Dominique Strauss-Kahn a publié, mercredi, une lettre à l'attention du pouvoir français qui porte sur la réforme des retraites qu'il considère comme la «Cinquième erreur» (à ne pas commettre).image: keystone, montage: watson
Mardi soir l'ancien patron du FMI et douze ans après l'affaire qui porte son blase, a fait irruption sur Twitter pour publier une lettre ouverte (et à charge) à l'endroit du président de la République, baptisée «La cinquième erreur». En ligne de mire: la réforme des retraites dans un pays «qui est dans un triste état». On vous résume son analyse en punchlines.
Dominique Strauss-Kahn, économiste, haut fonctionnaire, ancien patron du Fonds monétaire international (FMI) et ex-candidat pressenti à la présidentielle de 2012, est-il encore écouté, ici-bas et en haut lieu? Depuis «l'affaire DSK» (ou «l'affaire Sofitel»), il faut avouer que l'homme s'est fait (très) discret. Néanmoins, mardi soir, Strauss-Kahn est sorti du bois, sans que personne ne lui quémande son avis. Et surtout pas Emmanuel Macron.
Deux semaines après un François Hollande qui l'accusait d'avoir «exacerbé les tensions» dans les rues de France, Emmanuel Macron n'est décidément pas en odeur de sainteté. Mercredi, c'est même Donald Trump qui s'en est pris au président français, sur Fox News, en considérant qu'il avait «kissing the ass» de son homologue chinois Xi Jinping après sa visite à Pékin.
A deux jours du verdict du Conseil constitutionnel, voici donc DSK qui vient déposer son grain de sel dans une crise sociale qui n'arrête pas d'enfler chez nos voisins. Après un premier tweet qui annonçait la publication prochaine de «son point de vue sur la crise provoquée par le texte de loi sur les retraites», ce fut chose faite quelques heures plus tard.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que son irruption sur les braises ardentes du texte de loi tant décrié n'a pas été pensée pour éteindre le feu. Même s'il est «encore temps de trouver des solutions aux couleurs de la République», DSK démarre sa lettre ouverte (de quatre pages) par une phrase coup de poing, visant évidemment Emmanuel Macron. (Mais pas que.)
«La France est dans un triste état. Il suffit de lire la presse étrangère pour s’en convaincre»
Dominique Strauss-Kahn
Pourquoi cette lettre?
«Il est légitime de s’interroger sur la succession d’erreurs dont l’enchaînement a conduit le pays dans l’impasse»
Et c'est quoi le problème selon DSK?
«Pour ma part, je vois quatre erreurs principales»
Ah, oui, quand même.
«La première erreur concerne le choix du moment»
Le Covid, la guerre en Ukraine, l'inflation, tout ça?
Le moment n’était-il pas particulièrement mal choisi qui crée une crainte nouvelle sur la retraite quand d’autres détresses assaillent les Français?
Sans doute, oui. Mais faut-il réformer les retraites ou pas?
«La réforme du financement de nos régimes de retraite est importante, mais elle n’est pas à ce point urgente»
D'accord. Mais où est l'urgence, alors?
«Si, comme nous l’apprend un sondage récent, près de la moitié des Français les plus modestes ont été amenés à supprimer un repas par jour, alors c’est là qu’est l’urgence»
Quoi d'autre?
«A cela s’ajoute la lancinante inquiétude que crée l’apathie des gouvernements face au dérèglement climatique pourtant si prévisible»
DSK, militant climatique?
«L’avenir de la planète angoisse légitimement notre jeunesse et la réponse confuse qui est apportée n’est pas de nature à leur redonner espoir»
Que fallait-il faire selon lui?
Dans cette situation qui peint l’avenir en noir, pouvait-on ne pas escamoter le débat et éviter de passer en force sur les retraites?
Pas selon Macron ou Borne, en tout cas.
«On l’aurait pu facilement si le Fonds de Réserve des retraites, 2 créé par Lionel Jospin, n’avait pas été siphonné fin 2010 par le président de l’époque pour alléger sa contrainte budgétaire»
Sarko donc.
«Sans ce pillage, il aurait vraisemblablement approché les 100 milliards d’euros en 2030, à comparer aux 10 ou 15 milliards annuels promis par la réforme dans sa version actuelle»
Pourquoi Macron n'a pas cédé?
«Le sentiment qu’il fallait au plus vite tenir une promesse qui avait été oubliée au début du premier quinquennat»
Mais encore?
«Le moment a été mal choisi et la vision globale a fait défaut»
Encore ce fichu timing...
«Il fallait sortir des vieux schémas, ceux qui était adaptés au XXème siècle, à un siècle où l’espérance de vie augmentait lentement au contraire de ce qui va probablement se passer dans les décennies qui viennent»
Il faut changer quoi?
«Aujourd’hui, ce n’est pas l’âge de la retraite qu’il faut changer, c’est la conception même du système»
Ce n'est pas rien tout de même!
