Bien malin serait celui capable de lire dans les pensées de Vladimir Poutine. Faute de détenir ce pouvoir, nous nous sommes plongés dans la biographie de celui qui contrôle la Russie depuis plus de vingt ans.
Reprenons le fil où nous l'avons laissé: le 26 mars 2000, lorsque Vladimir Poutine devient officiellement président de la Fédération de Russie.
Dès le début de son mandat, Poutine engage des réformes socio-économiques et politiques d'envergure qui transformeront sensiblement son pays:
Lorsque les tours du Wall Trade Center s'effondrent, Poutine est en train de s'adonner à sa séance de sport quotidienne. Il s'empare du fameux «téléphone rouge» qui permet d'entrer immédiatement en contact avec le président américain. Durant l’appel à George W. Bush, Poutine propose son aide aux Etats-Unis.
Ce soutien affiché augure d'une nouvelle ère de cordialité et d'entente entre les deux grandes puissances. La Russie et l’Occident se sont désigné un nouvel ennemi commun: le terrorisme islamiste.
Pour Poutine, c'est une chance: replacer durablement la Russie sur la scène internationale et construire ensemble un monde nouveau. Mais il va vite devoir déchanter: George W. Bush rejette cette main tendue – blessant définitivement, au passage, l'ego de son homologue russe.
Début 2007, Poutine hausse le ton dans ses relations avec l'Occident. Lors de la conférence de Munich sur la sécurité, Poutine renonce à une adhésion à l’Otan, qu’il a pourtant envisagée d'intégrer sous la présidence de Bill Clinton.
Le 4 juin, à la veille du sommet du G8 à Rostock, il brandit la menace de l'arme nucléaire si les Etats-Unis se déploient aux frontières russes.
La même année, le maître du Kremlin est nommé personnalité de l'année par le Time. Titre hautement controversé du fait de l'assassinat en 2006, à Londres, d'Alexandre Litvinenko, que plusieurs journalistes et enquêteurs britanniques imputent au pouvoir russe.
Alors qu'il approche du terme de son deuxième mandat présidentiel, Poutine affirme à plusieurs reprises qu'il ne compte pas demander une modification de la Constitution pour en briguer un troisième, en mars 2008. La Constitution russe impose en effet une limite de deux mandats consécutifs.
Toutefois, Poutine n'est pas contre la perspective de conserver un certain pouvoir: le 2 décembre 2007, son parti «Russie unie» remporte les élections législatives. Une victoire qui lui confère un «droit moral», selon ses propres termes, pour continuer à gouverner.
Le 10 décembre 2007, Poutine soutient officiellement son premier ministre Dmitri Medvedev pour le remplacer à la présidence. Lequel sort vainqueur de l'élection, le 2 mars 2008, et offre alors à son acolyte le poste de premier ministre du gouvernement, une fois celui-ci parti du Kremlin.
En août, au plus fort de la guerre avec la Géorgie, dans laquelle la Russie intervient militairement, comme le rappelle Slate, la cote de popularité de Poutine atteint près de 60%.
Trois ans plus tard, en 2011, retour de manivelle: le président Dmitri Medvedev propose la candidature de Vladimir Poutine à l'élection présidentielle. L'intéressé confirme sa candidature à la tribune le jour-même.
Le 4 mars 2012, Vladimir Poutine est donc élu au premier tour pour un mandat de six ans, après avoir raflé 63,6% des suffrages. Le jour de son investiture, le nouveau président de la Fédération propose donc la candidature de son prédécesseur, Dmitri Medvedev, au titre de premier ministre du gouvernement. Enième retour d'ascenseur.
L'année 2013 permet à Poutine de renforcer le rôle de son pays sur l’échiquier politique international. Il gère habilement l'affaire des écoutes révélée par le lanceur d'alertes Edward Snowden, ainsi que les manœuvres diplomatiques autour de la Syrie.
Dans le même temps, le président russe prend des décisions qui lui valent quelques critiques occidentales: l'instauration d'une loi prohibant la «propagande homosexuelle auprès des mineurs» ou encore la dissolution de l'agence de presse officielle RIA Novosti, au profit d'un nouvel organisme pro-russe, Rossia Segodnia.
En février 2014, Poutine veut faire des Jeux olympiques de Sotchi le symbole d'une Russie moderne et toute puissante. Une «véritable opération de séduction», résume Franceinfo. L’investissement est colossal. Le plus lourd jamais alloué pour accueillir une compétition olympique.
En 2014, le président russe doit faire face au soulèvement inattendu du peuple ukrainien contre son dirigeant prorusse, Viktor Ianoukovitch. Poussé dans ses retranchements, désireux de mieux camoufler sa défaite, Poutine enterre l'idée d'une paix avec les Occidentaux et envoie des troupes pour annexer la Crimée.
L’Ukraine, qui devait être pour Poutine un trait d’union entre la Russie et l’Occident, est un échec. Ce jour-là, analyse Vladimir Fédorovski, «l’Occident a certes gagné l’Ukraine, mais a définitivement perdu la Russie».
