Circuler à Kinshasa, la capitale de la République démocratique du Congo, représente un défi pour ses 17 millions d'habitants. Les embouteillages monstres et la conduite dangereuse provoquent le chaos sur les routes, entraînant de longs retards.
Ce chaos est devenu une préoccupation pressante pour les habitants. Pour atteindre la Gombe, le quartier central des affaires de Kinshasa, par exemple, il faut parfois jusqu'à cinq heures depuis les quartiers environnants.
Lorsqu'il est arrivé au pouvoir en janvier 2019, le président Félix Tshisekedi a promis de lutter contre le chaos de la circulation à Kinshasa en misant sur les infrastructures routières. Un échangeur et un viaduc ont été construits et certaines rues ont été mises à sens unique.
Si les embouteillages dans la capitale sont généralement imputés à l'insuffisance des infrastructures, il existe des causes plus difficiles à cerner. En tant que chercheurs en sciences sociales, nous avons tenté de comprendre quels facteurs institutionnels pouvaient être à l'origine de l'engorgement de la ville.
Dans un récent article, nous avons analysé un système illégal de génération de revenus au sein de l'Agence de la circulation de Kinshasa, impliquant une coalition d'agents de la police de la circulation, leurs responsables et des huissiers de justice. Nous avons étudié le rôle de ce système dans les conditions de circulation de la ville.
Dans le cadre de ce système, connu sous le nom de système de quotas, les chefs de poste (commandants de police) assignent aux agents de rue un quota quotidien de conducteurs à escorter jusqu'au poste, souvent sur la base d'allégations fabriquées de toutes pièces.
Nos conclusions et analyses expliquent comment le système des quotas provoque des embouteillages et des accidents, sapant ainsi la mission de régulation du trafic de l'agence de police. Nous expliquons également comment la corruption fonctionne comme un système coordonné plutôt que comme des actes isolés de mauvaise conduite individuelle.
Comme de nombreuses agences de police routière dans le monde, la police routière de Kinshasa est chargée de gérer les intersections clés et de faire respecter les règles de circulation.
Comme beaucoup d'autres fonctionnaires en République Démocratique du Congo, les officiers de police gagnent de maigres salaires – environ 70 dollars par mois. D'après nos observations, les services de police manquent de fonds pour les nécessités de base telles que le carburant ou les coûts de communication. Le manque de ressources a contribué à ce que les officiers de police soutirent de l'argent aux conducteurs, en partie pour leur profit personnel, en partie pour couvrir les coûts de leur travail de police.
Cela se fait notamment par le biais d'un système spécifique impliquant des agents de la police de la circulation. Nous avons constaté que les chefs de poste attribuent à différents agents de rue un quota quotidien de conducteurs à amener au poste.
Pour atteindre ce quota, les agents ont souvent recours à la force brute et peuvent inventer des infractions qu'ils signalent au poste de police.
Au poste, les agents transmettent les allégations aux officiers de justice, qui ont le pouvoir d'engager des poursuites – ou d'exiger des pots-de-vin pour que les conducteurs évitent les sanctions formelles. De nombreux chauffeurs tentent d'éviter cette extorsion en nouant des relations avec des protecteurs influents. Il s'agit de personnes qui peuvent intervenir en faveur d'un conducteur et qui sont souvent des hauts gradés de la sécurité et des responsables politiques.
Après trois années de travail qualitatif sur le terrain, nous avons établi une relation de confiance avec un grand nombre de personnes à l'intérieur et autour de l'Agence de la police de la circulation. Cela nous a permis de concevoir en 2015 des systèmes de collecte de données pour étudier les pratiques de l'Agence de police de la circulation.
Nous nous sommes appuyés sur la collaboration de 160 personnes et avons généré les données suivantes:
Pour quantifier le coût de ce système sur le service public, nous avons mené une expérience en collaborations avec des commissaires de police pour certaines équipes et certains jours.
Nous avons encouragé les commissaires à réduire temporairement de moitié les quotas de leurs équipes. L'objectif était de voir si cette réduction diminue les exigences de corruption imposées aux agents, réduisant ainsi la corruption dans son ensemble. Cela permettrait également aux agents de consacrer plus de temps à la gestion du trafic – un résultat confirmé plus tard par nos conclusions.
Pour nous assurer que cette approche fonctionne, nous avons indemnisé les commissaires pour les pertes de revenus privés qu'ils subiraient en raison de la réduction des quotas, que nous avons soigneusement estimées avant de mettre en oeuvre l'étude. Cette compensation n'est pas sans rappeler les mesures incitatives traditionnelles de lutte contre la corruption couramment utilisées dans le monde. Toutefois elle visait, cette fois-ci, le maillons central de ce système: les commissaires de police.
Lorsqu'une infraction n'a pas été observée, les agents avaient tendance à recourir davantage à la force. Dans l'ensemble, cela signifie que le système repose sur une coalition de gestionnaires, d'agents et d'officiers de justice. Grâce à la réduction des niveaux du système de quotas, notre système a également révélé certains coûts sociaux de ce système. Nous avons trouvé deux résultats importants:
Notre étude, qui fournit des preuves rares et détaillées du fonctionnement de la corruption, a trois implications en matière de politiques publiques.