondiale.
Sauf que, dans le cas de la pandémie, on avait quand même de meilleures perspectives de survie...
Absolument. Les gens n’étaient pas enfermés avec une issue à si courte échéance. En 2020, on était sur des choix au long cours, pour adapter sa vie quotidienne et préserver sa santé mentale: communiquer avec les autres, aménager son alimentation, son sommeil… L'ouverture était évidemment nettement plus favorable. Dans le cas du sous-marin, le risque est énorme. Une quarantaine d’heures, c’est terrible.
Dans ce cas d'urgence particulier, que peut-il bien se passer dans le cerveau des passagers?
Dans un premier temps, la perte de repères entraîne la stupeur. Une incapacité à réagir et à s’adapter. La personne n’est tout simplement plus capable d'utiliser ses performances physiques et cognitives correctement. Elle est figée, elle panique, et c’est tout. Elle ne sait pas du tout quoi faire.
Au bout de plusieurs heures, voire plusieurs jours, la personne construit de nouveaux repères. Elle s’est habituée et commence à se mettre en quête de solutions. Ensuite, c'est le tempérament et les caractéristiques de la personnalité qui vont jouer un rôle. Il y a des individus plutôt optimistes et positifs, qui vont se persuader que tout va bien se terminer.
Vous pouvez imaginer un schéma similaire dans le cas du sous-marin: certains de ces hommes sont certainement plus résilients que d’autres. Ils se dirigeront plus rapidement vers la construction de nouveaux repères constructifs, afin de trouver des solutions.
Quelles relations entretient-on aux autres, dans ce genre de situation extrême? Ces cinq inconnus auront-ils plutôt tendance à se montrer solidaires, ou à vouloir s’étriper parmi?
S'étriper, cela n'aurait pas tellement de sens, vu qu’ils sont tous voués à manquer d’air! Le fait de s’assassiner mutuellement n’apporterait rien. Ce n’est pas comme s’ils se trouvaient tous sur une île déserte et que leur alimentation dépendait de la survie des autres. Et, même dans ce genre de cas, tout le monde ne pratique pas l’anthropophagie. Il y a des valeurs éthiques et une inhibition. Ce n'est pas dans notre nature de tuer nos congénères. Dans le cas présent, ils ne sont pas obligés de se manger parmi pour survivre. S'ils s’en sortent, c’est tous ensemble, ou pas du tout.
Ici, il s'agit seulement d'une question de quantité d’air, et à une très courte échéance. Ceux qui se sont adaptés positivement vont chercher à coopérer pour trouver de quoi transmettre des signaux. D'ailleurs, c'est peut-être pour ça que des bruits ont pu remonter jusqu'à la surface: ils ont trouvé le moyen de transmettre des sons en tapant sur la coque, ou en exploitant les outils de technologie à leur disposition au maximum.
Sans aller jusqu’à s’assassiner, malgré tout, dans les situations de stress, on a tendance à se prendre le chou, non?
Les tensions peuvent s’exacerber, mais je ne sais pas s’ils auront le temps d’en arriver là. Il y a de l’agressivité quand il y a une compétition pour des ressources, même très simples. Lorsque le Titanic a coulé, en 1912, on s'est battu pour les dernières places dans les canaux de sauvetage. Là, la compétition a un sens en termes de survie.
Après, tout dépend de la personnalité des gens. Certains peuvent avoir tendance à se persécuter, se rejeter la faute parmi, s’en vouloir, déterminer absolument des responsabilités… Mais là, nous sommes dans la spéculation! On ne connait pas la personnalité, ni l’histoire des personnes dans ce sous-marin.
Quel est le pire? La perspective de manquer d'air? D'être coincé sous l’eau, à 4000 mètres sous la surface? De mourir en compagnie de parfaits inconnus?
Le pire, c’est l’incertitude. On ne sait absolument pas s’il va se passer quelque chose. Ni à quel moment. La perspective que tout peut se terminer par manque d’air, c’est affreux. Insupportable. La seule manière d’y faire face, c’est de garder l’espoir jusqu’au bout. Ces mécanismes sont individuels. La recherche de solutions est collective, mais le fait de garder espoir et de tenir, en respirant au minimum, en se donnant le maximum de temps pour donner une chance aux sauveteurs d’arriver, c’est individuel. Chacun fait face à son destin à sa manière.