Si cette crise vaut au chef du Kremlin la désapprobation durable de l'Occident, déclenchant la pire crise depuis la fin de la Guerre froide, elle augmente nettement sa cote de confiance dans son propre pays: celle-ci atteint 87% en août 2014. Le même mois, Poutine signe un décret aux accents vengeurs interdisant les importations de produits alimentaires et agricoles, en provenance de pays qui ont imposé des sanctions à la Russie pour son annexion de la Crimée.
Dès le début de la guerre civile en Syrie, la Russie apporte son soutien militaire au régime syrien de Bachar el-Assad. Affaibli par plusieurs revers, le dictateur syrien appelle Moscou à la rescousse pour intervenir directement sur place: le 30 septembre 2015, l'aviation russe commence alors une série de frappes contre les rebelles et l'Etat islamique.
Un an plus tard, en 2016, le régime syrien et la Russie seront accusés de crimes de guerre de la part des Etats-Unis, de la France, du Royaume-Uni, de l'Union européenne, ainsi que d'Amnesty International.
Des accusations qui n'influent guère sur la cote du dirigeant russe: en 2017, elle se situe autour de 85%.
L'année suivante, la popularité jusqu'ici incontesté du dirigeant russe rencontre une chute brutale de vingt points. En cause: la réforme des retraites et la baisse du pouvoir d’achat, qui ne passent pas au yeux du peuple russe. Quarante pour cent de citoyens russes se disent insatisfaits de leur président.
Poutine est pourtant parvenu jusque-là, en près de vingt ans aux commandes, à se maintenir en bonne posture dans l'opinion publique russe, malgré les contestations et les théories du complot dénoncées par l’opposition. Qu'à cela ne tienne: il brigue malgré tout un quatrième mandat. «Le chef de l'Etat est un homme fort», comme il aime à l'affirmer lui-même dans sa campagne électorale de 2018. Son credo?
Cette image d’homme puissant, sportif, charismatique et imposant, il la travaille au corps. C'est elle qui lui permet de conserver sa popularité. «Il veut être l’antithèse des "faiblards" qu’étaient Gorbatchev et Eltsine, qu’il méprise», analyse Vladimir Fédorovski au Parisien. «Il reste pour les Russes leur plus grand dirigeant, un symbole d’anti-corruption, même si on sait que, sur ce point, Staline diffère fortement de Poutine».
Le 7 mai 2018, Poutine prête serment pour un nouveau mandat et propose la reconduction de Medvedev à la tête du gouvernement. Dès sa réélection, il fait face à un climat politique tendu: l'opposition et plusieurs ONG dénoncent des milliers de fraudes et d'irrégularités, rappelle Le Figaro.
Le 10 mars 2020, le Parlement russe (la Douma), vote un amendement du projet de révision constitutionnelle, proposée par Poutine en personne. Son objectif: avoir la possibilité de briguer deux nouveaux mandats consécutifs après 2024, lui ouvrant la voie pour rester au pouvoir jusqu’en 2036. Cette révision constitutionnelle est adoptée en juillet par 77,9% des suffrages.
L'année suivante, le très puissant maître du Kremlin est ébranlé par une vidéo publiée sur YouTube le 19 janvier 2021 par l'opposant Alexeï Navalny.
Le porte-parole du Kremlin, Dimitri Peskov, assure que ces allégations sont anciennes et fausses... tout en admettant ne pas «bien connaître» cette enquête, rappelle la RTS.
Dans le même temps, le parti présidentiel «Russie unie» parvient en tête des élections législatives de 2021 avec 49,8% des voix. Une victoire bienvenue qui renforce encore la main-mise de Poutine sur le pouvoir, en lui offrant une nouvelle majorité à la Douma, deux ans avant l'élection présidentielle de 2024.
Sans preuve à l'appui, l'opposition accuse le pouvoir de fraude électorale, évoquant de «bourrages d'urnes» et de «manipulation du vote en ligne». L'élection essuie également l'indignation de la communauté internationale: l'Union européenne dénonçant un «climat d'intimidation», les Etats-Unis estimant que «les Russes ont été empêchés d'exercer leurs droits civiques» et le Royaume-Uni déplorant un «grave recul des libertés démocratiques».
Le 24 février, au cours d'une allocution télévisée désormais mondialement célèbre, Vladimir Poutine annonce l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Quelques minutes après cette déclaration, les forces armées de la Fédération de Russie pénètrent en territoire ukrainien.
Trois semaines plus tard, l'issue du conflit en Ukraine est plus qu'incertaine.
Le 16 mars, le président américain Joe Biden qualifie pour la première fois son homologue russe de «criminel de guerre»... Un titre qui tranche sèchement avec celui d'«homme de l'année», décerné quinze ans plus tôt par le magazine américain Time.
Que nous apprend le parcours de Vladimir Poutine, jalonné d'autant de coups de chance que de coups de maître? Ces mots de l'historien Vladimir Fédorovski pourront peut-être faire office de conclusion: «C’est un joueur d’échecs, un sportif tacticien, un espion, une marionnette devenue marionnettiste. (...) Il a voulu et calculé tout cela. Il est persuadé qu’il a été envoyé à la Russie par la providence».