«C’est cette réforme systémique qu’en 2017 un candidat à la présidence de la République disait, à juste raison, vouloir entreprendre»
Cette manie de jamais nommer les gens;)
«Mais il a ensuite subrepticement abandonné cette voie»
Son analyse alors?
«Nous devons sortir d’un système qui repose sur l’âge de départ à la retraite pour construire un système fondé sur la durée de cotisation»
Ah, oui, c'est pas ce qu'a choisi Macron...
«La réforme paramétrique qui a été choisie rend tout ceci beaucoup plus compliqué»
Conséquences?
«Elle focalise l’attention sur l’âge-pivot, digne vestige des luttes sociales d’hier devenu un dramatique abcès de fixation comme l’a montré la période récente»
Conclusion?
«Ainsi, après l’erreur de timing, l’erreur de méthode aura été fatale»
Voici déjà deux erreurs de Macron. La troisième?
«Elle est stratégique. La France n’est pas un pays dans lequel on peut mener une réforme sociale d’envergure»
Mince alors!
«C’est pourtant ce qui a été fait»
Oui, il semblerait...
«La volonté visible par tous de trouver une majorité à l’Assemblée fusse au prix de compromis incessants plutôt que de construire avec les syndicats un projet acceptable pour le monde du travail a voué ce projet à l’échec»
Disons surtout que DSK n'est pas le seul à l'affirmer depuis des semaines.
«Personne ne pourra dire que nous n’avions pas été prévenus»
Voilà.
«Dès son essai de 2016, notre président, alors candidat, disait le peu de confiance qu’il a dans les corps intermédiaires»
Les corps quoi?
«Ceux qui font le lien entre le pouvoir politique et la société civile»
Ah, d'accord.
Et au premier rang desquels on trouve les syndicats; au risque, pour reprendre Tocqueville, "qu’entre lui et les particuliers il n’existe plus rien qu’un espace immense et vide"»
Il y va un peu fort, non?
«Cette stratégie purement politique était vouée à l’échec»
Pourquoi?
«On ne peut gouverner un pays en lui imposant une réforme que les trois quarts des citoyens rejettent»
La preuve que si (pour l'instant du moins)
«François Mitterrand l’avait bien compris»
Tiens, un nouveau joueur!
«Le 14 juillet 1984, bien que disposant d’une majorité à l’Assemblée, il annonçait le retrait du projet de loi visant à intégrer les écoles privées dans un "Grand service public de l’Education Nationale"»
Et ça s'était passé comment?
«Au prix de la démission, le 17, de Pierre Mauroy et d’Alain Savary»
Quoi d'autre, Monsieur Strauss-Kahn?
«Beaucoup d’hommes et de femmes ont payé le prix du sang pour que nous ayons la chance de faire de la politique dans un contexte démocratique»
C'est pas faux, mais ça implique quoi aujourd'hui?
«Cette démocratie ne peut être un système où le plus fort se contente d’imposer ses vues au nom de sa majorité»
Que devrait faire Macron?
«Il doit s’obliger à convaincre le plus faible pour tendre vers un consensus supérieur»
C'est chaud là.
«L’avoir refusé a mis la France à feu et à sang»
Sinon, la quatrième erreur du président?
«Mesurant son absence de majorité politique et conscient de son absence de majorité sociale, le pouvoir a décidé de passer en force»
Oui, ça on a bien compris, semblerait.
«Quoi qu’il en soit, il aura malmené le peuple français»
Outch. Mais que va-t-il se passer selon son analyse?
«Sauf si le Conseil Constitutionnel en décide autrement, la loi risque, à sa publication, de relancer le cycle de violences»
Une solution?
«On peut l’éviter en repoussant cette publication jusqu’à ce qu’un point d’équilibre ait été trouvé avec les forces sociales»
Sinon quoi?
«Le péril est grand de voir le pays s’embraser à nouveau»
Sur d'autres sujets que la retraite?
«Demain sur le sujet des retraites, après demain sur un autre, avec comme perspective historique un avenir politique de plus en plus brun»
DSK n'aime pas la France qu'il observe aujourd'hui.
«C’est que les violences de ces dernières semaines défigurent notre République»
La violence de qui exactement?
«Elles sont sans doute le fait des deux bords, mais il ne suffit pas d’évoquer les exactions des black blocks pour justifier la violence d’État rapportée par tous les réseaux sociaux»
Pourquoi?
«Défendre des idées sociales ne fait pas de nos concitoyens des "ultra-gauchistes"»
Et...
«Manifester pour contester et combattre un projet gouvernemental ne relève pas du "terrorisme"»
Il reste un espoir ou pas?
«C’est au président de la République qu’il appartient maintenant de prendre les initiatives permettant de renouer les fils d’un dialogue social trop brutalement interrompu»
Sinon?
«A défaut, une cinquième erreur viendrait s’ajouter aux précédentes»
Pour ceux que ça intéresse, voici la lettre dans son intégralité:
On s'ennuie dans les transports publics? Pas toujours
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